Queue de comète de la présidentielle et des législatives : les congrès politiques. La période est à l’introspection et au renouveau pour les partis d’opposition, nombreux à avoir réuni leurs instances et leurs adhérents ces derniers jours, pour tirer le bilan des derniers résultats électoraux et des premiers mois du nouveau quinquennat. Une étape nécessaire pour définir les chantiers des mois à venir, et qui s’accompagne souvent d’un changement - réel ou cosmétique - de direction, notamment chez Les Républicains, l’UDI ou Europe Ecologie-Les Verts.
Et souvent la même préoccupation : conjurer l’affaiblissement des structures politiques traditionnelles. Selon le dernier pointage du baromètre Cevipof de la confiance en la politique, seules 19 % des personnes interrogées disent faire confiance aux partis politiques ; « Un chiffre en léger rebond, car nous sortons d’une année électorale. Il devrait chuter à nouveau l’année prochaine », observe auprès de Public Sénat le politologue et chercheur au Cevipof Bruno Cautrès. Selon ce spécialiste de la vie politique, « il faudrait revenir aux années 1970-1980 et aux fortes périodes de polarisation de la vie politique pour retrouver des chiffres supérieurs à 20 %. »
Chez LR, enrayer la spirale du déclin
Les Républicains ont élu le député des Alpes-Maritimes Éric Ciotti à la présidence du parti dimanche 11 décembre. Le score serré face à son challenger Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat, est suffisamment net pour évacuer le risque d’un nouveau duel fratricide, dix ans après la guerre Copé-Fillon qui a déchiré l’UMP, mais cette victoire sans triomphe pourrait également compliquer le travail de rassemblement, généralement le premier objectif du vainqueur après ce type de compétition interne. « Plus de 46 % pour moi qui n’étais pas favori, c’est inespéré. C’est un score qui comptera, n’en doutez pas ! », a averti Bruno Retailleau qui entend redonner aux sénateurs LR, premier groupe parlementaire d’opposition, un poids plus important dans les instances du parti.
En creux, le duel Ciotti-Retailleau renvoie aussi à la rivalité qui anime Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand, dont les ambitions présidentielles ne font guère mystère. Si Éric Ciotti n’a cessé de répéter qu’il considérait le président de la région Auvergne Rhône-Alpes comme le candidat naturel de sa famille politique pour 2027, Bruno Retailleau s’est bien gardé de citer un nom. Il a toutefois reçu dans la dernière ligne droite de la campagne le soutien remarqué de Xavier Bertrand. « La droite est considérablement affaiblie mais paradoxalement, avec l’impossibilité pour Emmanuel Macron de se représenter en 2027, un nombre infini de scénarios s’offrent à elle », relève Bruno Cautrès.
À la tête d’une formation essorée par les défaites électorales successives, déchirée entre la majorité présidentielle et l’essor du Rassemblement national, Éric Ciotti, partisan « d’une droite de l’ordre, du travail, de l’autorité, de l’identité », se pose en garant de l’indépendance des Républicains. Toutefois, sa ligne conservatrice et sa proximité idéologique assumée avec Éric Zemmour, ont pu semer le trouble chez les élus, dont plusieurs ont menacé de claquer la porte. Lundi, certains ont mis leurs menaces à exécution. Le maire de Metz François Grosdidier a annoncé sur Twitter sont départ de LR, Augustin Bœufs, adjoint d’Edouard Philippe à la mairie du Havre, indique également se mettre en retrait. « La droite a toujours parlé de sécurité et des flux migratoires, mais ce qui a changé, c’est la mise en avant presque exclusive de ces thématiques, et le recul d’un discours plus axé sur l’action publique et le rapport à l’économie », indique Bruno Cautrès. « Éric Ciotti espère pouvoir récupérer un segment de l’opinion capté par Éric Zemmour. »
L’UDI tourne la page Jean-Christophe Lagarde
Les prochains mois diront si le centre de gravité des LR doit basculer encore un peu plus à droite. La place accordée aux partis associés, notamment l’UDI, sera un critère déterminant. L’Union des démocrates indépendants s’est d’ailleurs dotée d’un nouveau président samedi 10 décembre : le sénateur des Hauts-de-Seine, Hervé Marseille, a été élu à la tête du mouvement lors d’un vote dont il était le seul candidat. Il assurait déjà la présidence par intérim depuis le départ de Jean-Christophe Lagarde, condamné le 7 décembre à dix mois de prison avec sursis pour détournements de fonds publics. Indirectement, Hervé Marseille pourrait peser sur le positionnement politique de LR, car sans le soutien des élus de son groupe, la droite, qui ne possède qu’une majorité relative au Sénat, risque fort de perdre à nouveau du terrain.
LFI et « le retour aux logiques partisanes classiques »
La réorganisation de La France insoumise agite les tensions en interne. L’assemblée représentative du mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon a présenté ce week-end la nouvelle composition de ses principales instances. Le député Manuel Bompard, qui pilote le mouvement depuis la démission d’Adrien Quatennens, devrait être reconduit à ce poste dans les prochains jours. À ce stade, toutefois, plusieurs figures insoumises de premier plan ont été écartées, comme les députés Alexis Corbière et Éric Coquerel, mais aussi Clémentine Autain ou encore François Ruffin.
Depuis, les critiques fusent sur le manque de transparence et de démocratie au sein du mouvement. « Je constate que le repli et le verrouillage ont été assumés de façon brutale. Les militants n’ont pas eu voix au chapitre alors qu’ils devraient être les acteurs principaux du mouvement. La direction a été choisie par cooptation, ce qui favorise les courtisans et contribue à faire taire la critique », a dénoncé Clémentine Autain dans un entretien qui a fait la première page de Libération ce lundi 12 décembre. « Toute la Une pour nous salir », a froidement commenté Jean-Luc Mélenchon sur la page Facebook de la députée.
« Clémentine Autain et François Ruffin ont souvent eu des propos critiques à l’égard de Jean-Luc Mélenchon, mais je m’interroge sur la mise à l’écart de proches comme Alexis Corbière et Éric Coquerel. Peut-être y a-t-il derrière cela une logique arithmétique. Est-ce qu’ils ont voulu faire un jugement de Salomon en sacrifiant deux proches pour deux trublions ? », interroge Bruno Cautrès. « On remarquera que la vie politique oblige les mouvements d’un nouveau type, comme LFI, à revenir aux logiques partisanes classiques, avec des nominations, des frustrations, des querelles de ligne… »
L’après Mélenchon
Ces remous interrogent sur le rôle politique qu’exerce encore le tribun, officiellement « en retrait » du mouvement. Jean-Luc Mélenchon doit prendre en février, avec la députée Clémence Guetté, la codirection du think tank « l’Institut La Boétie ». Mais le maintien de son ancien directeur de campagne, qui a récupéré en juin dernier sa circonscription des Bouches-du-Rhône, à la tête de LFI laisse entendre qu’il exerce toujours une influence majeure sur les destinées de la formation.
Sans doute faut-il aussi y voir l’une des répliques de l’affaire Quatennens. « La mise en retrait, voire l’affaiblissement durable d’Adrien Quatennens, pose le problème de la succession à Jean-Luc Mélenchon d’une manière totalement différente », pointe Bruno Cautrès. Les accusations de violences conjugales qui visent le député du Nord semblent avoir soldé son avenir politique, alors qu’il a longtemps été présenté comme le principal héritier de Jean-Luc Mélenchon. Si ce dernier répète ne pas vouloir rempiler pour une quatrième élection présidentielle, la rumeur d’une nouvelle candidature en 2027 rejaillit régulièrement. Ce lundi 12 décembre, au micro de France Inter, Manuel Bompard a botté en touche : « Mon rôle, et le rôle dont s’est dotée cette coordination, c’est d’assurer notre unité, c’est d’assurer le travail de développement de notre mouvement et certainement pas d’arbitrer en 2022 qui sera le prochain candidat à la présidentielle de 2027. »
Les écologistes et la nécessité d’un droit d’inventaire
Chez Europe Ecologie-Les Verts, le changement de direction s’est fait de manière bien plus apaisée ce samedi. Marine Tondelier a été élue secrétaire national, succédant à Julien Bayou. Issue de la direction sortante, cette conseillère régionale des Hauts-de-France, connue auprès des militants pour son engagement récurrent contre Marine Le Pen dans la onzième circonscription du Pas-de-Calais, reste peu identifiée du grand public. Elle aura la lourde tâche de pacifier un parti ébranlé par les accusations de violences psychologiques qui ont visé son prédécesseur.
Il lui faudra également jouer les juges de paix dans le duel qui oppose l’eurodéputée Yannick Jadot et la députée écoféministe Sandrine Rousseau. La ligne radicale de l’élue parisienne, incarnée par Mélissa Camara au Congrès, a été mise en minorité dès le premier tour (13,5 %). « L’échec incroyable, c’est qu’on est passé de 100 000 votants à la primaire à 5 300 », a réagi Sandrine Rousseau au micro de Public Sénat, estimant que les écologistes devaient rompre avec un « entre-soi délétère » et s’ouvrir davantage à la société civile. « Selon moi, le principal défi de Marine Tondelier sera de comprendre et d’analyser le cuisant échec de la présidentielle, qui les a fait passer de 13 % aux élections européennes à 4,5 %, avec des transfuges d’électeurs en direction de Jean-Luc Mélenchon et d’Emmanuel Macron », abonde Bruno Cautrès.
Le NPA divisé face à LFI
Toujours ce week-end, signalons la scission du Nouveau Parti Anticapitaliste, le parti fondé par Olivier Besancenot en 2009, qui tenait son Congrès à Saint-Denis. Le NPA était divisé depuis de longs mois entre les tenants d’une ligne unitaire et la tendance révolutionnaire. Conséquence de l’hégémonie de La France insoumise sur les forces de gauche - dont elle est devenue le nouveau centre de gravité à l’issue les législatives -, une partie du NPA considère désormais la possibilité d’un rapprochement avec le mouvement de Jean-Luc Mélenchon. « On peut bosser avec, on doit bosser avec », a déclaré l’ancien candidat à la présidentielle, Philippe Poutou, sur BFMTV. « Avec un candidat qui fait deux fois 20 % à la présidentielle et 75 députés à l’Assemblée, LFI a développé une force d’inertie et d’attraction qui a des effets directs sur les autres formations de la gauche », relève Bruno Cautrès.
Au Rassemblement national, la continuité dans la rupture
Début novembre, le sacre de Jordan Bardella à la tête du Rassemblement national n’a fait qu’officialiser une situation établie de longue date. Elu président avec 84,84 % des voix, l’eurodéputé occupait déjà ce poste par intérim depuis plus d’un an, placé là par Marine Le Pen au début de la campagne présidentielle. L’élection de Jordan Bardella marque une étape de plus dans le processus de normalisation du parti, dont le dirigeant, pour la première fois, ne porte pas le nom de Le Pen même s’il est réputé particulièrement proche du clan familial, une manière de démontrer que le Rassemblement national est en mesure d’exister en dehors de la figure charismatique du leader autour duquel il s’est longtemps construit.
Certaines figures historiques du parti, comme Steeve Briois, le maire RN d’Hénin-Beaumont, ou encore le député Bruno Bilde, se sont inquiétés d’une rupture avec la ligne, dite « sociale », de Marine Le Pen. « Je regrette que des années de dédiabolisation soient en train d’être réduites à néant, avec comme seul but de plaire à une minorité électorale », a voulu alerter l’édile du Pas-de-Calais dans un communiqué, craignant que certaines positions de Jordan Bardella n’aboutissent à une « re-diabolisation » du parti d’extrême droite. « Jordan Bardella n’a pas le même tempérament politique que Marine Le Pen », observe Bruno Cautrès. « Son discours est très identitaire, mais il n’a pas à forcer son talent quand il parle des quartiers dont il vient. Il n’y a pas de rupture avec Marine Le Pen, plutôt une répartition subtile des rôles », note encore le politologue. « À Jordan Bardella de s’adresser aux électeurs tentés par Éric Zemmour. À Marine Le Pen de déployer le souffle d’une campagne présidentielle auprès des classes populaires. »
Les socialistes, bientôt réunis à Marseille
Prochain rendez-vous à l’agenda des partis d’opposition : le congrès du PS, qui se tiendra le 25 janvier à Marseille. Si Olivier Faure, l’actuel premier secrétaire, est donné favori à sa succession, certains, notamment les anciennes figures du quinquennat de François Hollande, ne manqueront pas de questionner la stratégie d’alliance avec la Nupes, et le risque d’engloutissement par LFI. « Comme les écologistes, les socialistes doivent engager un effort de réflexion sur la présidentielle, et éliminer de leur raisonnement l’idée d’un plantage de leur candidate, une explication un peu trop facile. Pour parvenir à prendre toute leur place au sein de la direction de la Nupes, ils doivent se demander pourquoi les Français ne savent plus les identifier », avertit Bruno Cautrès.