Congrès, questure, et ordonnances : la méthode Macron sème le trouble au Sénat

Congrès, questure, et ordonnances : la méthode Macron sème le trouble au Sénat

Des sénateurs de plusieurs tendances craignent que les pratiques institutionnelles d’Emmanuel Macron n’affaiblissent le Parlement.
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Il y avait déjà eu la question des ordonnances dans la réforme du Code du travail, limitant la discussion au Parlement à une loi d’habilitation. La convocation du Parlement en Congrès par le président de la République, à la veille de la déclaration de politique générale du Premier ministre devant les deux chambres, est venue elle aussi heurter de nombreux parlementaires de tous bords. Beaucoup y voient la marque de la présidentialisation du régime. Mercredi soir, c'est l'implantation de la République en marche dans la plupart des postes clé du Bureau de l'Assemblée nationale qui a été l'objet de nombreuses critiques.

Dans les rangs de la majorité sénatoriale, le président de la commission des lois Philippe Bas a déclaré sur notre antenne que la réunion du Congrès lundi arrivait « au moment le plus inopportun ». « Nous vivons dans un régime parlementaire, le temps qui s’ouvre la semaine prochaine est celui de la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. »

« C’est une vision des institutions excessivement présidentialiste dans un régime parlementaire », a déclaré le sénateur de la Manche. « Ça affaiblit le Premier ministre. Et un président fort a besoin d’un Premier ministre fort car c’est lui qui porte les réformes devant l’Assemblée nationale et le Sénat. Et s’il l’affaiblit, il se tire une balle dans le pied. »

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Son collègue Philippe Dallier (LR), se rendra à Versailles mais s’est dit « surpris par la démarche ». « On ne peut pas dire que l’on revient aux sources de la Ve République, et puis, de l’autre côté, dire que c’est le président qui donne des instructions, qui fixe le cap au Parlement. Non, c’est le Premier ministre qui doit faire cela. »

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Après l’annoncedu boycott du Congrès par les députés de la France insoumise – Jean-Luc Mélenchon a vilipendé un « monarque qui se transforme en pharaon – les groupes communistes des deux assemblées ont annoncé à leur tour leur absence au Congrès. Dans un comminiqué commun, ils écrivent :

« Nous n'irons pas à Versailles abouder le monarque présidentiel. [...] Il y a une volonté de soumettre le Parlement que nous n'acceptons pas. »

Pierre Laurent a appelé à manifester à Versailles « contre le coup de force institutionnel ».

La présidente Éliane Assassi avait dénoncé mercredi une « hyperprésidentialisation ». « On est dans une sorte de monarchie qui s’installe ». La sénatrice se demandait même quel était le but du Congrès : « Si c'est pour écouter le Président parler, c'est un peu léger de le réunir. »

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« Dérive absolutiste »

Pierre Laurent, à la tête du parti, s’est fait la même réflexion ce matin sur France Info. « Les ordonnances, les responsabilités de la présidence de l'Assemblée trustées par La République en marche et le discours sont les signes d'une dérive absolutiste et même d'un coup de force institutionnel contre le rôle du Parlement qui ne dit pas son nom. On a une dérive continue et aggravée et visiblement Emmanuel Macron veut la pousser à son terme, de la présidentialisation du régime, elle se construit au détriment du rôle du parlement », a-t-il dénoncé.

À la Haute Assemblée, en dehors du groupe communiste, seule Esther Benbassa, sénatrice EELV, a pour l’heure officialisé son intention de ne pas assister au Congrès. « Moi, sénatrice république et démocrate, pense être le plus à ma place auprès des sans voix qu'à Versailles pour acclamer un monarque bavard », a-t-elle tweeté, encourageant les collèges de son parti à faire de même.

« Il montre que le Parlement a perdu beaucoup de pouvoir »

« Emmanuel Macron est un révélateur des dysfonctionnements de la Ve République. Il montre que le parlement il le tient en peu d’estime, puisqu’il le convoque en 24 heures sans nous dire sur quoi on pourrait intervenir », a dénoncé Jean Desessard (EELV). « Il est train de montrer que le Parlement a perdu beaucoup de pouvoir, il le montre clairement. » « Si c’est pour leur dire que vous êtes là pour l’écouter et faire sa communication, ce n’est pas le rôle du Parlement », a-t-il ajouté.

« Macron est train de montrer que le Parlement a perdu beaucoup de pouvoir », déclare Jean Desessard
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Corinne Bouchoux, la sénatrice du Maine-et-Loire, qui attend l’annonce d’une « réforme constitutionnelle ambitieuse » veut croire qu’il y a eu un partage des rôles entre les deux têtes de l’exécutif. « S’ils se sont partagé les rôles, pourquoi pas. »

« Une reconnaissance du Parlement »

Au groupe UDI-UC, les centristes que nous avons interrogés préfèrent vivre la séquence à venir avant de la juger, alors que deux députés UDI de premier plan, Philippe Vigier et Jean-Christophe Lagarde ont annoncé leur boycott. « Je ne veux pas faire de procès d’intention au président de la République, je porterai une appréciation a posteriori », a annoncé Jean-Marc Gabouty, le sénateur de la Haute-Vienne. « Cela peut être considéré comme une reconnaissance du Parlement puisqu’il donnera la primeur d’un certain nombre d’orientations et de souhaits aux parlementaires. On l’aurait critiqué s’il avait fait cette présentation sur un plateau de télévision », a-t-il relativisé.

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Vincent Capo-Canellas s’inscrit sur la même ligne. « J’attends de voir la fin de la séquence pour voir comment il s’exprime. Je ne suis pas choqué par cette initiative », indique-t-il à PublicSenat.fr. « Je pense qu’Emmanuel Macron a choisi de casser les codes ».

« Une atteinte sérieuse à la démocratie »

La désignation du Bureau de l’Assemblée nationale au cours d’une séance houleuse mercredi soir est venue s’ajouter à la polémique du Congrès. L’absence de Républicains dans les 12 postes de la vice-présidence du Palais Bourbon, après l’élection du constructif Thierry Solère à des trois postes de questeur (les gestionnaires du budget de l’Assemblée), au lieu du député Éric Ciotti, issu du canal historique LR, le premier groupe d’opposition, a rendu furieuse la droite.

Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat, a dénoncé dans un communiqué « un mauvais coup » de la majorité, qui a « bafoué les droits de l’opposition comme jamais ». « C’est une atteinte sérieuse à la démocratie ! », a conclu le sénateur de la Vendée, qui assure que son groupe ne se « laissera pas intimider par une majorité massive tentée par l'hégémonie ».

« Hier à l’Assemblée nationale, on a assisté à une mise sous éteignoir de l'opposition. Cette majorité n'est décidément pas constructive ! », a réagi le sénateur de la Côte-d’Or Alain Houpert.

« Dérapages dangereux »

Au Parti socialiste, la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann pointe des « faisceaux de convergence inquiétants ». « Emmanuel Macron a bien l’intention de présidentialiser au maximum les institutions et de jouer à fond la caisse la Ve République dans ses pires travers », explique-t-elle à PublicSenat.fr. « Le plus grave, ce sont les ordonnances. Et à l’Assemblée nationale, on ne peut pas dire qu’il y a eu un excès de pluralisme. À ce qui paraît, c’est le monde nouveau : on pense qu’en soi on incarne toute la société et le champ politique et on élimine toute opposition et diversité réelle. Ce sont des dérapages très dangereux. »

Corinne Bouchoux, vice-présidente au Sénat, juge elle aussi que le casting de la questure à l’Assemblée est une « erreur ». « Il est extrêmement important que vous ayez la majorité mais aussi que l’opposition ait une place pleine et entière. C’est, j’allais dire, une erreur de management. »

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