Nouveau quinquennat, même tension. Les relations entre l’exécutif et le Parlement ne semblent pas partir sur de bonnes bases. En effet, l’opposition s’est étranglée à lecture de l’interview d’Emmanuel Macron à plusieurs titres de la presse régionale, vendredi. En cause : l’annonce de la création d’un Conseil national de la refondation.
Ce Conseil que le chef de l’Etat veut réunir dès après les législatives rassemblera les forces politiques, économiques, sociales, associatives du pays mais aussi des citoyens tirés au sort pour lancer ses réformes touchant au pouvoir d’achat, à l’écologie, aux institutions et aux retraites.
Un organe qui n’est pas sans rappeler le grand débat ou la Convention citoyenne. Invité de la matinale de Public Sénat, le sénateur centriste de la Haute-Savoie, Loïc Hervé, le rappelait : « On a déjà eu la Convention citoyenne pour le climat et on a bien vu ce que ça a donné en termes de résultats ». Au Sénat, le principe même de la Convention citoyenne pour le climat avait été perçu comme une énième tentative d’affaiblissement du Parlement.
Cette nouvelle « commission Théodule » est perçue comme une tentative d’empiéter sur les pouvoirs du Parlement. Le président de la République assume, par ailleurs, le clin d’œil appuyé au Conseil national de la résistance, allant jusqu’à affirmer que nous vivions dans « un temps comparable ».
« Dans le CNR de la résistance, il n’y avait pas de citoyens tirés au sort et heureusement. Si on envisage des réformes institutionnelles à court ou moyen terme, il faut laisser cette fonction-là aux représentants du peuple », tance Loïc Hervé (voir la vidéo ci-dessous).
Conseil national de la refondation : « Il faut laisser cette fonction-là aux représentants du peuple », juge Loïc Hervé
Le président de la république a précisé que ce Conseil aurait pour mission de répondre aux cinq objectifs du quinquennat : « L’indépendance (industrielle, militaire, alimentaire…), le plein-emploi, la neutralité carbone, les services publics pour l’égalité des chances et la renaissance démocratique avec la réforme institutionnelle ».
Le premier rendez-vous de ce Conseil devrait se tenir autour du pouvoir d’achat, la préoccupation majeure des Français. « Dès cet été seront votés la loi pouvoir d’achat et un texte de simplification et d’urgence pour les projets d’énergie », a indiqué Emmanuel Macron. Dans l’esprit du chef de l’Etat, ce Conseil vise à garantir moins de verticalité du pouvoir. « Les Français sont fatigués des réformes qui viennent d’en haut », a-t-il justifié.
« Un bidule au service d’une politique bidon »
Le chef de la droite sénatoriale, Bruno Retailleau, s’est exprimé à ce sujet sur France 2. « On est à quelques jours d’une élection et Emmanuel Macron nous dit que pour refonder, il faut un lieu de débat. Mais le lieu de débat c’est le Parlement », s’agace le sénateur de Vendée. « C’est un nouveau machin macronien, c’est un bidule au service d’une politique bidon, d’une politique d’illusion », lance-t-il encore.
A l’issue du dernier conseil stratégique ce mardi, le président des Républicains, Christian Jacob, appelle Emmanuel Macron à « un peu d’humilité avant de se comparer au Général de Gaulle » (lire notre article). « C’est un mépris hors du commun ! Les lois se votent à l’Assemblée », tempête aussi le député de Seine-et-Marne
« Je ne vois pas bien la nécessité d’ajouter un autre organisme », réagit quant à elle Muriel Jourda, sénatrice LR du Morbihan. La secrétaire de la commission des Lois reste très opposée à la politique du tirage au sort. « On a une démocratie représentative qui a l’immense avantage de donner le pouvoir à des gens qui en réponde. Quelle est la légitimité des conventions tirées au sort ? Quelle est la légitimité de ceux qui donnent un avis qui ne peut engager qu’eux-mêmes ? », interroge Muriel Jourda.
« Emmanuel Macron affiche un mépris des corps intermédiaires et en l’occurrence du Parlement », tacle Dominique Estrosi-Sassone. La sénatrice LR des Alpes-Maritimes rappelle que le président de la République est déjà accusé d’avoir dévitalisé le Parlement. « C’est un nouveau coup qui est porté à la démocratie représentative. On n’a aucun moyen de le croire quand il nous dit que c’est un nouveau mandat, une nouvelle méthode », déplore la sénatrice LR.
« A quoi va servir l’Assemblée nationale ? »
« A quoi va servir l’Assemblée nationale ? », interroge, de son côté, le sénateur socialiste, Jean-Pierre Sueur. Pour l’ancien président de la commission des Lois, les prérogatives de ce Conseil sont tout simplement celles du Parlement. « C’est une manière de doublonner ou de contourner le Parlement », s’inquiète-t-il. « Pourquoi incitons-nous nos concitoyens à se rendre aux urnes si les sujets les plus importants sont confiés à une institution ad hoc ? », s’agace également Jean-Pierre Sueur.
Sénatrice PS de Paris, Marie-Pierre de La Gontrie y voit « un mépris pour le Parlement ». Pour elle, l’annonce de Conseil ne vise qu’à « combler le vide d’un quinquennat à l’arrêt » et le fait que cette annonce soit faite une semaine avant le premier tour des législatives interroge.
« Emmanuel Macron veut anesthésier la campagne législative et le débat démocratique »
Pour le chef du groupe socialiste du Sénat, le président de la République veut « anesthésier la campagne législative et le débat démocratique ». A trois jours de la fin de la campagne, le président lâche une idée pour montrer qu’il est encore là », peste Patrick Kanner.
Le sénateur PS du Nord insiste sur un point : il n’est pas opposé à plus de participation citoyenne. « Nous proposions l’instauration du RIC (référendum d’initiative citoyenne) pendant la présidentielle », en veut-il pour preuve. Mais « le rééquilibrage de la démocratie représentative doit se faire dans un cadre institutionnel », appuie Patrick Kanner. Et de rappeler le Grand débat et ses cahiers de doléances restés lettre morte. Un grand débat qui, il le rappelle, a coûté la modique somme de 12 millions d’euros. L’élu socialiste s’interroge également le rôle du Conseil Économique Social et Environnemental (Cese).
Après l’annonce du chef de l’Etat, le président du CESE, Thierry Baudet, s’est fendu d’un communiqué pour dire que son organisme se tenait prêt « à prendre sa part dans une refondation qu’il appelle depuis longtemps de ses vœux ». Les contours de ce que sera le Conseil national de la refondation devraient être précisés prochainement.