Les sénateurs voient rouge sur certains aspects de la révision de la Constitution. Ils y voient encore flou aussi, alors que les trois textes de la réforme (projet de loi constitutionnelle, projet de loi organique et projet de loi ordinaire) doivent être présentés en conseil des ministres en avril. Ce mercredi à 17h00, Édouard Philippe présentera la copie du gouvernement.
Les discussions progressent mais n’ont pas encore abouti. Vendredi, le couple exécutif et les présidents des deux assemblées se sont entretenus. À l’issue de la réunion, le président du Sénat Gérard Larcher a, certes, salué des « avancées significatives », mais il a surtout démenti tout accord sur une réduction de 30% du nombre de parlementaires, contrairement à ce qu’avançaient des sources à l’Élysée.
Dans la foulée, le président du Sénat a décidé de convoquer en urgence le groupe de travail sur la révision constitutionnelle, un espace de travail réunissant des sénateurs de toutes tendances politiques, et qui a déjà eu l’occasion de formuler 40 propositions en janvier sur cette réforme. Le rendez-vous s’est tenu ce mardi en fin d’après-midi à la présidence du Sénat. À la sortie, les sénateurs ignoraient encore beaucoup de choses des intentions précises du gouvernement.
« Pas grand-chose n’a avancé »
« Tant que nous ne savons pas exactement ce que veulent proposer le président de la République et le Premier ministre – nous en discutons, des échanges ont lieu – nous ne sommes pas en mesure de donner des conclusions », a réagi sur notre antenne le président (LR) de la commission des Lois, Philippe Bas.
Réforme de la Constitution : « Il est nécessaire que le lien entre citoyens et représentants ne soit pas distendu », avertit Philippe Bas
Philippe Bas (LR) : « Il est nécessaire que le lien entre citoyens et représentants ne soit pas distendu » (Sénat 360)
Éliane Assassi, la présidente du groupe communiste, citoyen, républicain et écologiste (CRCE), qui a critiqué à plusieurs reprises « l’opacité » entourant les négociations sur la révision constitutionnelle, a conclu elle aussi qu’il y avait encore « plein de zones d’ombre ». « Ce que je mesure après cette réunion, c’est qu’il n’y a pas grand-chose qui a avancé », a-t-elle reconnu au micro de Sénat 360. Selon la sénatrice de Seine-Saint-Denis, sur « un certain nombre de questions », « nous n’avons pas de réponses ».
Réforme constitutionnelle : « Pas grand-chose n’a avancé », regrette Éliane Assassi
Éliane Assassi (PCF) : « Il y a encore plein de zones d’ombres sur ces textes » (Sénat 360)
Grandes « préoccupations » sur la représentation des territoires
La question de la réduction de 30% du nombre de parlementaires concentre l’essentiel des inquiétudes. Moins de parlementaires, ce sont des circonscriptions plus grandes à couvrir pour chaque député et sénateur, a fortiori dans les zones rurales. « Il est nécessaire que le lien entre citoyens et représentants ne soit pas distendu. Ne le distendons pas, sinon, c’est la démocratie qui dépérit », a averti le président de la commission des Lois.
Son prédécesseur, le socialiste Jean-Pierre Sueur, s’est dit lui aussi « très préoccupé » par ce projet d’une diminution du nombre de parlementaires. « Il est nécessaire pour les parlementaires – et pour les sénateurs en particulier – de faire à 100% le travail au Parlement, et d’être présent sur le terrain pour dialoguer avec les concitoyens », a expliqué à PublicSenat.fr le sénateur du Loiret.
Là n’est pas le seul problème. Si l’idée (défendue par de nombreux parlementaires) d’un minimum d’un sénateur et d’un député par département était retenue, les écarts de représentativité des différents départements au Parlement risqueraient de s’accroître significativement. Réduire le Sénat de 348 à 244 membres (30% de baisse), cela signifie : 101 sénateurs pour assurer au moins un représentant pour chaque département, et 143 restants à répartir, en fonction de la population. Insuffisant pour Jean-Pierre Sueur, qui rappelle que les écarts maximums de représentation entre territoires ne peuvent excéder 20% par rapport à la moyenne de l’ensemble. Il s’agit d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel, passage obligé pour l’examen de la loi organique fixant le nombre de parlementaires.
Jean-Pierre Sueur ignore d’ailleurs s’il existe « une marge de négociation » avec le gouvernement, pour tenter d’atténuer la baisse du nombre de parlementaires.
Abandon de l’encadrement du droit d’amendement ?
Une autre piste de l’exécutif, dans l’optique de rendre plus efficace le travail parlementaire, avait soulevé une vive protestation dans la représentation nationale : la limitation du droit d’amendement en fonction du poids des groupes parlementaires. Le projet pourrait-il être abandonné ? « C’est vrai qu’on en entend moins parler et c’est heureux », a réagi, soulagé, Philippe Bas. « Cela ne fera pas l’objet de la révision pour l’instant. Visiblement, c’est abandonné », a indiqué à PublicSenat.fr, Hervé Marseille, le président du groupe centriste au Sénat.
Il y aurait malgré tout certaines « évolutions » et « avancées ». Et parmi lesquelles, une sur la question du non-cumul dans le temps. La droite s’y est notamment opposée, et Gérard Larcher en a longtemps fait une ligne rouge, au nom de la liberté de choix des électeurs et de la difficulté de constituer des listes en milieu rural.
L’interdiction d’exercer plus de trois mandats identiques consécutifs n’aurait pas concerné les élus des communes de moins de 3.500 habitants dans le projet initial du gouvernement. Selon un(e) membre du groupe de travail sénatorial, la mesure pourrait être encore assouplie pour les élus locaux : 2020 pourrait être le point de départ du premier mandat dans le calcul, et le seuil d’application pourrait être relevé à 9.000 habitants, voire « éventuellement jusque 20.000 ».
Annonces imminentes d’Édouard Philippe
Face à ces incertitudes et ces pistes de travail, les sénateurs sont désormais suspendus à la copie de Matignon. Le Premier ministre devrait faire une « déclaration » sur la révision constitutionnelle « en milieu de semaine ». Mardi soir, aucune date n’était encore fixée dans l’agenda d’Édouard Philippe.
Faut-il y voir le signe d’ultimes négociations ou d’ajustements techniques de dernière minute ? Les membres de la Haute assemblée sont partagés mais constatent que beaucoup de chemin reste à parcourir jusqu’à un vote sur la révision constitutionnelle.
La réunion vendredi entre Emmanuel Macron, Édouard Philippe, Gérard Larcher et François de Rugy ne s’inscrivait que dans une « phase préliminaire en réalité », a considéré Philippe Bas. « On pense qu’on approche de la fin, je dirais qu’on approche du début ! »
Son collègue centriste Hervé Marseille acquiesce. « Tout cela évoluera. Le texte d’Édouard Philippe va constituer une base, mais il y aura un débat parlementaire. »