Après la flexibilisation du marché du travail amorcée avec les ordonnances, le gouvernement se tourne vers le volet sécurité. L’exécutif a notamment dans sa ligne de mire les contrats précaires (CDD, intérim), dont la place dans le nombre d’embauches n’a cessé d’augmenter depuis le début des années 2000.
Pour « inciter au recours au CDI » et « responsabiliser » les employeurs, Emmanuel Macron a annoncé le 2 mars qu’il instaurerait un « bonus-malus » pour les entreprises s’il était élu. Sur la méthode, l’ancien candidat a détaillé son mécanisme, à la manière d'un « pollueur-payeur » inspiré des États-Unis, le 28 mars lors d’une table ronde avec le Medef.
« Dans un même secteur, dans les mêmes conditions macroéconomiques, il est normal que l’on récompense ceux qui agissent bien et qu’il y ait plutôt un malus qui pour ceux qui agissent mal », exposait-il, précisant que le mécanisme serait « défini par branche ».
Un taux de cotisation chômage plus que doublé pour les mauvais élèves
Finalement, ce bonus-malus devrait être intégré à la future réforme de l’assurance chômage, qui doit voir le jour en 2018. Selon les Échos, le gouvernement prévoit de passer d’un taux de cotisation fixe de la contribution patronale à l’assurance chômage à un taux variable, actualisé chaque année, en fonction du type d’embauches réalisées, et du montant des indemnisations que les fins de contrat ont occasionné.
Le quotidien économique affirme que ce taux de cotisation patronale pourrait s’échelonner de 2%, pour les entreprises les plus vertueuses, à 10% pour les celles qui abuseraient du nombre de contrats courts. Actuellement, le taux – fixe – est à 4,05%.
Ce système de bonus-malus a également reçu le soutien de plusieurs économistes. Le prix Nobel d’Économie Jean Tirole y est notamment favorable depuis déjà de nombreuses années. Cette préconisation s’est également retrouvée dans plusieurs rapports remis à Matignon, en 2013 (Direction générale du Trésor) ou encore en 2015 (Conseil d’analyse économique).
Une loi au printemps 2018 ?
L’idée de moduler les cotisations patronales est une piste défendue par la majorité des syndicats depuis une dizaine d’années. La CGT souhaite une surtaxe sur les contrats précaires, et la CFDT propose des charges dégressives sur les entreprises faisant le choix de conserver le plus longtemps possible leurs salariés. Force Ouvrière (FO) s’est elle montrée favorable depuis longtemps à la création d’un bonus-malus.
« Nous pensons que cela peut être un système vertueux dans les entreprises », explique à PublicSenat.fr Michel Beaugas, le négociateur de FO sur les questions d’assurance chômage. Selon lui, un texte de loi pourrait voir le jour en avril 2018, et serait ensuite voté durant l’été pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2019.
Invité à commenter les deux extrêmes des taux de cotisation dévoilés par Les Échos, le secrétaire confédéral de FO les a jugés « crédibles ». « Cela laisse de l’espace pour la négociation », admet-il.
Le patronat est, lui, beaucoup moins enthousiaste. Pendant qu’Emmanuel Macron réalisait sa première interview télévisée depuis son élection, l’ancienne présidente du Medef Laurence Parisot parlait d’une « petite bombe pour beaucoup d’entreprises ».
« Il ne faut pas chercher à stigmatiser les secteurs d’activité qui utilisent le plus de ce type de contrats », nous déclare Jean-Michel Pottier, vice-président de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises). Il craint que la mesure puisse avoir des « effets contraires » en termes d’emplois.
Déjà des surtaxes et des exonérations instituées dans le précédent quinquennat
Sur la forme, le système de bonus-malus annoncé par Emmanuel Macron n’est pas novateur en réalité. En 2013, lors de la loi sur la sécurisation de l'emploi, les partenaires sociaux avaient déjà majoré des cotisations (jusqu’à 7% pour des CDD de moins d’un mois) et institué des exonérations dans certains cas. Ces mesures, qui n’étaient pas suffisamment « incitatives », selon Michel Beaugas, n’ont pas produit les effets escomptés sur le marché du travail. En 2016, 85% des embauches se faisaient en CDD.
Plusieurs de ces modulations ne sont aujourd’hui plus en vigueur. En effet, le 1er octobre est entré en application la nouvelle convention de l’Unedic (l’organe qui organise le financement de l’assurance chômage), négociée entre les partenaires sociaux au printemps dernier.
« Il me semble très dommage de ne pas attendre »
C’est justement ce que souligne Jean-Michel Pottier (CPME), qui regrette l’empressement du gouvernement sur la question des CDD. « On a changé les paramètres de la prise en charge de l’assurance chômage. C’est de nature à changer beaucoup de comportements et de mentalités sur le sujet. Avant de vouloir tout changer, il faut laisser infuser les réformes que l’on vient de faire. La réforme date du 1er octobre, c’est un peu tôt », nous déclare-t-il, assurant que les branches vont apporter des réponses à la « problématique » ces CDD.
Jean-Michel Pottier rappelle également que les ordonnances n’ont pas non plus produit leurs effets. « Avant de faire quoi que ce soit pour réformer l’assurance chômage, il faudra donner du temps pour que les branches exercent leurs nouvelles responsabilités confiées par la réforme du Code du travail », souligne-t-il. Les ordonnances prévoient que les caractéristiques des CDD (renouvellement, délai de carence) soient négociées au sein des branches professionnelles.
La phase de concertation sur l’assurance chômage, qui doit démarrer vers la fin du mois de novembre, risque d’être animée.