C’est un point d’un projet de loi de programmation et d’orientation de la Justice qui avait fait débat il y a deux semaines, lors de l’examen du texte, au Sénat. L’article 3 adopté par la Haute assemblée en première lecture comporte des dispositions diverses sur la procédure pénale, comme l’extension des perquisitions de nuit, mais surtout l’activation à distance des téléphones portables à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire.
Le texte prévoit deux techniques. La première, l’activation d’un appareil électronique à distance dans le but de géolocaliser une personne, est autorisée sur requête du procureur de la République, ou du juge d’instruction pour des affaires relative à un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Plus polémique, le projet de loi prévoit également l’activation à distance de la caméra et du micro de ces appareils pour des affaires de terrorisme, ou relatives à la criminalité organisée.
« Cet outil a-t-il sa place dans la démocratie ? »
La gauche du Sénat avait massivement voté contre dénonçant une atteinte sans précédent au respect de la vie privée. « Le suspect va prendre son portable dans le métro. Toutes les conversations autour seront alors captées. Pareil, s’il va au restaurant. Toute conversation dans l’espace public est alors sous écoute », avait fait valoir dans l’hémicycle, le sénateur écologiste, Guy Benarroche.
Son collègue communiste, Pascal Savoldelli a décidé de ne pas en rester là et a annoncé mercredi 21 juin, lors d’une conférence de presse, la création d’un groupe de travail, composé de spécialistes des données, de juristes, de sociologues… « Une fois rendues acceptables pour le terrorisme, ces pratiques de surveillance seront étendues progressivement à tout et n’importe quoi. Sans oublier qu’il accompagne les multinationales numériques, dans l’illégalité, et autorise l’accès à leurs dispositifs techniques permettant la mise en œuvre d’une surveillance généralisée », a-t-il dénoncé.
« Cet outil a-t-il sa place dans la démocratie ? Assiste-t-on à un recul de l’Etat de droit ? Est-ce qu’on peut le réguler et l’encadrer ? » sont autant de questions que se posent les membres de ce collectif.
« Je sais ce que cela veut dire de se demander si nos téléphones nous enregistrent à tout moment »
Au côté de Pascal Savoldelli, le sociologue, Thomas Le Bonniec a visiblement bien suivi les débats parlementaires et a cité une intervention du sénateur LR, Stéphane Le Rudulier lors de l’examen de l’article 3 du projet de loi Justice. Le sénateur avait rappelé que les utilisateurs donnaient déjà leurs données personnelles et biométriques aux Gafam, il n’y avait donc pas de raison, selon lui, de refuser à l’Etat d’assurer leur protection sous le contrôle de la CNIL et du Parlement.
Thomas Le Bonniec connaît bien ce sujet. En tant qu’ancien employé d’Apple, il avait « écouté et retranscrit des milliers d’enregistrements qui parlaient à ou autour de l’assistant vocal, Siri. « Plusieurs centaines de millions d’enregistrements étaient effectuées à l’insu des utilisateurs. Je sais ce que cela veut dire de se demander si nos téléphones nous enregistrent à tout moment ». « M. Le Rudulier raisonne à l’envers, il aurait fallu depuis longtemps mettre fin à l’impunité régnante concernant les systèmes d’écoute à caractère commercial développé par les Gafam », a-t-il plaidé.
Auteur d’un rapport sur l’ubérisation de la société, Pascal Savoldelli était aussi accompagné de Brahim Ben-Ali, secrétaire national de l’intersyndicale nationale des VTC qui a fait le parallèle entre l’article 3 du projet de loi et son quotidien qu’il qualifie de « matraquage numérique ». « Tous les travailleurs de plateformes le subissent […] Le gouvernement se dit si les Gafam surveillent n’importe quel individu avec des appareils connectés les géolocalisent à tout moment, pourquoi pas nous ? On va basculer dans une société comme en Chine. Si vous n’avez pas beaucoup de points vous ne pourrez plus utiliser certains services, comme les transports », craint-il.
A noter, que l’article 3 du projet de loi prévoit quelques garanties à l’activation à distance des téléphones, une technique subordonnée à l’autorisation d’un juge et interdite dans certains lieux : les cabinets médicaux, les entreprises de presse, les domiciles des journalistes, les études de notaires et des huissiers. Un amendement de la commission des lois a élargi la protection aux personnes qui travaillent et résident dans ces lieux protégés.
En conclusion, Pascal Savoldelli a indiqué espérer que son groupe de travail « s’élargisse politiquement », afin de construire une alternative à l’utilisation du numérique pour « en faire un outil d’une République des communs ».