Contrôle parlementaire des politiques européennes : l’exemple danois

Contrôle parlementaire des politiques européennes : l’exemple danois

Le Sénat organisait aujourd’hui un colloque autour du « rôle des Parlements nationaux dans l’Union européenne. » Alors qu’une renégociation des traités pourrait être mise sur la table par la France, ce colloque a été l’occasion de discuter du dispositif danois de mandats donnés par le Parlement au gouvernement pour négocier les législations européennes.
Louis Mollier-Sabet

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Dans moins d’un mois maintenant, la France prendra la présidence de l’Union Européenne. La crise sanitaire a rendu les dispositions budgétaires des traités inadaptées et la question du mécanisme européen de stabilité (MES), va être amenée à se poser. Au Sénat, on s’inquiète déjà de la méthode qui sera arrêtée si jamais de telles négociations venaient à voir le jour. Lors d’un colloque organisé ce lundi au Palais du Luxembourg sur « le rôle des Parlements nationaux dans l’Union européenne », Pierre Laurent, vice-président communiste du Sénat, regrette que « l’exécutif se dise favorable à une évolution des règles », mais ne soit pas capable de préciser ses objectifs dans les négociations. Le sénateur de Paris a pourtant interrogé Bruno Le Maire sur le sujet, mais s’est vu opposer à deux reprises les interrogations autour des tractations au sein de la coalition allemande et de la ligne budgétaire qui émergera dans le futur gouvernement. On sait d’ailleurs depuis que c’est le libéral Christian Lindner qui sera nommé au sacro-saint ministère des Finances, ce qui ne va pas simplifier la tâche du gouvernement sur le sujet.

Le paradoxe d’un fonctionnement des institutions européennes « presque eurosceptique par sa philosophie »

Mais d’après le vice-président du Sénat, c’est prendre le problème dans le mauvais sens. Au-delà des positions de chacun sur le fond du sujet, « nous pourrions tomber d’accord sur le fait qu’il faille saisir les Parlements nationaux, sinon nous allons retomber dans les travers de la gouvernance opaque européenne. » Si les positions de Pierre Laurent sur les règles budgétaires européennes sont loin de faire l’unanimité dans la classe politique française, le constat sur l’opacité des négociations européennes et sur l’opportunité qu’offrent les Parlements nationaux pour y remédier est déjà beaucoup plus partagé. Les chercheurs présents notamment, ont aussi identifié ce problème d’un cantonnement des Parlements nationaux à un rôle « défensif » dans les institutions européennes. Pour Olivier Rosenberg, professeur associé à Sciences Po, la procédure actuelle de participation des Parlements nationaux à la vie politique et institutionnelle européenne « cantonne les Parlements dans leur rôle de garant de la souveraineté nationale » et est « presque eurosceptique dans sa philosophie » : « C’est le danger de procédures gadgets qui excitent les spécialistes, mais qui ne font que masquer la technicité réelle des processus de négociation et de décision. »

Derrière les discussions juridiques et techniques entre les spécialistes réunis au Palais du Luxembourg pour ce colloque, se trouvent de véritables enjeux politiques. Politiquement, à un moment de grande défiance dans les institutions politiques en général, et dans les institutions européennes en particulier, il semble important de clarifier les positions de chacun sur des questions aussi primordiales que les règles budgétaires européennes. Or, « nous sommes un des seuls Etats où celui qui nous représente au Conseil Européen n’est pas le chef du gouvernement et n’est donc pas responsable devant le Parlement », rappelle Didier Blanc, professeur de droit public à l’Université Toulouse I Capitole. La question n’est pas seulement de défendre les prérogatives des Parlements nationaux – et en l’occurrence du Sénat français – mais bien, plus généralement, que les positions prises pendant ces négociations soient claires et assumées politiquement par les gouvernements. Le flou qui avait régné autour de la position française sur la taxation mondiale des entreprises a de quoi faire craindre pour les futures renégociations des traités européens. Il existe un véritable enjeu de transparence derrière ces tractations, pour que les parlementaires, mais aussi les citoyens, puissent d’abord savoir ce que défendra leur gouvernement, puis le compromis qui a été obtenu, sans qu’un gouvernement puisse rejeter sur les autres Etats-membres ou l’Union Européenne des décisions qu’il ne voudrait pas assumer au niveau national.

L’exemple du mandat parlementaire au Danemark

Pour ce faire, le timing est un élément primordial, puisqu’il faudrait que les Parlements nationaux puissent intervenir en amont des négociations et que le gouvernement leur expose leurs priorités dans les négociations à venir. « Il faudrait ouvrir un processus dans chaque pays pour définir des mandats et mettre les positions de tout le monde sur la table. Sinon, cela va être un cas d’école de ce qui ne fonctionne pas. Un compromis va être négocié de façon opaque par l’exécutif et nous en serons saisis quand ça ne pourra plus bouger parce que les équilibres auront été trouvés » détaille Pierre Laurent. Les différents chercheurs présents, eux, parlent de processus d’intervention « positifs » des Parlements nationaux dans l’Union européenne, contrairement aux droits de véto ou de contrôle en vigueur aujourd’hui.

Pour concrétiser un peu plus la réflexion, Jean-François Rapin, président de la commission des Affaires européennes du Sénat, a invité Lotte Olesen, Représentante du Parlement danois auprès des Institutions européennes à détailler les avantages et les inconvénients du système des « mandats parlementaires » en vigueur au Danemark. Sur chaque législation européenne majeure, le gouvernement fournit une évaluation aux parlementaires et doit présenter sa position de manière publique devant la commission des Affaires européennes, tout en s’assurant par des négociations préalables d’y obtenir une majorité favorable à l’action du gouvernement en la matière. Le gouvernement danois demande ainsi de 60 à 80 mandats par an, dont la moitié est soutenue par l’opposition. Ce système a le mérite d’obliger le gouvernement à publiciser sa position sur les dossiers européens et éventuellement d’ouvrir un débat politique dans le cadre national.

Pour autant, les mandats sont souvent demandés en fin de négociation à Bruxelles et il est donc difficile pour les parlementaires danois d’amender le compromis obtenu par le gouvernement. La pratique de la procédure est donc encore loin d’être aboutie et Lotte Olsen propose plusieurs pistes d’amélioration à la réflexion menée aujourd’hui au Sénat, en réfléchissant notamment à une demande de mandat plus en amont, quitte à ce que le gouvernement retourne devant le Parlement plus tard avec une version modifiée. Jean-François Rapin et les différents participants au colloque se montrent intéressés, mais – les Danois n’ayant qu’une seule assemblée – pour adapter ce dispositif au contexte institutionnel français, il faudrait prendre en compte le bicamérisme et l’existence du Sénat. Il semble en effet plus difficile de demander des mandats aux deux chambres et de rentrer dans une navette parlementaire pour chaque législation européenne. « Le système français est défavorable à ce type de dispositif, surtout avec le bicamérisme » d’après Didier Blanc. « Cela ne peut pas être l’argument pour revenir sur le bicamérisme français » l’arrête tout de suite Jean-François Rapin. En tout cas, la présidence française de l’Union européenne approche, et, alors qu’elle se déroulera en pleine campagne électorale, on ne sait toujours pas exactement quels seront les dossiers prioritaires du gouvernement. Emmanuel Macron devrait d’ailleurs tenir une conférence de presse à ce sujet le jeudi 9 décembre prochain.

» Lire aussi : Sondage : les élus locaux ont « une relation ambivalente » vis-à-vis de l’Union européenne

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