« C’est la première action de groupe en France contre les contrôles d’identité discriminatoires ». Dans leur requête transmise au Conseil d’Etat, six associations et ONG dont Amnesty International, Human Rights Watch ou encore Open Society Justice Initiative, soutiennent que la pratique du contrôle au faciès est « généralisée », « inscrite profondément dans l’action policière au point que la discrimination qu’elle constitue est systémique », selon un document transmis à l’AFP.
Les requérants « n’accusent pas les policiers pris individuellement d’être racistes », mais demandent au Conseil d’Etat « de constater le grave manquement de l’Etat consistant à laisser perdurer la pratique » et « d’enjoindre aux autorités de prendre les mesures nécessaires pour y remédier », ont-ils écrit dans un communiqué commun, rappelant que cette pratique était « illégale au regard du droit français […] et international ».
C’est la suite d’une procédure entamée en 2021, lorsque les ONG avaient adressé une mise en demeure au gouvernement pour que des « réformes structurelles » soient adoptées. Mais face à l’absence de réponse, interprétée comme un « refus implicite », elles se sont finalement tournées vers le Conseil d’Etat.
Les associations et ONG réclament une série de mesures telles que la modification du Code de procédure pénale pour interdire la discrimination dans les contrôles d’identité, exclure les contrôles administratifs, créer un système d’enregistrement et d’évaluation des données relatives aux contrôles d’identité, fournir une preuve de contrôle, sur le modèle du récépissé…
Proposition de loi du groupe communiste
En 2016 au Sénat, la sénatrice Esther Benbassa, à l’époque membre du groupe communiste, avait, sans succès, déposé une proposition de loi imposant la remise d’un procès-verbal après chaque contrôle. L’article 78-2 du code de procédure pénale ainsi modifié, le procès-verbal aurait mentionné « les motifs justifiant le contrôle ainsi que la vérification d’identité », le jour et l’heure, « le matricule de l’agent ayant procédé au contrôle et « les observations de la personne ayant fait l’objet du contrôle ». A cette époque, le rapport d’activité du Défenseur des droits avait conclu qu’un jeune homme « perçu comme noir ou arabe » avait vingt fois plus de chances d’être contrôlé que le reste de la population. A noter qu’en 2012, Esther Benbassa avait déjà déposé ce texte avec le même résultat.
Le sujet du contrôle au faciès est revenu sur le devant de l’actualité en 2020 suite à la diffusion des images montrant le producteur de musique noir Michel Zecler se faire frapper par des policiers lors d’un contrôle. Interrogé sur Brut, Emmanuel Macron avait reconnu l’existence des contrôles au faciès. « Aujourd’hui, quand on a une couleur de peau qui n’est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé […]. On est identifié comme un facteur de problème et c’est insoutenable », avait-il déploré provoquant la colère d’Alliance et Unité SGP-Police-FO. Les syndicats de police avaient dans la foulée, annoncé un boycott des contrôles d’identité.
A la chambre haute, le débat autour du récépissé ou procès-verbal avait ressurgi. La présidente du groupe communiste Éliane Assassi avait, un temps, pensé redéposer un texte en ce sens. La droite avait de nouveau fait part de son opposition. « La police croule sous la paperasserie, il ne faut pas en rajouter », avait mis en garde, François Grosdidier, auteur d’un rapport en 2018 sur le malaise des forces de sécurité intérieure. Pour ramener la « paix et la justice », le sénateur LR appelait le gouvernement à généraliser au plus vite les caméras piétons.
Généralisation des caméras piétons mais pas de transmission d’images au public
Du côté de Beauvau, reconnaissant que les contrôles étaient « parfois perçus comme ciblés », Christophe Castaner avait promis que son ministère mettrait en œuvre des actions pour qu’ils ne soient jamais « le paravent des discriminations ». La formation, initiale ou continue a depuis été « renforcée », et des « instructions » avaient été envoyées à la police et la gendarmerie nationale afin de rappeler l’obligation du port du RIO, le matricule des forces de l’ordre. Le ministre s’était enfin engagé à ce que l’usage des caméras piétons soit « renforcé » lors des contrôles d’identité. La loi sécurité globale de 2021 viendra par la suite généraliser l’usage des caméras piétons par les forces de l’ordre. Les images sont transmises en temps réel à la salle de commandement, lors d’une manifestation, « lorsque la sécurité des agents de la police […] ou la sécurité des biens et des personnes est menacée ». Initialement prévue, la possibilité de transmettre aux médias ces images « information du public sur les circonstances de l’intervention », a été retirée lors de l’examen du texte au Sénat afin d’éviter une « bataille des images ».
Suivant la courbe de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) votée l’année dernière, le budget sécurité pour 2023 prévoyait l’achat de caméras piétons pour atteindre « le chiffre de 54 000 et ainsi renforcer notre transparence sur l’action des forces de l’ordre ».
Un amendement du groupe écologiste à la loi LOPMI
Lors de l’examen du projet de loi LOPMI, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin était sorti de ses gonds lorsque fut abordé en séance, le sujet du contrôle au faciès. Un amendement du groupe écologiste demandait la publication par Beauvau des « statistiques relatives aux opérations de contrôle de la population, notamment par zone géographique et par classe d’âge ». « On pense que ces contrôles ne sont pas faits d’une manière cohérente entre les différentes couches sociales, raciales… etc. Disons-le », avait argué le sénateur, Guy Benarroche.
« Je pense que vos propos ont dépassé votre pensée. Parce que ce que vous dites clairement, c’est qu’une partie de la police de la République est raciste […] Ces propos sont profondément blessants et insultants pour les policiers de la République. Vous ne devez pas en voir beaucoup pour imaginer qu’il n’y a qu’un type de policier dans la police nationale. C’est une insulte pour tous ceux qui sont issus eux-mêmes de l’immigration », s’était indigné Gérald Darmanin.
L’Etat a déjà été condamné pour des contrôles dits « au faciès », en juin 2021 par la Cour d’appel de Paris ou encore en 2016 par la Cour de cassation.