COP26 : l’ambassadeur français pour le climat décrit un chemin jonché d’embûches

COP26 : l’ambassadeur français pour le climat décrit un chemin jonché d’embûches

Stéphane Crouzat, l’ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique était auditionné mercredi 13 octobre par la commission sénatoriale de l’aménagement du territoire et du développement durable. À moins de trois semaines de la COP26 à Glasgow, ce diplomate a listé les principaux points de crispation d’une rencontre qui s’annonce cruciale pour endiguer le réchauffement climatique.
Romain David

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Le réchauffement climatique continue de gagner du terrain comme l’a douloureusement rappelé en août la publication du premier volet du sixième rapport d’évaluation du GIEC sur le climat. « L’urgence est maintenant avérée, ce rapport nous dit que nous devrions atteindre la fourchette basse de la limite de réchauffement fixée par l’accord de Paris, c’est-à-dire une augmentation des températures de 1,5°c, autour de 2030, soit dix ans plus tôt que les précédentes estimations », résume Stéphane Crouzat, l’ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique. Mercredi soir, ce diplomate était auditionné par la commission sénatoriale de l’aménagement du territoire et du développement durable, dans la perspective de la COP26 qui s’ouvrira le 31 octobre à Glasgow, en Écosse.

Cinquième conférence depuis l’adoption de l’accord de Paris sur le climat, la COP26 représente « un test majeur du mécanisme ascendant » mis en place fin 2015, pour reprendre les mots du président de la commission, le sénateur Union Centriste Jean-François Longeot, puisque ce mécanisme prévoit une remise à niveau régulière des engagements pris par les État pour faire baisser leurs émissions de gaz à effet de serre. La COP26 doit également préciser les modalités de mise en œuvre de certaines dispositions de l’accord de Paris. « Il s’agit pour les négociateurs d’adopter des décisions qui permettront l’opérationnalisation de l’accord de Paris, qui reste un accord-cadre pour lequel nous avons besoin des décrets d’application, pour rependre une terminologie française », résume Stéphane Crouzat.

Mais avec des données scientifiques de plus en plus inquiétantes, le manque de bonne volonté de certains partenaires de poids ou encore l’impossibilité pour les signataires de s’entendre sur des points techniques, la rencontre de Glasgow semble bien mal emmanchée, d’autant que la crise sanitaire a compliqué son organisation. « Le paysage est lugubre », concède Stéphane Crouzat. « Mais avec quelques bonnes nouvelles qui laissent espérer l’enclenchement d’une dynamique pendant la COP », veut-il espérer.

Des objectifs initiaux de plus en plus lointains

Premier élément d’inquiétude : les dernières publications quant au changement climatique et aux émissions de CO2 montrent que l’ensemble des pays s’éloignent de plus en plus des objectifs fixés à Paris. « Selon un rapport du secrétariat de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, nous aurions une augmentation des émissions de 16 % entre 2010 et 2030, alors que le GIEC nous dit que nous devrions les baisser de 45 % pour rester sur la trajectoire d’une augmentation des températures de 1,5°c », pointe Stéphane Crouzat. Un constat glaçant, surtout si on le confronte au manque d’ambition des politiques de diminution présentées par les pays qui ont déjà rendu leur copie pour la COP26.  « Au 30 juillet, 113 pays avaient remis de nouvelles contributions, et quand on additionne ces engagements on arrive à une réduction des émissions de 12 %, très loin donc des 45 % nécessaires. »

Bons et mauvais élèves

« Le G20 constitue 80 % des émissions mondiales et le paysage politique est contrasté », poursuit l’ambassadeur qui dénonce le manque d’ambition des copies rendues par la Russie, le Brésil, l’Indonésie, l’Australie et le Mexique. Certains poids lourds des émissions de gaz à effets de serre n’ont toujours pas pris de nouveaux engagements, comme l’Inde, l’Arabie saoudite et la Chine qui, à elle seule, représente le quart des émissions mondiales. Les tensions entre Pékin et Washington, de retour à la table des discussions climatiques sous l’impulsion de Joe Biden, nourrissent aussi de nombreuses crispations : « Il est très difficile de sanctuariser l’ensemble des questions climatiques dans la discussion bilatérale sino-américaine. » Fin septembre, la Chine a toutefois annoncé qu’elle renonçait à financer des centrales à charbon à l’étranger, un geste significatif qui laisse espérer une certaine inflexion. « Les Chinois étaient absents lors de la pré-COP de Milan. Quand des partenaires ne sont pas présents physiquement, il est plus difficile de les jauger, de les aborder dans les couloirs », nuance Stéphane Crouzat.

Une bonne nouvelle néanmoins : la ratification surprise par la Turquie, le 6 octobre, de l’accord de Paris, saluée par l’ambassadeur, qui évoque aussi les fortes ambitions affichées par l’Afrique du Sud, les Émirats arabes unis et la Corée du Sud.

Le financement climat, une pomme de discorde entre les pays développés et les plus pauvres

Le financement de la transition verte dans les pays pauvres reste un point épineux des débats, qui continuera certainement d’alimenter de nombreuses crispations. Depuis 2009, les pays riches se sont engagés à fournir chaque année, au moins jusqu’en 2025, 100 milliards de dollars de financement climat pour soutenir ces pays. En 2019, dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles, il manquait 20 milliards. « Ce sujet pollue l’ensemble des négociations sur les questions climatiques », explique Stéphane Crouzat.  « La France est sur un engagement de 6 milliards d’euros par an [essentiellement sous forme de prêts, ndlr], dont 2 milliards dédiés à l’adaptation. C’est un quadruplement par rapport à ce que nous faisions il y a quelques années, mais ça n’est pas autant que ce que souhaiterait le secrétaire général des Nations Unies qui réclame une parité entre les fonds pour l’adaptation et ceux pour l’atténuation. »

Le retour des États-Unis dans l’accord de Paris devrait permettre d’avancer dans ce dossier. Joe Biden a annoncé un doublement des fonds dédiés à la finance climat, ce qui devrait porter la contribution américaine à 11,4 milliards de dollars à l’horizon 2024.

Quelles règles pour organiser un marché mondial du carbone ?

Un sujet de taille reste encore sur la table : comment donner corps à l’article 6 de l’accord de Paris, qui se réfère à la mise en place d’un système d’échange des émissions entre parties, et pose ainsi les bases d’un marché mondial du carbone. « Les pays pourront acheter ou vendre des quotas d’émissions à d’autres pays ou bien organiser des projets spécifiques à l’étranger qui permettront de comptabiliser la baisse des émissions dans leur propre objectif », détaille Stéphane Crouzat. Il s’agit d’un point névralgique de l’accord dans la mesure où 80 % des pays qui ont soumis une contribution veulent s’appuyer sur les mécanismes de cet article 6 pour atteindre leurs objectifs.

La sénatrice PS Angèle Préville s’inquiète toutefois de la complexité d’un tel dispositif. « Est-ce qu’il y a des réalités concrètes, des seuils, des limites ? Est-ce que ça n’est pas un peu hors sol ? », interroge-t-elle. « Je suis très dubitative. » En cause notamment : la place à accorder dans ce système d’échange à des émissions difficilement quantifiables, conséquences de phénomènes sur lesquels l’homme n’a pas la main, tels que la libération du méthane contenu dans le pergélisol, la partie du sol gelée en permanence, à mesure qu’il fond, ou encore les émissions liées aux feux de forêt. « Le diable est dans les détails », concède Stéphane Crouzat. « Il faudra également s’assurer que si un projet se fait dans un pays, financé par un autre, les deux États ne vont pas comptabiliser la réduction des émissions. »

Autant de paramètres qui laissent présager du degré de technicité des débats qui vont s’engager à Glasgow. Mais aussi de probables difficultés à trouver des compromis, comme l’a résumé jeudi le sénateur écolo Ronan Dantec, non sans humour : « Bon courage Monsieur l’ambassadeur ! On a battu le record de durée des COP avec celle Madrid en 2019, mais là, vu votre feuille de route, je ne sais pas si vous avez prévu un billet de retour… »

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