Ce refus a contrarié de nombreuses petites entreprises fermées depuis la mi-mars. Leurs pertes d’exploitation (s’élevant pour l’heure à 60 milliards d’euros) ne peuvent pas être prises en charge par les assurances, car le risque de pandémie n’est pas couvert par les contrats.
De nombreux responsables politiques ont considéré que les assurances devaient néanmoins faire preuve de solidarité vis-à-vis des entreprises dont l’activité s’est stoppée net. Une demande d’autant plus justifiée selon eux, que les dépenses des entreprises d’assurance ont chuté, grâce à la baisse du nombre de sinistres, particulièrement des accidents de la route. Le Sénat, à majorité de droite et du centre, a décidé de mettre le secteur davantage à contribution qu’il ne l’est actuellement. Contre l’avis du ministre présent. La question avait déjà fait l’objet de questions d’actualité au gouvernement, ces dernières semaines.
Pour le sénateur Jean-Marc Gabouty, les économies chiffrées par les assureurs sont sous-estimées
Dans la nuit du 21 au 22 avril, les sénateurs ont adopté deux amendements identiques, pendant l’examen du nouveau projet de finances rectificative. Déposés par Jean-Marc Gabouty, sénateur du Mouvement radical (groupe RDSE), et Bruno Retailleau, le président du groupe LR, ils visent à relever le taux de la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d’assurances de dommages. Un nouveau rehaussement interviendrait en 2021.
Selon les chiffres de la fédération française de l’assurance (FFA), la baisse du nombre de sinistres sur les routes ou dans les entreprises, à la faveur du confinement, a permis d’économiser 300 à 400 millions d’euros par mois. Certains en doutent. « On se fie à ce qu’elles annoncent (…) Les chiffres d’économies me semblent très sous-estimés », a contesté Jean-Marc Gabouty, voyant plutôt l’opération se chiffrer en « milliards ». Le total des dommages habituels, pour les seuls véhicules, se chiffre à 20 milliards d’euros par an, rappelle-t-il. Le sénateur de la Haute-Vienne, qui a constaté « peu de véhicules légers » lors de son trajet vers Paris, considère que l’assurance est finalement « un des rares secteurs d’activité bénéficiaires » dans la crise actuelle. Pour Bruno Retailleau, « il est choquant, au titre de la justice, que ce secteur puisse profiter de la situation ».
Assurance : « il est choquant que ce secteur puisse profiter de la situation » (Retailleau)
D’où l’approbation, très majoritaire de l’hémicycle, pour renforcer le prélèvement sur les excédents de provisions. La recette irait alimenter le Fonds de solidarité de l’État venant en aide aux petites entreprises, artisans et indépendants. Le dispositif a reçu le soutien de la commission des Finances du Sénat. Selon le rapport général du Budget, Albéric de Montgolfier (LR), cette « petite contribution » ne paraît pas « incongrue », vu la situation. « Il y a une quasi-interdiction de déplacement, sauf motif précis (…) ce n’est pas juste un aléa habituel. »
Gérald Darmanin voit dans l’amendement une « amicale pression » du Sénat
Outre des mesures ponctuelles, comme des remises de cotisations pour leurs sociétaires, les assureurs se sont engagés, sous la pression de l’exécutif, à abonder le Fonds de solidarité de 200 millions d’euros. Après de nouvelles réunions, le gouvernement a obtenu une promesse relevée à 400 millions d’euros. « Nous pensons que nous pouvons obtenir plus, de la part des assurances », a indiqué Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes publics, lors des débats au Sénat. Il s’est déclaré défavorable aux amendements sénatoriaux, rappelant que les négociations étaient toujours en cours. Toutefois, « l’amicale pression » du Sénat, « l’expression de la nation », selon ses mots, pourrait aider Bercy à obtenir davantage.
Contribution des assurances : une « amicale pression » du Sénat
Les assurances ont également promis d’autres formes de mobilisation, après l’appel solennel d’Emmanuel Macron, qui leur demandait, dans sa dernière allocution le 13 avril, d’être « au rendez-vous ». Le 15 avril, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, annonçait que le secteur allait mobiliser 1,5 milliard d’euros d’investissements dans les PME, notamment dans le domaine de la santé. Selon la Fédération française de l’Assurance, le secteur va contribuer, au total, à hauteur de 3,2 milliards, toutes formes de soutien confondues.
195 millions versés sur les 400 millions d’euros promis pour le Fonds de solidarité
L’abondement promis au Fonds de solidarité ne s’est toutefois pas encore totalement matérialisé. En début de séance, devant les sénateurs, Gérald Darmanin indiquait que 185 millions d’euros avaient été effectivement versés, sur les 400 millions attendus. Avant de réajuster son chiffre trois heures après. « On me dit qu’ils ont fait ce soir un virement de 10 millions supplémentaires, donc 195 millions. Je voudrais quand même être honnête avec la représentation nationale. » Plus tôt, le sénateur LR Jérôme Bascher avait estimé que les assureurs « traînaient les pieds ».
Le rapporteur du Budget Albéric de Montgolfier a, par ailleurs, rappelé que le Parlement devra se pencher plus tard sur la définition d’un nouveau régime assurantiel, pour prendre en compte le risque épidémique. Le gouvernement y travaille également de son côté, en y associant les assureurs.
À l’issue de l’adoption du texte au Sénat, le relèvement de la taxe sur les provisions des assurances devra faire l’objet d’un examen par une commission mixte paritaire, qui réunira députés et sénateurs.