Dans son discours de Bastia, Emmanuel Macron s’est dit hier favorable à l’inscription de la Corse dans la Constitution. Comment cela peut-il se faire concrètement ? L’idée serait d’enrichir l’article 72 de la Constitution, qui fixe le droit commun des collectivités, avec une mention sur la Corse. Mais c’est l’article 74 qui régit les collectivités d’Outre-mer, qui a la faveur des nationalistes.
Pour Benjamin Morel, docteur en sciences politiques à l’école normale supérieure Paris-Saclay, les deux articles n’impliquent pas les mêmes conséquences : « Si c’est l’article 72, la collectivité de Corse existerait dans la Constitution, nommément (…) ça sanctuariserait cette spécificité mais après sur le fond (…) il y aurait très peu de différences avec les autres collectivités (…) L’article 74 (…) que vise les nationalistes (…) leur permet d’avoir une partie du pouvoir législatif au sens de l’article 34, c'est-à-dire en excluant tout ce qui est régalien. Et qui leur permet éventuellement également (…) de peut-être un jour accéder à l’indépendance (…) Dans ces jeux juridiques un peu obscurs, il y a de vraies conséquences. »
Et d’ajouter : « La voie qu’a semblé esquisser Emmanuel Macron hier, serait une voie de compromis très limitée, ou peut-être il pourrait y avoir un nouvel article qui suivrait l’article 72 (…) qui permettrait de donner un peu plus de compétences à la Corse pour les missions (…) notamment en termes économiques (…) mais en enlevant aux articles suivants 73, 74, leurs « dents » (…), c'est-à-dire cette dérive possible vers l’indépendance et l’acquisition d’un réel pouvoir législatif. »
Pour Benjamin Morel, le choix de l’article 72 serait tout de même lourd de conséquences : « L’évolution à travers l’article 72 est déjà extrêmement importante car ce n’est pas l’article 72 tel qu’on le connaît aujourd’hui (…) ce serait un article 72 qui permettrait le droit à la différentiation (…) C'est-à-dire que les collectivités pourraient avoir des compétences différenciées et donc pourraient éventuellement acquérir une forme d’autonomie ».
Ce qui entraînerait un risque très important d’appel d’air pour les autres territoires, cherchant à obtenir la même chose : « C’est extrêmement dangereux » prévient le docteur en science politique, qui demande « un vrai débat » sur le sujet : « On débat beaucoup du nombre de sénateurs, du cumul des mandats dans le temps, la vraie évolution et peut-être révolution de cette révision constitutionnelle si elle a lieu, c’est ce droit à la différenciation (…) Pourquoi les Bretons ou les Auvergnats (…) auraient une identité moins forte et moins réelle ? S’ils ont une identité aussi forte, pourquoi avoir moins de compétences ? (…) Là, il y a un engrenage qui est assez dangereux donc il faut discuter de ce droit à la différenciation qui représente un vrai atout du point de vue de l’adaptation et du point de vue économique mais qui représente à rebours un vrai danger du point de vue de l’unité de la République. »