Paris French President pays his respects at the tomb of the unknown soldier

Couple exécutif Borne-Macron : une première année loin d’être de tout repos

Nommée à Matignon le 16 mai 2022, Elisabeth Borne s’est retrouvée en première ligne en portant la réforme des retraites d’Emmanuel Macron. Si elle est pour l’heure toujours à son poste, sa recherche d’une forme d’émancipation et d’affirmation, afin de rester à Matignon, peut aussi se retourner contre elle.
François Vignal

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Un an qui compte au moins double. La première année d’Elisabeth Borne à Matignon n’a pas été une sinécure. C’est suite à une longue attente de trois semaines, après la réélection d’Emmanuel Macron, que cette polytechnicienne est nommée le 16 mai 2022. Passée par les ministères du Transport, de l’Ecologie et du Travail dans le précédent quinquennat, la première année à Matignon d’Elisabeth Borne a-t-elle marqué les esprits ? Si l’image de sérieux est au rendez-vous, l’incarnation comme le poids politique sont sûrement ses faiblesses. Elle a néanmoins su commencer à imprimer par son style, fait d’une certaine abnégation. Mais la crise issue de la réforme des retraites, adoptée en force à coup de 49.3, comme le budget, a évidemment terni son image. Et la majorité relative a sérieusement compliqué sa tâche, sans totalement l’entraver, à coups de compromis texte par texte.

Couple déséquilibré

A l’heure de souffler sa première bougie à Matignon, les questions se posent régulièrement sur l’état du couple exécutif qu’elle forme avec Emmanuel Macron. Un couple forcément déséquilibré en faveur du chef de l’Etat sous la Ve République, et encore plus depuis la présidentialisation du pouvoir.

Confirmée à Matignon après la réforme des retraites, Elisabeth Borne a semblé être confortée par la mission qu’Emmanuel Macron lui a fixée, celle de définir la suite du quinquennat. Mais à nouveau, des interrogations paraissent. « Il y a de la tension dans le tube », titre la semaine dernière Le Parisien, parlant d’« un couple exécutif en difficulté ». « Là où on aimerait de la complicité, on découvre de la complexité », disent certains proches dans le quotidien.

« Elle est assez impressionnante dans l’épreuve qu’elle traverse »

Alors restera-t-elle en poste ? Comme pour montrer son envie de voir au-delà, ce n’est pas un programme pour les 100 jours qu’elle a présenté, mais jusqu’à la rentrée. Au moins. Mais rien n’est jamais sûr à Matignon. « Quand vous êtes premier ministre ou ministre, vous êtes tous en sursis », rappelle un membre du gouvernement.

Selon le communicant Philippe Moreau-Chevrolet, Elisabeth Borne a quelques cartes encore à son actif. « C’est une haute fonctionnaire, plus qu’une première ministre. En revanche, elle a du cœur, elle est très droite, très loyale et se bat jusqu’au bout d’une manière assez déterminée. Elle est assez impressionnante dans l’épreuve qu’elle traverse. C’est l’enfer de Matignon comme on dit », souligne le dirigeant de MCBG Conseil.

Au-delà d’une « baisse tendancielle de sa cote de popularité, mais qui est sans surprise », Jean-Daniel Lévy, directeur délégué d’Harris Interactive France note qu’elle « fait ses preuves auprès de l’opinion ». « Est-ce qu’il y a la perception que c’est le bazar à Matignon ? La réponse est non. Maîtrise-t-elle ses dossiers ? La réponse est oui », souligne le sondeur.

« On a le sentiment que quand Elisabeth Borne parle, il y a derrière Emmanuel Macron »

Le sort de la première ministre est évidemment très lié à celui du chef de l’Etat. « Quand on interroge les Français sur les raisons pour lesquelles ils apprécient Elisabeth Borne, ils disent qu’elle met en place la politique impulsée par Emmanuel Macron. Et quand ils sont critiques, c’est parce qu’elle met en place la politique d’Emmanuel Macron. C’est un phénomène assez classique sous la Ve République », note Jean-Daniel Levy. Au point de paraître effacée ? « En gros, on a le sentiment que quand Elisabeth Borne parle, il y a derrière Emmanuel Macron. Ce qui peut être le but d’un premier ministre. Mais si on prend la Constitution, qui dit que le premier ministre définit et conduit la politique de la Nation, ça ne correspond pas pleinement à la réalité », remarque le responsable d’Harris Interactive.

« Il y a une vraie complémentarité entre Elisabeth Borne et Emmanuel Macron à partir du moment où on considère que le Président incarne l’exécutif à lui seul et la première ministre est une super exécutante qui sera chargée de mettre en musique strictement ce que veut Emmanuel Macron. C’est la meilleure collaboratrice. Elle est brillante en ce domaine-là », soutient Philippe Moreau-Chevrolet, qui pointe en revanche sa faiblesse politique.

« Elle essaie de gagner un peu de liberté et d’autonomie »

Pour exister davantage, Elisabeth Borne montre des signes d’émancipation. « Elle essaie de gagner un peu de liberté et d’autonomie dans cette période, probablement parce qu’elle vit assez mal d’être en porte-à-faux avec l’opinion. On atteint les limites de la loyauté pour elle. Elle un peu tiré sur l’élastique », selon Philippe Moreau-Chevrolet, qui ajoute : « Son avenir à Matignon est compté. Ses relations avec l’Elysée semblent assez tendues. Elle n’hésite plus à contredire les positions du chef de l’Etat ».

Début avril, Elisabeth Borne affirme que « le pays a besoin d’apaisement », qu’il faut « respecter une période de convalescence », rapporte Le Monde. Des propos qui semblent comme une critique, en creux, du côté va-t-en-guerre du chef de l’Etat.

« Quand elle annonce renouer avec l’intersyndicale, c’était son initiative. Elle n’avait pas prévenu le Président »

Un activisme post-retraites, qui s’explique aussi par la menace du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à qui on prête de sérieuses visées sur Matignon. « Elle a pris conscience qu’elle pouvait perdre le poste, mais aussi le sauver », confiait il y a peu un de ses ministres. « Quand elle annonce renouer avec l’intersyndicale, c’était son initiative. Elle n’avait pas prévenu le Président », explique le même. Elle s’autonomise ? « Non, elle fait de la politique ». Nous y voilà.

« Elle a un peu forcé sa nature, mais elle a bien fait », selon ce membre du gouvernement, qui ajoute : « A la base, c’était une faiblesse. Elle n’est pas organisée. Ce n’était pas son truc. Elle est en politique active depuis pas longtemps. Elle a fait ce travail personnel d’avoir des bornistes. Moi, je me suis auto déclaré », lance ce ministre dans un sourire. On découvre donc qu’il existe maintenant des bornistes. Tout arrive. Le même raconte que les choses se sont mises en place depuis peu :

 Elle fait des dîners de ministres à Matignon. Elle ne le faisait pas avant. Ça s’est organisé depuis le 49.3. 

Un ministre « borniste »

« Elle défend le dialogue social, c’est elle. Il faut montrer sa valeur ajoutée »

Avec ce président qui fonctionne aussi de façon « darwinienne », elle veut montrer qu’« elle a un côté point d’équilibre, entre sa relation aux syndicats, au Président et au sein de la majorité », selon un proche. Bref, qu’elle « correspond aux besoins du moment. Elle défend le dialogue social, c’est elle. Il faut montrer sa valeur ajoutée ».

Un autre ministre estime de son côté qu’« Elisabeth Borne présente pas mal d’avantages. Elle unifie la majorité ». Du côté des parlementaires justement, si les critiques peuvent être nombreuses, certains font en effet avec cette première ministre. « Borne ne fait pas rêver. La majorité se cherche un peu un chef », lâche une députée Renaissance, qui ajoute au sujet du rival de l’Intérieur : « Darmanin à Matignon ? Je n’y suis pas opposée. Mais dans une logique d’apaisement, je ne suis pas sûre. Je crains être la seule députe à être réélue à la fin ! »

« Elle peut rester, par défaut presque »

Cette volonté d’imprimer davantage qu’a montré Elisabeth Borne ne sera cependant acceptée par Emmanuel Macron que si elle ne l’affaiblit pas. « On a pu voir qu’il pouvait y avoir des zones de désaccord entre elle et le Président, sur le recours au 49.3, sur la gestion de la réforme des retraites, mais ça ne paraît pas suffisamment important pour paraître qu’il y ait une forme de dissonance au sein de la tête de l’Etat », constate Jean-Daniel Levy.

Il faut se rappeler que des premiers ministres qu’on disait « cramés » sont finalement restés à Matignon plus longtemps qu’imaginé. « Tant que ça conviendra à Emmanuel Macron, même si ce n’est pas parfait, elle restera. Il ne créera pas un problème en nommant à Matignon quelqu’un d’incontrôlable, un adversaire, qui gêne. C’est pour ça qu’elle peut rester, par défaut presque », pense Philippe Moreau-Chevrolet. L’enfer de Matignon ne doit pas être si horrible.

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