Cours criminelles départementales : le Sénat veut temporiser, Dupond-Moretti tance les « braillards »

Cours criminelles départementales : le Sénat veut temporiser, Dupond-Moretti tance les « braillards »

Les sénateurs s’opposent à la généralisation prématurée des cours criminelles départementales dans le projet de loi sur la confiance dans la justice. Ils préfèrent prolonger l’expérimentation, pour avoir un meilleur recul. Le garde des Sceaux affirme que le dispositif est salué par les magistrats et les avocats.
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Nouvelle différence d’approche sur le projet de loi pour la confiance de la justice, entre les sénateurs et le gouvernement. La Haute assemblée, qui a redonné des marges de manœuvre aux enquêteurs pour la grande délinquance économique et financière, a également fait évoluer le texte symboliquement sur les cours criminelles départementales. En phase d’expérimentation dans une quinzaine de départements depuis septembre 2019, elles ont la particularité de n’être composées que de magistrats professionnels, et ne traitent que des crimes punis de 15 ou 20 ans de réclusion, en première instance. Elles ne comportent pas de jurys populaires, comme c’est le cas pour les cours d’assises. Le gouvernement veut les généraliser dès le 1er janvier 2022, et donc l’abréger de cinq mois.

« Prématuré », juge la commission des lois. L’avis est partagé par l’Union syndicale des magistrats. « Dès lors qu’une expérimentation est votée, il convient qu’elle aille jusqu’à la fin », s’émeut Agnès Canayer (LR), rapporteure du texte. « On a peu de recul aujourd’hui […] Il y a encore un certain nombre d’interrogations. » Le confinement du printemps 2020 et la grève des avocats, dans les semaines qui l’ont précédé, ont d’ailleurs altéré la durée totale de l’expérimentation. Dans un rapport remis au gouvernement, Jean-Pierre Getti, un ancien président de procès d’assises, avait estimé que le retour sur expérience ne portait que sur 86 affaires. « Ce n’est pas un échantillon suffisant », reconnaît Agnès Canayer. Sa commission a décidé de prolonger l’expérimentation d’un an supplémentaire, renvoyant le sujet au Parlement pour l’hiver 2022-2023.

« Quelques braillards ont hurlé »

La suppression de l’article est même demandée, du côté des sénateurs communistes et socialistes, et d’une vingtaine de sénateurs LR. Henri Leroy (LR) redoute une « sorte de poison lent ». « Aujourd’hui on écarte le peuple des cours criminelles départementales, et demain, on nous demandera de l’écarter des cours d’assises. » « Nous préférons ne laisser aucune chance à cet article 7 d’être réécrit à l’Assemblée nationale et proposons de le supprimer », explique Cécile Cukierman (PCF).

Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti goûte peu à ce concert de précautions, voire de critiques, et veut abréger l’expérimentation, afin de stabiliser le système judiciaire. Il considère qu’elle est « concluante », comme l’attestent, selon lui, des « rapports parlementaires transpartisans ». Deux députés LREM et LR ont en effet étudié la question. « Je suis en contact quotidien avec des magistrats, qui me parlent de cette juridiction, qui me disent que ça marche. Des avocats m’ont dit la même chose. Quelques braillards ont hurlé dans des conditions qui sont assez singulières, car ils ne savaient pas, pour le reste, que c’est de l’intérêt général », s’étonne le ministre de la Justice.

La démonstration étonne sur les bancs sénatoriaux. « Il paraît qu’il y a des rapports transpartisans. Moi je n’ai pas vu un seul rapport transpartisan au Sénat. Je ne sais pas où ils sont », réagit le sénateur PS Jean-Pierre Sueur, qui se remémore la précaution de la précédente garde des Sceaux, Nicole Belloubet, sur le sujet. A l’époque, seulement sept départements avaient été sélectionnés. « Franchement, M. Le ministre, on a le droit d’être contre cette mesure, on a le droit de demander une cohérence au gouvernement au travers du temps, sans que les gens qui seraient opposés ne soient considérés comme des braillards, voyez-vous. Sur le plan intellectuel, c’est un tour de passe-passe. »

Plusieurs sénateurs, notamment dans les rangs socialistes, ont rappelé avec étonnement que l’avocat Éric Dupond-Moretti, avant son arrivée à la Chancellerie, était pourtant farouchement opposé à ces cours criminelles d’un genre nouveau. « La justice dans ce pays est rendue au nom du peuple du français et le peuple en est exclu […] Il n’y a rien de plus démocratique que la cour d’assises. Maintenant, exit le peuple ! Ça va se faire dans l’entre-soi », déplorait-il. C’était en 2020.

Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, s’en était expliqué lors de la discussion générale sur le projet de loi. « J’ai vu que les magistrats et les avocats, exception faite de quelques braillards, étaient satisfaits de cette nouvelle juridiction, que les appels étaient dix fois moins nombreux qu’aux assises, qu’elle permettait de régler la correctionnalisation des viols dont les victimes ne voulaient plus, et, enfin que les audiences étaient beaucoup plus rapides. Cette juridiction étant plus efficace, j’ai décidé de la conserver. »

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