A 16 heures, ce mercredi 17 septembre, la cheffe de file des députés RN et Jordan Bardella étaient attendus à Matignon, pour s’entretenir avec Sébastien Lecornu, qui a rencontré le PS dans la matinée et les Écologistes en début d’après-midi.
Le tout nouveau Premier ministre a déjà envoyé quelques signaux d’ouverture, en annonçant d’emblée le retrait de la proposition très critiquée de supprimer deux jours fériés de son prédécesseur, et la suppression symbolique des avantages octroyés aux ex-premiers ministres à compter de l’année prochaine. Sébastien Lecornu reste toutefois « très flou sur ses intentions » sans donner « la moindre indication de ce qu’il ferait », d’après Olivier Faure après sa rencontre à Matignon.
Sera-t-il plus expressif avec le RN ? Le parti à la flamme a notamment rappelé, par un courrier de Marine Le Pen adressé à François Bayrou en date du 25 juillet, ses exigences en termes d’économie et d’organisation de l’État. Des « grands tabous qui minent la France », réaffirmés lors du discours prononcé par Le Pen lors du meeting du parti qui s’est tenu à Bordeaux le week-end du 14 et 15 septembre. Mais quelles seront les lignes rouges, à ne pas franchir par Sébastien Lecornu, pour éviter toute menace de censure ?
En tête des priorités : l’immigration
Dans sa missive envoyée à Bayrou, la patronne du Rassemblement national a fustigé, à son habitude, « le coût lourd et hors-contrôle de l’immigration familiale et de peuplement ». Figure de proue des revendications économiques du RN, ce « coût » est estimé à 60 milliards d’euros annuels par le parti, qu’il ambitionne de réduire d’ « au moins 18 milliards », en réservant les aides sociales non contributives « aux citoyens français ou aux étrangers à 5 années de cotisations effectives », expliquait Julien Odoul, son porte-parole, fin août sur franceinfo. Le RN a également fait de la transformation de l’Aide médicale d’État (AME) en Aide médicale d’urgence (AMU) son cheval de bataille, qui entendrait réduire la facture de 4 milliards d’euros, mais rappelait toutefois que cette seule mesure ne saurait être suffisante pour empêcher la censure.
Cet axe budgétaire défendu par l’extrême-droite est remis au goût du jour par la pétition lancée par Philippe de Villiers, réclamant un référendum sur l’immigration alors que la Constitution de la Ve République ne permet pas aux Français, en l’état, de se prononcer sur cette question.
Deuxième point : l’Union européenne
Ce n’est pas nouveau non plus, la contribution de la France au budget de l’Union européenne constitue l’un des points de crispation du RN, calculée à environ 24 milliards d’euros cette année. Si le parti a « pris note » de la réduction de la hausse de « la facture » pour 2026, estimée à « 7,3 milliards d’euros » et réévaluée à « 5,6 milliards d’euros », Marine Le Pen maintient que « cette hausse économe reste inacceptable ». Et elle réclame une « contribution brute » française plafonnée à 20 milliards d’euros, ce qui supposerait d’obtenir un rabais de Bruxelles de près de 5 milliards d’euros.
Évoquant des « politiques toxiques et inutiles » desquelles pourraient être supprimés « des dizaines de milliards d’euros de crédits européens », elle liste différentes pistes sur lesquelles le RN souhaiterait rétrograder : l’action extérieure de l’Union européenne, le financement de l’élargissement de la Turquie et les subventions « massives » aux « concurrents déloyaux du marché intérieur ».
Jean-Philippe Tanguy, le spécialiste des questions budgétaires au sein du RN, a néanmoins annoncé une « réflexion en interne » sur le respect de la « règle d’or » de 3% de déficit, au mois de juin. Le parti envisagerait ainsi de se plier au cadre financier fixé par l’UE, pas pour « faire plaisir à Bruxelles », prévenait le député, mais plutôt pour tenir compte de « l’avis des marchés financiers qui attendent de la France qu’elle respecte ces 3% ».
Troisième enjeu : l’organisation de l’État
Le RN n’a de cesse de critiquer la « désorganisation », « le poids de la bureaucratie et des agences », et le « mille-feuille administratif » de l’État français, qu’il évalue à 60 milliards d’euros. Le parti milite ainsi pour un véritable « chantier », impliquant des économies à réaliser au niveau des régions et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et des coupes visant l’appareil de l’État. Dans son courrier, Marine Le Pen pointe du doigt « la sur-administration de l’Éducation nationale, de l’hôpital ou des collectivités territoriales », et de manière globale « les dépenses excessives des agences de l’État ».
Dans son contre-budget présenté en octobre 2024, ce sont près de 80 agences et organismes qui se retrouvent dans le viseur du RN, selon le Monde, dont la Commission de régulation de l’énergie, l’Agence française de lutte contre le dopage, ou encore l’Arcep, le régulateur des télécoms. Mais aussi les agences de l’eau, l’Agence nationale de la recherche et l’Office français de la biodiversité.
Ce sont des doléances qui pourraient coïncider avec la volonté de Sébastien Lecornu de « présenter un grand acte de décentralisation », comme évoqué dans un entretien avec la Voix du Nord. Le Premier ministre a affirmé que « trop d’acteurs interviennent sur les mêmes sujets » et qu’ « il faut se réorganiser pour être plus efficace », envisageant la fusion ou la fermeture d’agences gouvernementales.
Et enfin, un « rééquilibrage fiscal »
Saluant des « premiers efforts engagés depuis quelques années », l’extrême-droite a fait savoir sa volonté d’intensifier la lutte contre les fraudes sociale et fiscale et la sauvegarde du pouvoir d’achat des Français. Avec une attention toute particulière portée aux actifs financiers, le RN soutient une hausse de la taxe sur les rachats d’actions à 33 % et la transformation de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) en impôt sur la fortune financière (IFF). Une nouvelle forme de taxation sur les hauts et très hauts patrimoines, qui réintégrerait les actifs financiers dans l’assiette de prélèvement, et en exclurait les résidences principales et les biens immobiliers.
Un « rééquilibrage fiscal » censé dégager près de 23 milliards d’euros et qui, selon le RN, permettrait au parti de financer certaines mesures sociales. Entre autres : une baisse de la TVA sur l’énergie et les produits de première nécessité, ainsi qu’une ré-indexation provisoire des retraites.