A Saint-Ouen, Limoges, Béziers ou encore Nîmes, les arrêtés municipaux mettant en place des couvre-feux pour les mineurs se multiplient. Leurs modalités sont variables et visent des mineurs entre 13 et 16 ans sur une plage horaire entre 21 heures et 6 heures. Pris par des maires de sensibilités politiques différentes, les arrêtés municipaux cherchent tous à endiguer la délinquance des mineurs et en particulier celle liée au narcotrafic.
A Nîmes, l’arrêté municipal, entré en vigueur lundi 21 juillet, vise les mineurs de moins de 16 ans, entre 21 heures et 6 et pour une durée de quinze jours. La décision s’applique dans six quartiers de la ville paupérisés et gangrenés par le trafic de drogue et répond aux récentes fusillades ayant fait six blessés fin juin. À Limoges, où le maire a également pris un arrêté, le couvre-feu répond à la nuit de violences entre le 18 et le 19 juillet où des personnes cagoulées et armées ont défié les forces de l’ordre.
Un contexte de durcissement du régime pénal des mineurs
La multiplication des mesures limitant la liberté de circuler en soirée cherche à répondre à une implication croissante des mineurs dans le narcotrafic et s’inscrit dans un contexte de durcissement du régime pénal applicable aux mineurs. Ainsi, en cas de non-respect des obligations posées par le couvre-feu, les parents s’exposent à une amende forfaitaire de deuxième catégorie (35 euros) et peuvent faire l’objet de poursuites pénales avec des sanctions pouvant aller à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. La proposition de loi de Gabriel Attal sur la justice des mineurs, adoptée le 23 juin 2025, a même durci les peines encourues si le mineur n’ayant pas respecté le couvre-feu s’est ensuite rendu coupable d’un crime ou de plusieurs délits. Dans ce cas de figure, les sanctions peuvent aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Largement décriée par la gauche et partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, la proposition de loi de Gabriel Attal sur la justice des mineurs a également instauré la possibilité pour le procureur de la République de prononcer une mesure de couvre-feu, à titre individuel, en alternative aux poursuites dans le cadre d’une mesure éducative judiciaire. Encore une fois, ces mesures entrent en résonance avec le rapport sénatorial sur le narcotrafic qui pointait l’implication croissante des jeunes dans le trafic de drogue.
Viser le « niveau de proximité »
« La lutte contre le narcotrafic doit s’effectuer à plusieurs niveaux. Dans notre rapport, on parlait du haut du spectre c’est-à-dire les organisateurs d’entreprises internationales qui achètent, transforment et transportent la drogue. Ensuite, il y a les intermédiaires qui sont de véritables prestataires de services. Enfin, il y a le niveau de proximité avec le vendeur, le guetteur sur les petits points de deal qui sont de plus en plus jeunes », rappelle le sénateur du Rhône, Etienne Blanc (LR), rapporteur de la commission d’enquête sur le narcotrafic. Pour ce dernier, la mise en place d’un couvre-feu fait partie de la « boîte à outils » pour lutter contre le narcotrafic à une échelle locale au même titre que la fermeture administrative des commerces soupçonnés de blanchiment ou de l’expulsion du logement social lorsque « des agissements en lien avec des activités de trafic de stupéfiants » sont constatés. Ces deux dernières mesures faisaient partie de la loi sur le narcotrafic inspirée par les travaux de la commission d’enquête sénatoriale.
Couvre-feu : une efficacité discutable
Malgré la multiplication des arrêtés municipaux et le durcissement du régime pénal applicable aux mineurs, l’efficacité de ces mesures est contestée. « Le bilan, pour le moment, il n’est pas bon. On a eu des manifestations de jeunes, personne n’a pu les intercepter et les arrêter, le couvre-feu n’a servi à rien. Si on n’a pas la police pour le faire respecter, en face c’est inutile », a notamment estimé le maire de Limoges, Emile-Roger Lombertie (divers droite), interrogé par BFMTV.
Un point de vue partiellement partagé par Etienne Blanc qui estime que le recours au couvre-feu est « extrêmement utile pour déstabiliser les points de deal ». L’ancien rapporteur de la commission d’enquête insiste néanmoins sur « l’effet plumeau » de ces mesures et les compare aux « opérations place nette » menées par les forces de l’ordre lorsque Gérald Darmanin était ministre de l’intérieur. Les moyens déployés n’avaient alors permis que de maigres saisies et les points de deal démantelés s’étaient déplacés ou s’étaient réinstallés après l’opération. Par ailleurs, l’essor de la livraison de drogue à domicile permet de limiter l’utilité des arrêtés municipaux qui sont nécessairement circonscrits géographiquement.
« C’est une mesure qui est particulièrement restrictive de libertés, la tentation peut exister de recourir au couvre-feu à tort et à travers et parfois c’est populaire mais ce n’est pas un optimum de sécurité », juge le sénateur Jérôme Durain (PS), président de la commission d’enquête sur le narcotrafic. Ce dernier regrette une solution éphémère et risquée compte tenu de la limitation de certains droits fondamentaux qu’elle implique. « On gèle la situation, mais on ne la règle pas. Les causes du trafic ne sont pas traitées par le couvre-feu, cela met simplement le problème entre parenthèses », souligne le sénateur socialiste.
La nécessité de renforcer la sécurité juridique du dispositif ?
Malgré ces limites, Etienne Blanc considère qu’il faut renforcer la « sécurité juridique » du dispositif et « écrire dans un texte que le maire peut décider de prendre un arrêté pour instaurer un couvre-feu en fonction des circonstances et notamment du narcotrafic ». Actuellement, le maire peut prendre un arrêté instaurant un couvre-feu au titre de ses pouvoirs de police générale conformément aux articles L. 2212-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales. La justice administrative apprécie ensuite la légalité de l’arrêté en fonction des risques de troubles à l’ordre public. D’autres paramètres sont également déterminants dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, notamment le créneau horaire, la zone géographique ou encore la tranche d’âge visée.
« Je ne sais pas s’il faut sanctuariser le couvre-feu dans le droit pour qu’il puisse être davantage utilisé. Dans beaucoup d’endroits, il y a d’autres réponses à mettre en place pour endiguer le narcotrafic comme la lutte contre la pauvreté et les inégalités qui plongent les gamins dans la délinquance », souligne Jérôme Durain.