Covid-19 : début mars 2020, la montée de la peur et des premières tensions politiques
Au début du mois de mars 2020, les évènements s’accélèrent sur le front du covid-19. Les foyers de contamination gagnent en intensité, et déclenchent les premiers doutes au Sénat. Sixième épisode de notre série sur l’émergence de l’épidémie, il y a un an, vue du Sénat.
Le 28 février 2020, le ministre de la Santé est en déplacement à Crépy-en-Valois (Oise), là où enseignait le premier Français décédé du covid-19. Près d’une soixantaine de compatriotes a été diagnostiquée positive depuis janvier au coronavirus. Ce vendredi-là, le ministre relève le niveau d’alerte épidémique au stade 2. « Une nouvelle étape est franchie », annonce-t-il. Voici le sixième épisode de notre série rétrospective sur la crise sanitaire, vue depuis le Sénat.
Fini le stade 1, conçu pour traiter des cas isolés. La deuxième étape vise désormais à « retarder ou éviter » la propagation du virus sur le territoire, où se développent des « grappes de cas ». Des clusters, en bon français. L’idée est de laisser le système de soins s’organiser avant une phase 3, dont le gouvernement juge début mars 2020 qu’il est « peu probable » que la France y échappe. Dans sa communication, l’exécutif refuse tout discours alarmiste. « Le passage d’un stade à l’autre ne doit pas inquiéter », demande alors le Premier ministre Édouard Philippe.
Au cours du week-end qui suit, c’est le branle-bas de combat au sommet de l’Etat. Un nouveau conseil de défense est organisé, de même qu’un conseil des ministres extraordinaire, le samedi. Officiellement, seule la crise du coronavirus est à l’agenda. Pour lutter contre les clusters dans l’Oise, les rassemblements collectifs sont interdits jusqu’à nouvel ordre, les établissements scolaires à risque ferment. Et le gouvernement recommande aux habitants de limiter au maximum leurs déplacements. Au niveau national, les rassemblements de plus de 5 000 personnes en milieu confiné sont interdits. Et certains évènements locaux commencent à être annulés : c’est le cas du semi-marathon de Paris le 1er mars et du grand salon de l’immobilier MIPIM à Cannes, qui devait se tenir mi-mars.
Le 49-3 jette une ombre sur le semblant d’unité nationale
Mais une autre décision politique d’importance est entérinée le samedi. Édouard Philippe décide d’utiliser l’article 49-3 de la Constitution pour abréger les débats sur la réforme des retraites, après deux semaines d’un examen au ralenti et d’obstruction à l’Assemblée nationale. Un dixième du projet de loi seulement a été examiné. Le 49-3 déclenche les foudres de l’opposition lorsqu’il est annoncé dans l’hémicycle de l’Assemblée. Le Premier ministre s’en explique le soir sur TF1. Nous sommes deux semaines avant le premier tour des élections municipales. « C’est une étape qui met fin à un épisode de non-débat », argue Édouard Philippe. Et de préciser que la procédure « n’a aucun lien avec le coronavirus ».
Au Sénat, où le 49-3 ne peut être déclenché, l’épisode suscite quelques remous, même si les parlementaires le savaient prévisible. Et surtout égratigne la confiance accordée au gouvernement dans la gestion de la crise sanitaire (relire notre épisode précédent). « Curieux début de semaine », s’inquiète la présidente LR de la commission des affaires économiques, Sophie Primas. « Il va falloir du sang-froid. » « Avec le 49-3 un samedi soir, en pleine unité pour faire face au Coronavirus, ce gouvernement opte toujours pour ce qu’il y avait de pire dans l’ancien monde : la manœuvre cynique, la brutalité face au Parlement, la violence face à la rue », s’émeut le socialiste David Assouline. Sur ce 49-3 surprise, la future sénatrice Raymonde Poncet s’écrie : « Ce qui est sûr, c’est la propagation du virus antidémocratique ».
Au groupe La République en marche du Sénat, un sénateur, médecin de profession, décide de quitter le mouvement présidentiel. « Pour moi, faire cela au milieu du week-end, en pleine épidémie de coronavirus […] c’est nul, tout simplement », s’indigne Michel Amiel. Il dénonce une décision qui relève du « cynisme et de l’incompétence politique ».
Des ratés à la base aérienne de Creil ?
Parallèlement, les dernières informations en provenance de l’Oise ébranlent aussi la confiance des parlementaires. Au cours du même week-end, Le Parisien enquête sur la base aérienne de Creil, possible point de départ de la chaîne de contaminations dans le département. Le quotidien relève notamment qu’aucun des militaires de l’unité de transport qui a participé au rapatriement des Français de Wuhan en Chine n’a été placé en quarantaine à son retour. En deux jours, six cas positifs ont été détectés dans l’enceinte militaire. Le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, infirme l’hypothèse selon laquelle le patient zéro serait issu de l’escadron. L’équipe a été testée à deux reprises, puis surveillée. L’enquête s’oriente alors vers une personne extérieure.
Lors de la séance des questions au gouvernement du 4 mars, les parlementaires du département montent en première ligne. La socialiste Laurence Rossignol doute du discours officiel, l’armée étant « seule » à pouvoir investiguer sur son pré carré. « Comment le commandant de la base aérienne de Creil peut-il affirmer de manière aussi péremptoire et définitive que « le patient zéro n’est pas chez nous », c’est-à-dire de la BA 110 de Creil ? Aucune autre collectivité humaine n’oserait dire cela dans la même situation », s’exclame l’ancienne ministre.
« Vous posez une question qui est revenue en boucle depuis une semaine », répond Geneviève Darrieussecq. La secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées assure que « des mesures très fortes » ont été prises, tout en précisant que l’épidémiologie est « une science complexe ». « Je crois qu’il ne faut pas jeter l’anathème sur un lieu où toutes les précautions ont été prises. Nous devons tout simplement continuer les enquêtes », conclut-elle.
Laurence Rossignol reste convaincue que les propos du commandant étaient « hasardeux et audacieux ». « Rien ne dit en effet que la base aérienne soit l’origine du foyer, mais rien ne dit le contraire non plus ! » Lorsqu’elle s’exprime, l’Oise compte désormais 65 cas dont 10 pour la seule base aérienne. Cas contact, le préfet du département est en isolement préventif. Tout un symbole.
« On constate bien une impréparation à cette crise », dénonce le sénateur Jérôme Bascher
Son collègue Jérôme Bascher (LR) se montre beaucoup plus offensif. Il emploie le mot de « pseudo-préparation ». Le sénateur de l’Oise parle cash et vide subitement son sac, relayant les constatations du terrain. « La désorganisation est là ! Quoi qu’en ait dit le gouvernement depuis un mois et demi, on constate bien une impréparation à cette crise. Nous le vivons chaque jour dans l’Oise, où c’est l’improvisation qui règne pour décider de fermer des écoles, d’autoriser des déplacements de classes. Et je ne parle pas des masques […] ils ne sont disponibles pour les professions médicales que depuis hier. » Mais sa question au gouvernement porte sur un autre sujet : la sécurisation des opérations de vote aux municipales. Le premier tour est dans onze jours. Pour la première fois, un sénateur demande dans l’hémicycle si le scrutin va être reporté.
Coronavirus : altercation entre le sénateur LR de l’Oise Jérôme Bascher et Laurent Nuñez
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En face, la réponse est glaciale. Le secrétaire d’Etat Laurent Nuñez (ministère de l’Intérieur) reproche au parlementaire d’avoir « rompu » le « consensus ». « Je ne peux évidemment pas vous laisser parler d’une impréparation de la crise que nous vivons, de l’épidémie que nous vivons. » Quant aux municipales, le représentant de la place Beauvau martèle qu’un report n’est « absolument pas à l’ordre du jour aujourd’hui ». « Il n’y a pas de risque sanitaire identifié à ce stade », justifie Laurent Nuñez.
Le soir même, les chiffres du ministère de la Santé illustrent de façon dramatique la poursuite de la progression du virus. La France compte quatre décès au total, et le nombre de cas confirmés monte à 285 (dont 99 dans l’Oise). C’est cinq fois plus qu’il y a cinq jours. A Mulhouse, un nouveau foyer est découvert, en lien avec un rassemblement religieux qui s’est tenu du 17 au 24 février. Nous sommes moins de deux semaines avant le confinement.
Les débuts de la crise du covid-19, vus depuis le Sénat - tous les épisodes :
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