Covid-19 : la commission d’enquête du Sénat relance les tensions avec l’exécutif

Covid-19 : la commission d’enquête du Sénat relance les tensions avec l’exécutif

La commission d’enquête du Sénat sur la gestion de la crise du Covid-19 risque de créer des tensions avec la majorité, comme lors de l’affaire Benalla. Olivier Véran et Edouard Philippe pourraient être convoqués. Certains y voient « une arme anti-Macron ». Les sénateurs assurent vouloir uniquement « trouver la vérité ». En conséquence, les députés pourraient aussi créer leur commission d’enquête dès juin.
Public Sénat

Temps de lecture :

11 min

Publié le

Mis à jour le

Bis repetita. Vous avez aimé la commission d’enquête du Sénat sur l’affaire Benalla ? Vous allez adorer celle sur la gestion de la crise de l’épidémie de Covid-19. Les sujets n’ont rien à voir. Mais on retrouvera en partie les mêmes acteurs, avec quelques nouveaux visages. Le cadre – le Sénat – n’a pas changé. Et la tension entre l’exécutif et la Haute assemblée, devrait, en toute logique, reprendre.

Le Sénat s’apprête en effet à lancer sa commission d’enquête parlementaire sur la gestion de la crise sanitaire. Une proposition de résolution sera examinée en séance le 23 juin, les premières auditions devraient commencer dans la foulée. Emmanuel Macron et le président LR du Sénat, Gérard Larcher, ont certainement pu évoquer le sujet ce jeudi midi, au cours d’un déjeuner organisé à l’Elysée, en présence aussi de Richard Ferrand, président LREM de l’Assemblée nationale.

Le chef de l’Etat mécontent

Au regard de l’importance du sujet, cette commission d’enquête accueillera 36 sénateurs, au lieu de 21, dont les présidents de groupe. Si elle doit encore se réunir et en décider, elle devrait très probablement être présidée par Alain Milon, président LR de la commission des affaires sociales et médecin. Un choix logique. Son homologue de la commission des lois, Philippe Bas, avait présidé la commission d’enquête Benalla.

D’abord évoquée pour septembre, cette commission d’enquête sera donc lancée fin juin, quitte à suspendre un mois ses travaux en août, pour cause de pause estivale. Ce choix est mal passé auprès du chef de l’Etat. Selon le Canard enchaîné, Emmanuel Macron n’a pas caché son mécontentement, lors du Conseil des ministres du 7 mai : « Le Sénat s’est déshonoré. Le temps est encore à l’action, ce n’est le moment de jouer les procureurs » a-t-il affirmé. Et d’ajouter que « la politique, c’est comme la grammaire : on fait parfois des fautes de temps ».

« Ce n’est pas au Président de dire au Parlement ce qu’il doit faire »

Une réaction présidentielle qui étonne les sénateurs, qui entendent mener leur mission de contrôle. « Même si le Président n’apprécie pas, le Parlement peut décider ce qu’il entend. Ce n’est pas au Président de dire au Parlement ce qu’il doit faire » répond Alain Milon, interrogé par publicsenat.fr. Le sénateur LR du Vaucluse assure ne pas avoir d’arrière-pensées politiques. La commission d’enquête ne sortira pas de son rôle. « Une commission d’enquête, ce n’est pas la justice. Le but n’est pas de juger. Mais de savoir ce qui s’est passé, essayer de trouver les moyens de faire mieux la prochaine fois. Une fois qu’on sait, on informe. Et il y aura des préconisations évidemment » explique Alain Milon.

L’idée que la commission d’enquête du Sénat gêne l’exécutif ne passe pas très bien chez Hervé Marseille. « Pour ce qui est des fautes de temps, on a affaire à des connaisseurs » raille le président du groupe Union centriste du Sénat… « Déjà que le Parlement est confiné, ne fait plus la loi avec toutes les ordonnances, et maintenant, on est grondé si on exerce nos responsabilités. Le plus simple, c’est de dissoudre le Parlement » lance le sénateur UDI des Hauts-de-Seine. Hervé Marseille ajoute :

Se faire admonester quand on fait quelque chose, faut arrêter.

Olivier Véran, Agnès Buzyn mais aussi Marisol Touraine et Xavier Bertrand pourraient être auditionnés

Pour comprendre le déroulé des événements, la commission d’enquête devrait vouloir auditionner une belle liste de ministres. Celui de la Santé, Olivier Véran bien sûr. Et sa prédécesseure, Agnès Buzyn ? « Evidemment » répond Alain Milon, « et Xavier Bertrand » glisse-t-il, ministre de la Santé de la santé de 2010 à 2012, soit au moment du début du changement de doctrine sur les masques, en 2011. Manière de montrer que le Sénat ne vise pas en particulier le pouvoir actuel, et mieux récuser les accusations d’instrumentalisation politique.

« Marisol Touraine aussi. Elle s’attend à être « invitée » à venir devant la commission d’enquête. On ne prend personne en traître » ajoute le président du groupe PS, Patrick Kanner, qui avait demandé que la commission d’enquête commence en juin. « La proposition de résolution sera présentée par Gérard Larcher, ce qui montre toute l’importance que nous voyons dans cette procédure » souligne encore le sénateur du Nord. Patrick Kanner ajoute : « C’est une surprise pour personne. C’est sûr que l’ambiance sera peut-être différente entre l’Assemblée, avec la majorité LREM, et le Sénat. Mais on a montré le sérieux de nos commissions d’enquête. Personne ne doit avoir peur de venir plancher devant le Sénat ».

Le président du groupe LR, Bruno Retailleau, sûrement le plus véhément envers l’exécutif depuis le début, assure ne pas vouloir « régler des comptes politiquement », même s’il attend des ministres « qu’ils répondent de leurs actes ». Regardez :

Crise du Covid-19 : le Sénat lancera sa commission d’enquête « à la fin du mois de juin » affirme Bruno Retailleau
00:48

« Je ne vois pas pourquoi ça n’irait pas jusqu’au premier ministre »

Une pièce de choix pourrait être au menu de la commission d’enquête : le premier ministre Edouard Philippe. « Pourquoi pas. Je ne vois pas pourquoi ça n’irait pas jusqu’au premier ministre, si la commission le décide. Le seul qui ne peut être interrogé, c’est le Président. Tous les autres font partie des possibles » soutient Alain Milon. Convoquer ainsi une bonne partie du gouvernement – tout refus de témoigner est passible d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 7 500 euros – ne risque-t-il pas de créer cette tension ? « A partir du moment où on cherche la vérité, il n’y a pas de risque. L’essentiel, c’est de trouver la vérité. Le plus grand risque et la plus grande défaite, ce serait de ne pas chercher la vérité car il y aurait un risque » soutient le président de la commission des affaires sociales.

Pour preuve de cette volonté constructive, Patrick Kanner souligne que « notre objectif, c’est de rendre les conclusions avant le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), c’est-à-dire avant qu’on décide ce que l’Etat dégagera pour la santé » dans le budget. Une commission d’enquête dure théoriquement six mois, soit jusque décembre. Celle-ci serait ainsi écourtée.

Patriat : « La commission d’enquête n’est pas de nature à faciliter les relations entre le Sénat et le gouvernement »

Reste que toutes ces bonnes intentions ne semblent pas rassurer les membres de la majorité présidentielle. « S’il y a une commission d’enquête, elle doit absolument porter sur le dispositif législatif et comment l’exécution par l’administration peut être améliorée. Et ça en reste là. Une commission d’enquête, ce n’est pas de rechercher des responsabilités individuelles. Dans le temps, on est allé un peu au-delà du principe » pointe Pierre Person, numéro 2 de La République En Marche.

François Patriat, président du groupe LREM du Sénat, va un peu plus loin. « Une commission d’enquête permet au Parlement de contrôler l’action du gouvernement. Est-ce que ça doit être une arme politique ? Ce qui me choque un peu, c’est que la préoccupation du Sénat aujourd’hui, n’est pas tant de faire la preuve d’une unité nationale pour faire face à la crise sanitaire et économique, mais plutôt de régler ses comptes avec l’exécutif » selon le sénateur de Côte-d’Or. François Patriat continue : 

Il y a une perversion de l’outil, qui devient aujourd’hui une arme anti-Macron.

Pour le chef de file des sénateurs LREM, « les gens voient bien que la plume des juges du tribunal inquisitorial est déjà bien acérée… » Conclusion de François Patriat, cette commission d’enquête « n’est pas de nature, c’est clair, à faciliter les relations entre le Sénat et le gouvernement ».

Sous couvert d’anonymat, un responsable de la majorité présidentielle est encore plus direct. « Il y a des arrière-pensées politiques. Il y en a toujours avec le Sénat. De Retailleau à Larcher, c’est souvent la mare aux requins » lance-t-on, « Bas et compagnie on fait un ramdam sur l’affaire Benalla. On est habitué ». Le même voit dans la volonté d’auditionner des anciens ministres de droite comme Xavier Bertrand une forme de tactique. « C’est plutôt fin de la part du Sénat ».

« Volonté d’en découdre avec le gouvernement »

Patrick Mignola, à la tête du groupe Modem de l’Assemblée nationale, préfère encore ironiser. « C’est la saison 2 » lance le député de la Savoie. Mais lui aussi apprécie peu le lancement de la commission avant les vacances. « En septembre, c’est tirer les conséquences de la crise pour le pays. En juin, ça devient une initiative politique pour mettre en cause le gouvernement » pour Patrick Mignola.

Selon le député, la polémique sur la responsabilité des maires a déjà détérioré le climat. « Et surtout l’amendement de Philippe Bas en CMP, qu’il a retiré, qui aurait eu pour conséquence que toutes les plaintes remontent au premier ministre et au ministre de la Santé. C’était une forme de déstabilisation politique et de règlement de comptes, avec des arrière-pensées électorales vis-à-vis des maires », qui élisent les sénateurs, accuse Patrick Mignola. Bref, « ça ambiance les choses ». « Et ils rajoutent la commission d’enquête. On est très loin de concorde nationale. Il y a une volonté d’en découdre avec le gouvernement » selon le président du groupe Modem.

La commission d’enquête de l’Assemblée lancée dès juin ?

Aujourd’hui, la volonté du Sénat pourrait bousculer les choses à l’Assemblée. Les députés ont lancé leur mission d’information sur le Covid, censé se transformer en septembre en commission d’enquête.

« Si le Sénat veut anticiper et raccourcir le calendrier de sa commission d’enquête, dans ce cas, je souhaite que la transformation en commission d’enquête soit contemporaine de celle du Sénat » affirme le député Modem, qui est vice-président de la mission d’information.

« Tout ce que la France comptait de ministres, de premiers ministres et de directeur général de la santé depuis 2010 devront venir s’expliquer »

Et Patrick Mignola prévient : l’Assemblée sera prête à suivre sur les convocations. Quitte à tout mettre sur la table, il dit en substance « chiche ». « Si c’est pour jouer au chamboule-tout, pour essayer de faire tomber des têtes et trouver des coupables plutôt que des solutions, dans ce cas, il faut le faire aussi à l’Assemblée. Tout ce que la France comptait de ministres, de premiers ministres et de directeur général de la santé depuis 2010, devront venir s’expliquer » lance le patron des députés Modem.

Le premier ministre compris ? « Oui. Il faut le faire pour Philippe, Véran, Buzyn, c’est logique. Mais aussi Bertrand, Touraine, mais aussi Fillon, Ayrault, Valls et Cazeneuve, sur la question des masques, des respirateurs et le budget des hôpitaux, qui n’a pas augmenté de 99 à 2019. Il faut tout regarder » prévient le député Modem. Et de conclure : « Si vis pacem, para bellum ». Traduction : si tu veux la paix, prépare la guerre… Il faudra penser à sortir les masques pour se protéger.

Dans la même thématique

FRA – FRANCOIS BAYROU – PALAIS ELYSEE
7min

Politique

Dans le camp présidentiel, François Bayrou n’aura pas que des amis

Après la nomination de François Bayrou à Matignon, tout le monde, au sein du bloc central, salue la décision d’Emmanuel Macron. Mais hors micro, on comprend que le président du Modem n’a pas que des soutiens au sein de l’ex-majorité présidentielle. Pour durer, il devra aussi savoir convaincre son propre camp.

Le

the republicans received at the elysee
4min

Politique

Bayrou à Matignon : la droite attend le projet du Premier ministre pour savoir « s’il est l’homme de la situation »

Après l’annonce de la nomination de François Bayrou à Matignon, les sénateurs LR du Sénat sont dans l’expectative. La participation de la droite au prochain gouvernement, dépendra de l’engagement du Premier ministre sur les priorités qu’il a fixé notamment sur la maîtrise de l’immigration et bien sûr du maintien en poste du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau.

Le

Covid-19 : la commission d’enquête du Sénat relance les tensions avec l’exécutif
6min

Politique

François Bayrou à Matignon : « Il ne semble pas disposé à être un Premier ministre collaborateur »

Emmanuel Macron vient de nommer François Bayrou Premier ministre. Le président du MoDem devient ainsi le premier centriste de la Vème République à accéder à Matignon, il doit désormais composer son gouvernement et se protéger du risque de censure. Allié fidèle mais critique d’Emmanuel Macron, il devra réussir à parler aussi bien aux socialistes qu’à la droite. Analyse sur le plateau de Public Sénat.

Le