Covid-19 : : « Le gouvernement a sciemment dissimulé la pénurie de masques » note la commission d’enquête

Covid-19 : : « Le gouvernement a sciemment dissimulé la pénurie de masques » note la commission d’enquête

Pénurie de masques dissimulée au grand public, approche « hospitalo-centrée de l’épidémie, absence de démocratie sanitaire… La commission d’enquête du Sénat a relevé bon nombre de défaillances dans la gestion de la crise sanitaire.
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Mise en place fin juin, la commission d’enquête du Sénat sur la gestion de l’épidémie de Covid-19 présentait son rapport intitulé : « Santé publique, pour un nouveau départ », ce jeudi lors d’une conférence de presse. Premier constat fait en introduction par son président, Alain Milon (LR) : « Notre commission réfute la métaphore guerrière (employée par Emmanuel Macron) sur la gestion de cette épidémie. Nous n’avons pas fait la guerre au virus mais tenté de contenir une épidémie ».

La mission de la commission n’était « pas de rechercher les responsabilités individuelles », « ni de juger le passé au tribunal du présent », mais d’effectuer « un établissement précis des faits et de la séquence des décisions prises ». A la lumière des 47 auditions menées (133 personnes entendues), « nous avons ressenti beaucoup d’incompréhension et même de la colère devant l’état manifeste d’impréparation du pays » a relevé Alain Milon.

« Fiasco des masques »

Une colère engendrée par le manque d’équipements de protection dans les premières semaines de la pandémie. « C’est le symbole qui restera de l’état d’impréparation du pays » relève la rapporteure LR, Catherine Deroche. Comment expliquer cette pénurie alors qu’en 2011, la France détenait 700 millions de masques ? De 2011 à 2016, le stock stratégique de masques FFP2 est passé de 700 millions d’unités à 700 000 ». Un « assèchement » justifié par ce changement de doctrine du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Un argument contestable pour la commission d’enquête pour qui « d’autres préoccupations comme des impératifs budgétaires ont présidé le choix de ne pas commander de masques FFP2 » a noté la sénatrice.

En ce qui concerne les masques chirurgicaux, « le fiasco » est encore plus « édifiant » relève Catherine Deroche. En octobre 2018, la direction générale de la Santé a fait le choix de détruire 613 millions de masques, jugés non conformes, pour en racheter à peine 100 millions.

Jérôme Salomon visé mais pas signalé

Une situation plus que problématique au moment où l’épidémie est arrivée sur le territoire. Le rôle de Jérôme Salomon, le directeur de la Santé (DGS) est clairement pointé du doigt par les sénateurs. Non seulement le DGS n’en a pas informé la ministre de la Santé, Agnès Buzyn qui pourtant, fin 2019, l’avait alerté sur un risque de pandémie mondiale. Mais surtout, Jérôme Salomon a fait modifier un rapport scientifique a posteriori pour justifier sa décision d’un « stock tournant » de masques. Les élus s’appuient sur un échange de mails, entre le directeur général de la santé et celui de Santé publique France, François Bourdillon, au sujet du rapport de Jean-Paul Stahl, professeur de maladies infectieuses au CHU de Grenoble qui préconisait de reconstituer un stock stratégique de masques.

« La version accessible au grand public a donc été modifiée par rapport à la version initiale du rapport, bien que Santé publique France l’ait alerté que cela contrevenait à la charte de l’expertise et que cela nuisait à l’indépendance scientifique de l’agence » rapporte la sénatrice.

Même si lors de son audition au Sénat, Jérôme Salomon s’est appuyé sur le rapport Stahl pour justifier l’inutilité de constituer un tel stock en octobre 2018 », les sénateurs ont choisi de ne pas transmettre ses déclarations au bureau du Sénat pour un éventuel signalement au parquet. « Il s’agit d’une omission, pas d’un faux témoignage » a justifié Alain Milon. Bernard Jomier le co-rapporteur PS de la commission a également souligné que des procédures judiciaires étaient déjà en cours.

« L’impréparation et l’absence d’anticipation » de l’Etat

Il n’en demeure pas moins que pour la commission d’enquête, « le gouvernement a sciemment caché la pénurie de masques » affirme Catherine Deroche. A titre d’exemple, une note alarmante des hôpitaux du grand Est et des Hauts-de-France qui signale, dès début février, le manque d’équipements. « Ça n’a fait l’objet d’aucun contrôle de l’Etat » appuie-t-elle.

« L’impréparation et l’absence d’anticipation » de l’Etat ont conduit à des réquisitions qui se sont révélées inefficaces et source de désorganisation. Une impréparation qui s’est révélée aussi coûteuse. « Au 15 juin, 4 milliards de masques ont été achetés pour 2,8 milliards d’euros […] jusqu’à 30 fois le prix habituel ».

« Ce qui nous a le plus marqués, ce n’est pas la cacophonie gouvernementale. Mais le fait qu’Agnès Buzyn a eu très tôt cette intuition d’un phénomène épidémique grave et que cette intuition n’ait pas été partagée visiblement par l’ensemble du gouvernement et le Premier ministre puisqu’il n’a pas pris des dispositions qu’il aurait pu prendre à ce moment-là » note Bernard Jomier.

« Ce n’est pas le conseil de défense qui détermine et conduit la politique de la nation »

Le sénateur déplore aussi le rôle joué par le conseil de Défense « qui a pris le pas » du conseil des ministres, « encore aujourd’hui ». « Selon les termes de notre constitution, c’est le gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation, ce n’est pas le conseil de Défense. Il y a une architecture politique de la gouvernance de crise qui est relativement surprenante […] pour un parlementaire qui contrôle l’exécutif, il est difficile de remplir sa mission dans de bonnes conditions quand il y aune telle extra-gouvernance mise en place même si elle reste tout à fait légale ».

En conclusion, la commission d’enquête préconise que la gestion des stocks se fasse au niveau local, dans les hôpitaux, chez les libéraux, dans les ménages, avec un contrôle et un suivi régulier de l’état des stocks.

« Les instances de démocratie sanitaire ont été écartées »

Bernard Jomier a quant à lui dénoncé « un hospitalo centrisme excessif » de la gestion de la crise sanitaire qui a « produit une mise à l’écart délétère des professionnels de ville et du système de soin ambulatoire ». 17 ans après la canicule de 2003, le sénateur déplore l’inattention au secteur médico-social, « de nouveau les Ephad, les populations les plus vulnérables, n’ont pas obtenu les réponses qu’elles auraient dû avoir ».

Le mode de gouvernance est ici visé. « Cette multiplication des instances ad hoc, à la légitimité fragile, a compromis, non seulement la qualité de la réponse, mais in fine le lien de confiance avec les Français qui ont du mal à comprendre comment les décisions ont été prises […] Les instances de démocratie sanitaire ont été écartées. La conférence nationale de santé n’a pas été consultée » rappelle-t-il.

Afin d’améliorer le lien « entre la décision politique et l’expertise scientifique », la commission préconise « de créer une instance nationale d’expertise scientifique indépendante […] qui pourrait permettre de conseiller le gouvernement ».

Quant au conseil scientifique, il a été jugé trop dépendant du pouvoir exécutif. « Lorsqu’on lui a demandé (à Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique) comment ses avis étaient formulés […] on s’est rendu compte que ses avis et conseils tenaient compte de cette pénurie. Pourquoi le conseil scientifique ne recommandait pas de tester en masse ? Parce qu’il savait que nous n’avions pas de tests. Pourquoi il n’a pas été très offensif sur la question des masques ? Parce qu’il savait que nous n’avions pas de masques » a expliqué Catherine Deroche.

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