C’est l’une des traductions législatives du « quoi qu’il en coûte » face à la crise. Trois jours avant d’entamer le budget 2021, les sénateurs examinent ce lundi soir le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour l’année 2020. C’est en réalité le quatrième du nom. Avoir autant de collectifs budgétaires, surnom des PLFR, est exceptionnel. Il faut remonter à « la crise des dettes souveraines », vers 2010/2011, a rappelé Claude Raynal, le président socialiste de la commission des finances, pour retrouver une situation comparable.
Face à la dégradation vertigineuse des chiffres de l’économie, depuis l’arrivée de la pandémie de Covid-19, le gouvernement n’a pas eu d’autres choix que de revoir plusieurs fois sa copie. Avec le second confinement, ce collectif budgétaire est d’autant plus nécessaire. Ce PLFR 4 prend des allures « particulières, pour ne pas dire extraordinaires » souligne le ministre chargé des Comptes publics, Olivier Dussopt. La seconde vague de Covid-19 coûte à la France un point de croissance, « soit une récession de -11 % ». Le déficit public est maintenant attendu à 11,3 % du PIB. La dette s’envole à 119,8 % du PIB. « Des niveaux inédits depuis 1944 » rappelle Claude Raynal.
« Le coût d’un mois de confinement serait de 15 milliards d’euros »
Une dégradation des finances publiques qui s’explique essentiellement pour la continuité des mesures d’urgences prises par le gouvernement : fonds de solidarité, prêts garantis par l’Etat, chômage partiel et exonérations de charges, auxquels s’ajoute « la prise en charge des loyers » des entreprises, énumère le ministre.
Par ce PLFR 4, le gouvernement met au total sur la table une rallonge de 20 milliards d’euros, alors que « sur une hypothèse haute, le coût d’un mois de confinement serait de 15 milliards d’euros, en termes de dépenses pour les mesures d’urgence. Ça montre que nous avons de quoi tenir pendant les deux mois qui nous séparent de la fin de l’année » souligne Olivier Dussopt. Il ajoute :
Nous préférons avoir de quoi voir venir.
Dans le détail, le fonds de solidarité est abondé de 10,9 milliards d’euros (avec une dépense attendue de 6 milliards), l’activité partielle de 3,2 milliards d’euros. 3 milliards d’exonérations de cotisations sociales sont prévues pour les entreprises. Avec l’épidémie, 2,7 milliards sont prévus pour la santé. 1,1 milliard d’euros iront « pour les plus précaires et les plus fragiles », qui touchent les APL ou pour les étudiants boursiers.
Le ministre ajoute que 115 millions sont lâchés pour la culture, 50 millions pour l’enseignement supérieur, ou encore 25 millions « pour la prise en charge d’assistants d’éducation pour faciliter le dédoublement de classes ».
« C’est colossal mais nécessaire »
Une succession de chiffres qui pourraient donner le tournis. Mais dont les effets sont nécessaires aujourd’hui. La majorité sénatoriale compte donc adopter ce PLFR. « Les ouvertures de crédits sont 10 fois plus élevées que l’année précédente. C’est colossal mais nécessaire. C’est pour ça que nous vous avons suivi, en responsabilité, au cours des trois dernières lois de finances » souligne le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, le sénateur LR Jean-François Husson.
Avec des « mesures de soutien bien dotées, le gouvernement garde indéniablement des marges de manœuvre » souligne le rapporteur du budget au Sénat. Jean-François Husson n’en garde pas moins « quelques points de vigilance », comme des « cas de commerçants, indépendants, qui ne sont pas suffisamment soutenus » par le fonds de solidarité. Le sénateur de la Meurthe-et-Moselle souhaite en conséquence un « renforcement du fonds de solidarité afin de prendre en compte les charges fixes de ces structures ». Et d’ajouter :
Nous devons aider davantage les travailleurs indépendants.
Côté transports publics, concernant les aides exceptionnelles pour Ile-de-France mobilité (1,2 milliard d’euros) ou d’autres autorités organisatrices des mobilités (750 millions), Jean-François Husson défend un amendement sous forme de « garde-fou pour que le remboursement de ces avances se fassent avec une clause de retour à meilleure fortune ». Autrement dit, Ile-de-France mobilité ne rembourserait qu’après retour à l’équilibre.
La gauche dénonce le manque de mesures sociales
A gauche, la sénatrice du Val-de-Marne, Sophie Taillé-Polian (Génération. s, groupe écologiste), dénonce « un PLFR qui n’est pas à la hauteur pour la culture, les petits commerces » qui oublie « les quartiers populaires », alors que 110 maires représentants ces territoires ont écrit à Emmanuel Macron pour demander qu’un milliard d’euros du plan de relance leur soit consacré.
Le groupe PS pointe lui « le manque d’anticipation » sur la deuxième vague et « l’échec » de la stratégie de dépistage et de traçage, constate le sénateur Rémi Féraud. « Prises tardivement, les mesures de restriction pèsent très lourdement sur notre économie » insiste le sénateur PS de Pairs.
Les socialistes proposent une série de mesures sociales : « Prise en charge totale du chômage partiel jusque 2,5 fois le Smic », « hausse de 100 euros par mois du RSA pour les trois derniers mois de l’année », hausse du soutien à l’aide alimentaire ou encore la « prise en charge des masques en milieu scolaire », met en avant Rémi Féraud. Il ajoute :
Vous sous-estimez l’explosion de la pauvreté dans notre pays.
Et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le communiste Eric Bocquet rappelle les données de la Fondation Abbé Pierre : « Le nombre de personnes sans logement approche les 300.000 ». Ou le récent rapport du Secours catholique : « La France franchira la barre des 10 millions de pauvres en 2020 ». Pour le sénateur PCF du Nord, ça ne fait pas de doute, « le traitement des inégalités et de la pauvreté sont le principal échec de ce PLFR ». « Il est temps de mettre à contribution » « les plus hauts revenus », les « compagnies d’assurances » et les « GAFA », selon Eric Bocquet. Le communiste rappelle que ces derniers « paient très peu d’impôts en France », au regard de leur activité économique, et qu’« Amazon ne déclare quasiment aucun bénéfice en France »…