On rouvre. Et après ? Le gouvernement va petit à petit desserrer les mesures de restriction face au covid-19. Un allègement qui s’opère malgré un haut niveau de circulation du virus. Après avoir proposé des solutions pour la réouverture rapide des lieux culturels, la mission d’information du Sénat sur les effets du confinement et des mesures de restriction continue ses travaux. Cette fois, c’est toute la stratégie gouvernementale face au virus qui est questionnée.
« Au fond, est-ce la bonne stratégie ? Le débat doit être porté clairement devant l’opinion publique » demande le sénateur (apparenté PS), Bernard Jomier, président de la mission d’information. Le sénateur de Paris cherche en somme à faire ce que le gouvernement n’a pas fait selon lui : mettre sur la table toutes les données, pour prendre collectivement, et après en avoir débattu, si possible au Parlement, la meilleure décision. Tout l’inverse du Conseil de défense, symbole du mode de gestion de la crise depuis le début, où les décisions sont prises par quelques-uns autour d’Emmanuel Macron.
« Il y a bien des phénomènes de choix et de tri »
Si le chef de l’Etat n’a pas reconfiné dès la fin janvier, et a attendu au maximum – plus que de raison, diront certains – pour prendre de nouvelles mesures en mars/avril, c’est notamment pour ne pas affaiblir davantage l’économie. Mais à observer les pays étrangers, les choix diffèrent selon les régions du monde. « On constate que les pays qui ont mené la stratégie de contrôle strict de la circulation du virus, loin d’avoir des mauvais résultats économiques, sont plutôt des pays qui s’en tirent bien sur le plan économique. Donc on ne peut pas définir une stratégie (qui consiste) à laisser circuler le virus, à partir d’arguments économiques », estime Bernard Jomier, selon qui « ce n’est pas la bonne grille d’analyse » (voir la vidéo). Il ajoute :
Les questions économiques et sanitaires, en pratique, ne s’opposent pas. Il n’y a pas à faire un choix entre l’activité économique et sauver des vies. Et c’est plutôt le contraire. Les pays qui réussissent le mieux, qui ont sauvé le plus de vies, sont aussi souvent des pays qui ont maintenu la meilleure activité économique.
Sur le plan sanitaire, la stratégie actuelle ne semble pas plus satisfaisante, selon ce médecin généraliste de profession : « Il y a une recherche de non-saturation du système de soins, et c’est en partie un échec. Il y a bien des phénomènes de choix et de tri, même si ça déplaît qu’on prononce ce mot. On est simplement dans une gestion de limitation des effets sanitaires et de restriction minimale sur l’activité économique ».
« Si vous vaccinez les enfants, quels sont les effets ? »
Pour y voir clair, il faut des données. Et des projections, ce que n’a pas le Sénat. La mission d’information a donc commandé une étude à l’ANRS-Maladies infectieuses émergentes, agence qui fait partie de l’Inserm. Son directeur, le Pr Yazdan Yazdanpanah, est membre du conseil scientifique sur le covid-19. « On demande à l’agence si au lieu de la stratégie actuelle de vivre avec le virus et de le laisser circuler à un niveau élevé, alors qu’on rouvre les écoles, est-ce qu’il y a une autre stratégie possible ? » demande Bernard Jomier, qui évoque deux autres pistes : « Soit la stratégie d’élimination du virus, appelée zéro covid, ou celle de circulation minimale, où on prend des mesures avec pour objectif quelques milliers de cas par jour et pas plus, un peu comme disait le chef de l’Etat en novembre ». Emmanuel Macron avait alors fixé à 5.000 cas par jour, la sortie de confinement… qui s’est fait finalement à 10.000 cas par jour. Nous en sommes aujourd’hui à environ 30.000 cas journaliers, avec des taux d’incidence encore très élevés.
Concrètement, « l’agence va travailler avec des modélisateurs, qui vont regarder quel type de mesures provoque quel effet sur la circulation du virus. Par exemple, si vous vaccinez 50 % de la population, quels en sont les effets ? Si vous prenez telles mesures sur les écoles, quels résultats ? » illustre le sénateur du groupe PS, ou encore « si vous vaccinez les enfants, là aussi quels effets ? ». Le cas avec « un variant résistant au vaccin ou plus dangereux » sera aussi étudié, tout comme les mesures pour le freiner. A partir de ces modélisations, « l’agence va faire un travail d’analyse de santé publique pour en tirer des scénarios possibles de circulation minimale ou d’élimination du virus ». A noter qu’une étude de ce type a déjà été réalisée par l’Institut Pasteur, qui fixe le seuil à 90 % des adultes vaccinés pour un retour à la normale. Celle commandée par le Sénat viendra enrichir les travaux.
L’étude sera « rendue publique »
L’étude devrait être « remise début juin ». Et Bernard Jomier l’assure : « On la rendra publique. Cela viendra nourrir le débat ». Car « la stratégie à prendre doit être débattue de façon plus objective. Le gouvernement dit « vaccinons, vaccinons ». C’est très bien mais sans nous dire ce qu’on fait avec », regrette le sénateur de Paris. Car si le vaccin est « un outil indispensable, essentiel, précieux, le plus bel outil » contre le virus, Bernard Jomier s’interroge : « Est-ce qu’on peut fonder une stratégie uniquement sur la circulation ? »
On comprend que la réponse est non. D’autant que Bernard Jomier souligne « le risque, en laissant largement circuler le virus, que le virus nous échappe » ou qu’« en vaccinant 40 millions de Français, il y ait encore 200 décès par jour ».
D’autres outils de lutte contre le virus à appliquer
En s’appuyant sur l’étude, la mission d’information pourra aussi proposer des mesures concrètes à prendre pour continuer à juguler le virus, aux côtés de la vaccination. On connaît déjà un certain nombre d’outils à disposition, qui ne méritent qu’à être appliqués : capteur de CO2 pour savoir quand aérer une pièce, étude des eaux usées, tests groupés et répétés dans les lieux à risque (entreprises, écoles, ce que le gouvernement commence à faire pour ces dernières) pour stopper le virus en amont, rétro tracing pour remonter les contaminations, système d’aération performant, etc (lire notre article sur le sujet pour plus de détails). Autant de mesures qui aideront à ne plus courir derrière le virus, mais à prendre un peu d’avance ou, du moins, à prendre toutes les mesures nécessaires et adaptées au bon moment.