Covid-19 : le Sénat s’interroge sur les raisons de la réticence vaccinale dans certains territoires d’Outre-mer

Covid-19 : le Sénat s’interroge sur les raisons de la réticence vaccinale dans certains territoires d’Outre-mer

La mission sénatoriale sur les effets des mesures en matière de confinement organisait mardi une table ronde centrée sur la situation des Outre-mer. Très vite, la vaccination s’est retrouvée au centre des discussions, alors que la couverture vaccinale dans certains de ces territoires reste trop basse pour empêcher une nouvelle envolée des contaminations.
Romain David

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« Ce qu’ont connu les Antilles est au-delà de ce qu’ont subi les régions les plus touchées par la pandémie en métropole ». Prenant la parole ce mardi dans le cadre d’une table ronde sur les spécificités des Outre-mer en matières sanitaire et économique, organisée par la mission sénatoriale sur les effets des mesures de confinement, Cécile Courrèges, ex-directrice générale de l’offre de soins, a dressé un tableau particulièrement sombre de la situation qu’elle a rencontrée en Guadeloupe et en Martinique, à l’occasion d’une mission d’appui de trois semaines à la fin de l’été. Alors que neuf territoires ultramarins resteront en état d’urgence sanitaire au moins jusqu’au 15 novembre, Cécile Courrèges a tenu à « saluer les capacités d’adaptation sur place », mais aussi l’« impressionnant soutien national » apporté à ces régions via les rotations de professionnels arrivés de métropole. Pour autant, la quatrième vague est à peine stabilisée que l’éventualité d’une nouvelle flambée des contaminations inquiète déjà. « D’un point de vue sanitaire, l’élément d’inquiétude extrêmement fort c’est le taux de vaccination de ces territoires », alerte cette ancienne collaboratrice de Manuel Valls. « On est très loin de toute logique d’immunité collective. Sur place, mes interlocuteurs locaux sanitaires se disaient que cette situation allait recommencer dans deux ou trois mois. »

Des taux de vaccination toujours inquiétants

La faiblesse de la couverture vaccinale concerne une large partie des Outre-mer. À l’exception notable de Saint-Barthélemy, le taux de personnes ayant reçu un schéma vaccinal complet reste très en deçà des chiffres de la métropole : 31,5 % à Saint-Martin, 30,2 % à Mayotte, 29 % en Martinique, 27,8 % en Guadeloupe, ou encore 22,9 % en Guyane, selon les dernières données de Santé publique France. Des chiffres d’autant plus déroutants qu’ils n’ont que peu évolué entre le début de la quatrième vague et la fin du mois de septembre. « Si je regarde le niveau de la vaccination en Martinique et en Guadeloupe avant le pic, puis le niveau de vaccination aujourd’hui : la différence est de 10 % », constate Marie-Anne Poussin-Delmas, la présidente de l’Institut d’émission des Outre-mer, également invitée de cette table ronde. « Cela veut dire que les esprits de nos concitoyens ultramarins ne sont pas encore mûrs. Même s’il y a des décès, même s’il y a une situation d’urgence dans les hôpitaux, ça n’est pas suffisant pour convaincre que la vaccination est le seul outil. »

« Un fait sociologique qui n’a pas été assez appréhendé »

Mais une fois le constat posé, les participants à cette table ronde étaient bien en peine de déterminer les causes profondes de cette défiance. « Il y a eu beaucoup de problèmes au niveau de la communication, et je crois que c’est l’un des premiers freins », avance Victoire Jasmin, sénatrice socialiste de Guadeloupe. Cette élue dénonce une infantilisation des populations pendant la crise sanitaire, ce qui a pu nourrir une réaction de rejet. « Entre les propos moralisateurs, culpabilisateurs, les jugements de valeur – ici encore je viens d’entendre que les esprits n’étaient ‘toujours pas mûrs’ – on entend des choses choquantes », s’agace-t-elle. « Il faut dire des choses suffisamment positives pour impulser une nouvelle dynamique. »

Jocelyne Guidez, sénatrice centriste de l’Essonne, pointe l’influence des réseaux sociaux – « les Antillais sont assez branchés, et parfois ils écoutent un peu trop ce qui peut s’y dire, en bien ou en mal » - mais propose également un autre argument : le traumatisme laissé par le chlordécone. Utilisé dans les bananeraies jusqu’au début des années 1990, cet insecticide est désormais associé à de nombreux problèmes de santé, notamment certaines formes de cancer.

« Je ne vais pas entrer dans des considérations historiques sur les empoisonnements », enchaîne Victorin Lurel, sénateur socialiste de Guadeloupe, et ancien ministre des Outre-mer de François Hollande. Cet élu pointe plutôt l’attachement des populations locales à des pharmacopées traditionnelles comme les « Rimèd Razié » à base de plante médicinales. « Les gens ne comprennent pas que ce sont des traitements complémentaires, pour la détoxification par exemple, et pas des traitements alternatifs », explique-t-il. Pour lui, il s’agit « d’un fait sociologique qui n’a pas été assez appréhendé ». « Vous ne pouvez pas savoir les résistances intellectuelles, psychologiques et peut-être religieuses ». À présent, les tensions sociales dans certains territoires sont venues complexifier l’équation : « On a fait de l’opposition à la vaccination une stratégie de lutte contre le gouvernement, contre l’État, contre le colonialisme », déplore Victorin Lurel.

Mieux lutter contre la défiance vaccinale

Pour ce sénateur, il importe de faire comprendre que la crise sanitaire n’est pas ponctuelle, mais induit des bouleversements qui vont s’inscrire dans la durée, bien au-delà de la levée de l’état d’urgence sanitaire. « Je suis persuadé que l’on n’a pas assez fait rentrer dans la tête de ces gens que l’on allait vivre longtemps avec ce virus-là. Le vaccin n’est pas provisoire, son autorisation n’est pas provisoire, il n’est pas expérimental, il ne change pas le génome ou que sais-je encore ? »

Marie-Anne Poussin-Delmas propose un travail de pédagogie, qui s’appuierait exclusivement sur des données statistiques, une sorte de démonstration par l’évidence : « Donner des chiffres factuels et comparatifs des situations avant/après vaccination ». Autre suggestion : s’attaquer aux fake news directement sur leur terrain de prolifération, à savoir les réseaux sociaux. « Il faudrait essayer de trouver des influenceurs qui nous aideraient à passer les messages dans nos territoires ultramarins », enjoint-elle. Bref, quelques pistes qui laissent présager « des semaines de lourds travaux en perspective », pour reprendre la formule du sénateur PS Bernard Jomier, président de cette mission d’information.

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