Covid-19 : « Quand le pays est dans le déni, c’est très compliqué », déclare Agnès Buzyn
L’ancienne ministre de la Santé, en responsabilité jusqu’au 15 février, a délivré à la commission d’enquête du Sénat le calendrier précis de ses décisions depuis le début du mois de janvier dans la gestion de la crise. Elle a estimé qu’elle avait « le sentiment d’avoir tout préparé » et sonné l’alerte le plus tôt possible.
La commission d’enquête du Sénat sur l’évaluation des politiques publiques face aux pandémies est entrée dans le dur de ses travaux ces dernières heures avec l’audition des ministres au gouvernement au moment où la pandémie de coronavirus a submergé le pays. Le face-à-face d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, jusqu’au 15 février, et des sénateurs ce 23 septembre 2020 s’est transformé en une audition fleuve de trois heures et quarante minutes. Des premières alertes provenant de Chine fin décembre 2019 à son départ du ministère pour reprendre le flambeau de la campagne municipale à Paris, Agnès Buzyn a livré aux sénateurs un déroulé minutieux de son action et de ses décisions, jour par jour. Cette méthode exhaustive a considérablement étendu la longueur de ses réponses, mais l’ex-ministre y tenait, pour répondre au procès en inaction perceptible dans l’opinion publique, selon elle. Plus d’une fois au cours de l’audition, Agnès Buzyn a insisté sur les menaces de mort dont elle a fait l’objet. « La gestion de cette crise n’est pas connue », se justifie-t-elle lorsqu’un sénateur l’interrompt.
Messages d’alerte, réunions de crise à Matignon, avertissements, commandes de masques FFP2 le 30 janvier : tout y passe. « Peu de ministres ont été autant en alerte et en action que moi à cette période-là en Europe », a-t-elle affirmé. Elle a notamment souligné que son action en janvier avait consisté à rapidement étendre la définition d’un cas contact en janvier, à faire de la France un « pays en avance » dans le déploiement des tests à l’hôpital ou encore à réclamer une réunion de ses homologues européens, malgré les réticences d’une majorité d’États. « J’étais au front tous les jours », s’est-elle défendue,
« Pourquoi n’a-t-on pas eu les résultats escomptés ? » se demandent les sénateurs
Mais pour les sénateurs, quelque chose ne collait pas. « Pourquoi n’a-t-on pas eu les résultats escomptés ? » a résumé le vice-président de la commission, René-Paul Savary (LR). « Quand on voit le résultat, on ne peut que s’étonner », a relevé la communiste Laurence Cohen.
Agnès Buzyn a multiplié les rappels chronologiques pour prouver, selon elle, qu’elle avait pris la mesure de la gravité de l’épidémie. Dans ses réponses, la ministre a en parallèle accusé le poids de l’héritage à son arrivée rue de Ségur. « Cette question des masques est restée sous le radar dix ans, avec une forme de traumatisme de la gestion de la crise H1N1 […] Quand je commande des masques, c’est en fait déjà trop tard. La Chine est fermée. » Elle met aussi en cause la lourdeur dans la mise en œuvre des instructions de la Direction de la santé au niveau de l’agence Santé publique France, chargée de la gestion du stock stratégique. En 2019, celle-ci met neuf mois à honorer une commande de 100 millions de masques, sur un stock en déperdition après un changement de doctrine. « J’ai donc un doute sur le degré de préparation », a-t-elle conclu.
« Si j’avais dit le 21 janvier que l’on allait avoir une pandémie mondiale, on m'aurait traitée de folle »
« La politique, c’est l’art de l’exécution, et c’est être en phase avec un pays », a-t-elle poursuivi. Et sur ce point, l’ancienne ministre est convaincue d’avoir manqué de soutien, dans les instances internationales dont « l’appui » manquait – « la pandémie est déclarée le 11 mars », a-t-elle rappelé – mais aussi auprès de médecins et d’urgentistes intervenant dans les médias. Agnès Buzyn a rappelé, citations, à l’appui, quel était l’état d’esprit jusque dans les premiers jours de mars, dans les médias. « Il y a eu une sorte de déni […] Quand un pays est dans le déni, c’est très compliqué », a-t-elle résumé, mettant en cause un relativisme ambiant. Et estimant avoir eu raison trop tôt. « Si j’avais dit le 21 janvier que l’on allait avoir une pandémie mondiale, on m'aurait traitée de folle. » Dès le début de l’audition, elle avait fait ce rappel. « Il faut mettre les décisions dans le contexte de ce qu’on connaissait à l’époque. »
« Je sentais bien qu’il n’y avait pas de prise en compte »
Aux sénateurs, comme illustration, elle a détaillé son état d’esprit, au moment d’une conversation téléphonique avec un membre du Collectif Inter Hôpitaux en février :
« Vous vous souvenez que je gérais la grève administrative des chefs de service. Nous programmions une réunion, je l’avais au téléphone en prenant le train, en allant à l’EPSCO à Bruxelles [la réunion des ministres de la Santé de l’Union européenne, N.D.L.R.]. Je disais : Arrêtez votre grève. Nous avons besoin que vous répondiez aux mails, nous allons avoir un tsunami qui arrive, vous devez vous mettez en ordre de marche. Les hôpitaux doivent se préparer. Arrêtez cette grève, allez aux réunions. C’était le 12 février […] Je sentais bien qu’il n’y avait pas de prise en compte. »
Elle a également rappelé que la veille de son départ, le plan ORSAN-REB (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles) a été déclenché. « Je pars le 15 février. La Direction générale de la Santé, le Premier ministre et le président de la République étaient préparés en mode combat », a-t-elle conclu. À l’issue de cette longue audition, Agnès Buzyn a eu du mal à retenir son émotion, après une nouvelle question sur son passage au ministère de la Santé.
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