Elisabeth Borne conclu le Conseil National de la refondation dedie a la petite enfance

Crèches : Elisabeth Borne dévoile un plan ambitieux pour la petite enfance, des sénateurs s’interrogent sur les moyens à disposition

La Première ministre a annoncé ce jeudi vouloir consacrer plus de 5 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat à l’ouverture de places supplémentaires en crèche. Du côté du Sénat, les élus saluent le discours volontariste d’Elisabeth Borne tout en questionnant sa faisabilité au regard des pénuries de personnels et des charges qui incombent déjà aux collectivités.
Romain David

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La Première ministre Elisabeth Borne a posé les premières pierres du service de la petite enfance, promis par Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle. En déplacement ce jeudi 1er juin à Angers, aux côtés de Jean-Christophe Combe, le ministre des Solidarités, et de Charlotte Caubel, la secrétaire d’Etat chargée de l’enfance, la cheffe du gouvernement a conclu les travaux du Conseil national de la refondation (CNR) consacré à la petite enfance par une série d’annonces, dont elle avait déjà esquissé les contours la veille, dans un entretien au quotidien régional Ouest France. « Le principe est simple : plus de places, plus de personnels et plus de qualité ! », a-t-elle résumé.

Cette volonté de montée en puissance intervient un peu moins de deux mois après la publication d’un rapport particulièrement accablant de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les cas de maltraitance dans les établissements d’accueil, rapport qui avait été commandé par l’exécutif suite à la mort d’une fillette dans une crèche de Lyon, le 22 juin 2022, après qu’une professionnelle lui ait fait ingérer de la soude caustique.

Augmenter le nombre de places en crèche

Alors que de nombreux parents sont confrontés au casse-tête de la garde, Elisabeth Borne annonce l’ouverture de 100 000 places supplémentaires en crèche d’ici 2027, et 200 000 places en plus d’ici 2030. Le gouvernement entend y consacrer une enveloppe de 5,5 milliards étalée sur la période 2023-2027. Ce n’est pas la première fois, toutefois, que l’exécutif s’engage à augmenter les capacités d’accueil. Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, avait évoqué en avril, sur le plateau de France 2, la création de « 200 000 solutions supplémentaires », englobant à la fois des places en crèche et des assistantes maternelles. Une annonce similaire avait déjà été faite par Emmanuel Macron début 2022, lors du Congrès de la Fédération des acteurs de la solidarité.

En 2019, il manquait 230 000 places de crèche en France, malgré les 450 000 existantes selon le baromètre économique de la petite enfance publié par la Fédération française des entreprises de crèche. « L’intention du gouvernement est louable mais je resterai prudente sur les chiffres annoncés », observe auprès de Public Sénat la sénatrice socialiste Michelle Meunier, en pointe sur les questions de petite enfance. « D’autres avant eux se sont positionnés sur des chiffres aussi ambitieux, et qui n’ont jamais été tenus. Chaque année, dans le cadre de l’examen du budget de la sécurité sociale, nous auditionnons la CAF qui fait plutôt état de 17 000 places créée pour les années les plus fastes. En ouvrir pratiquement six fois plus sur quatre ans me parait irréel ».

Le gouvernement souhaite également accroitre le nombre de crèches labellisées AVIP (« à vocation d’insertion professionnelle ») pour atteindre 1 700 structures à la fin du quinquennat, contre 700 actuellement. Ces établissements proposent des plages de garde plus larges. En partenariat avec Pôle emploi, ils s’adressent en priorité aux parents en recherche d’emploi, notamment aux familles monoparentales.

Faire de la commune le principal ordonnateur de l’offre d’accueil

Sur le versant réglementaire, l’exécutif entend apporter une certaine clarification quant à la gestion de l’offre. « Notre système manque de lisibilité », a admis Elisabeth Borne. « Le morcèlement des responsabilités pèse sur l’information des familles et l’organisation de l’accueil. Au fil des échanges, la commune s’est dégagée comme l’échelon le plus adapté. » Ainsi, les communes de plus de 3 500 habitants se verront octroyer une compétence nouvelle, celle d’« autorité organisatrice » de l’accueil des jeunes enfants. Elles auront pour mission de recenser les besoins des familles et de mettre en place une offre adéquat. Par ailleurs, dans les villes de plus de 10 000 habitants, les parents disposeront d’un guichet unique pour les informer de l’offre disponible et accompagner leurs démarches.

Le modèle français se caractérise par une pluralité des modes de garde, entre l’accueil en crèche, la garde à domicile, le recours à un proche ou à une assistante maternelle. En l’absence d’obligations légales, le développement de l’offre repose essentiellement sur une politique incitative et l’octroi d’aides aux différents acteurs, privés ou publics, qui s’engagent sur la création d’un établissement. « Aucune construction institutionnelle n’organise de façon obligatoire et systématique l’accueil des jeunes enfants en France : l’organisation des modes d’accueil en France n’est l’objet d’aucune obligation de résultat. », soulignait en février 2015, lors d’une table ronde organisée au Sénat, Bernard Fragonard, l’ancien président du Haut Conseil de la Famille.

Néanmoins, confier la gestion des modes d’accueil aux municipalités pourrait être un point de crispation, notamment du côté du Sénat où les parlementaires accordent généralement une attention particulière aux doléances des collectivités, déjà mises à rude épreuve ces dernières années avec la réorganisation des finances locales et l’explosion de l’inflation. « On risque encore d’augmenter leurs charges. Certes, il n’est pas illogique de considérer que la mairie, du point de vue des parents, est le meilleur interlocuteur, mais on ajoute une contrainte supplémentaire aux communes qui ont déjà beaucoup sur le dos ! », avertit le sénateur LR de Haute-Savoie Cyril Pellevat, auteur en 2015 d’un rapport d’information sur l’accueil des jeunes enfants.

Renforcer les contrôles

Dans la suite du rapport de l’IGAS et des risques de maltraitance pointés par l’administration, Elisabeth Borne s’engage à instaurer une fréquence minimale de contrôle des crèches. Leur agréement sera également limité à dix ans, avec un point d’étape à mi-parcours. « Dans les micro-crèches [établissements dont la capacité d’accueil n’excède pas 10 places, ndlr], la présence de deux adultes sera obligatoire dès la premier enfant », a encore précisé la Première ministre. Un point qui inquiète également Cyril Pellevat : « J’ai bien peur que dans les territoires tendus nous ayons des effets collatéraux avec des blocages, certains établissements resteront fermés faute de professionnels ». Ainsi, Michelle Meunier rappelle que le manque de place est moins lié à la taille des infrastructures qu’aux moyens humains : « La difficulté n’est pas d’ouvrir des places en tant que telle, mais d’avoir le personnel nécessaire autour. De la même manière, pour augmenter la fréquence des contrôles, il faut disposer d’un nombre conséquent d’agents ».

Revalorisation des professions

Concernant l’attractivité des métiers et les recrutements, la cheffe du gouvernement annonce un renforcement des formations et le lancement « d’une campagne de valorisation ». « Nous entendons les attentes du secteur, notamment en matière de rémunération. Une concertation est en cours pour améliorer le socle social commun, des propositions doivent être faites prochainement au ministre des Solidarités », a indiqué Elisabeth Borne, l’objectif étant d’enrayer la pénurie des professionnels. Par ailleurs, à partir de 2025 les allocations familiales pour les familles qui emploient une assistante maternelle seront majorées, afin que ce mode de garde ne soit pas plus onéreux qu’une place en crèche. « Grace à cette mesure un couple qui gagne 4 000 euros par mois économisera 200 euros chaque mois pour l’emploi d’une assistante maternelle », a fait valoir Elisabeth Borne.

D’ici 2026, ce sont 164 000 assistantes maternelles qui seront parties en retraite sur un contingent de 304 000, selon le baromètre économique de la petite enfance publié par la Fédération française des entreprises de crèche. Pour Michelle Meunier, l’exécutif est encore trop timoré sur ce sujet et ne cible pas nécessairement les problématiques de recrutement auxquelles sont confrontées les structures. « Evidemment, des revalorisations salariales sont toujours les bienvenues, mais le véritable défi consiste à redonner de l’intérêt au travail d’équipe. C’est sur ce point qu’il faut mettre le paquet. Le travail en crèche est un travail ingrat, répétitif. Aujourd’hui, une éducatrice de jeunes enfants qui sort d’école n’a pas toujours l’intention de travailler au sein d’un établissement, elle aspire souvent à exercer ses compétences sous d’autres formes, par exemple avec du coaching parental. »

Un outil en faveur du plein emploi

Plus largement, un Fonds innovation de 70 millions d’euros sera mis en place pour soutenir le développement de nouveaux modes de garde. Le sénateur Cyril Pellevat insiste sur la nécessité d’engager une réflexion sur des gardes allant bien au-delà des horaires classiques de bureau, liées à des métiers dont la main d’œuvre travaille en décalé. « Nous avons besoin de cette flexibilité sur certains secteurs en tension. 70 millions d’euros serait un bon point de départ, en gardant à l’esprit que ces modes de garde resteraient nécessairement déficitaires, avec des taux de remplissage bien plus bas que ceux des crèches classiques »

Une partie des mesures détaillées ce jeudi devrait figurer dans le projet de loi plein-emploi qui doit être présenté en Conseil des ministres dans le courant du mois. « Améliorer l’accueil des jeunes enfants c’est répondre aux attentes et aux inquiétudes des jeunes parents, c’est œuvrer pour l’égalité femme-homme car les charges parentales sont encore trop inégalement réparties », a expliqué Elisabeth Borne. « Mener une politique volontariste pour la petite enfance c’est agir pour permettre à chacun d’accéder à un travail ; sans mode d’accueil satisfaisant, pas de société du plein emploi ! »

Le droit opposable à la garde d’enfant, une promesse oubliée ?

Un point toutefois n’a pas été abordé par la Première ministre ce jeudi : la création d’un droit opposable à la garde d’enfant. L’idée, un serpent de mer qui refait régulièrement surface depuis une quinzaine d’année, avait pourtant été défendue par Emmanuel Macron pendant la dernière campagne présidentielle, pour tous les enfants de moins de 3 ans. La création d’un tel droit permettrait aux parents de se tourner vers la justice en l’absence de solution de garde. À ce stade toutefois, l’état de l’offre d’accueil et les difficultés du secteur semblent pousser l’exécutif à la prudence, sans que cette promesse de campagne n’ait été totalement écartée. « Nous avons auditionné cette semaine Jean-Christophe Combe, le ministre des Solidarités, et à l’écouter, j’ai cru comprendre que cette idée n’était pas encore enterrée », glisse Michelle Meunier.

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