C’était le point huit de l’ordre du jour du bureau du Sénat, ce jeudi 12 décembre. « Suppression des reversements des crédits collaborateurs aux groupes politiques ». Une simple phrase derrière laquelle beaucoup de lignes ont été écrites. Car c’est par cette disposition qu’avait pu se mettre en place au groupe UMP, jusqu’en 2014, un système opaque sur lequel une enquête est encore en cours sur de possibles détournements de fonds publics.
Le bureau du Sénat a décidé ce matin, à l’unanimité, de supprimer cette possibilité du règlement de la Haute assemblée. Les sénateurs ne pourront donc plus reverser à leur groupe politique le reliquat des crédits collaborateurs non-utilisés, dès le 1er janvier 2020. Chaque sénateur bénéficie actuellement d’une enveloppe de 8.406 euros bruts pour embaucher jusqu’à cinq collaborateurs. En cas de reliquat, il sera maintenant reversé au budget général du Sénat.
De 2 millions d’euros en 2005 à 360.000 en 2019
Cette possibilité de reverser cet argent public au groupe était dans la pratique surtout utile aux petits groupes politiques, qui ont moins de moyens. De quoi les aider à embaucher des collaborateurs. De nouvelles règles de subventions des groupes ont donc été décidées ce matin, afin de garantir les moyens financiers nécessaires aux groupes minoritaires.
Le dispositif supprimé ce matin était, en réalité, petit à petit tombé en désuétude. En 2005, les versements des sénateurs au groupe, tous groupes confondus, représentaient 2 millions d’euros, selon les informations de publicsenat.fr. En 2018, le chiffre chute à 452.000 euros, toujours tous groupes confondus, et en 2019, il est de 360.000 euros. Des chiffres donnés lors du bureau par Gérard Larcher, président LR du Sénat.
Dans les comptes 2015 du Sénat, on apprend aussi que ces transferts aux groupes étaient de 817.000 euros en 2015, contre 1.276.000 euros en 2014 (une baisse de 46% en un an).
Une possibilité ancienne, déjà encadrée en 2015
En 2015, cette possibilité avait déjà été encadrée par une décision du bureau. « La possibilité dont disposent les sénateurs de transférer au groupe politique auquel ils appartiennent une fraction des crédits mis à leur disposition pour rémunérer leurs collaborateurs fera l’objet d’une traçabilité garantissant la stricte affectation de ces crédits transférés aux dépenses salariales des groupes politiques » affirme le bureau. Une précision qui faisait implicitement référence aux pratiques passées.
En 1988, une première décision du bureau du Sénat décide déjà que les crédits non-utilisés ne doivent être utilisés que pour rémunérer des collaborateurs. Mais en 1989, une nouvelle décision « supprime cette obligation », nous avait raconté l’avocat de cinq ex-sénateurs mis en examen dans cette affaire. C’est cette absence de cadre précis, qui a ensuite été utilisé.
Enquête en cours
Selon l’enquête en cours, un système de rétrocessions vers certains sénateurs avait été mis en place. Les reliquats de crédits collaborateurs passaient par le groupe UMP – jusqu’ici, rien à dire – puis étaient ensuite reversés à une association, l’Union républicaine du Sénat (URS). Cette dernière en remettait ensuite une partie à des sénateurs, sous forme de chèques ou d’espèces. Ce mécanisme de rétrocession pouvait porter le nom de « ristourne ». L’ancien ministre Henri de Raincourt, l’un des anciens sénateurs mis en examen, avait soutenu à publicsenat.fr que l’argent servait à son « activité politique » ou des « campagnes électorales ».
L’enquête part d’un signalement de Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy, en 2012, sur une somme de 450.000 euros. Au total, neuf personnes, dont sept anciens sénateurs, sont mises en examen. L’enquête porte sur la période 2009-2014, année où Bruno Retailleau met fin au système, lors de son arrivée à la tête du groupe.
Les associations de collaborateurs parlementaires saluent la décision
Pour l’heure, la décision du bureau fait des heureux : les collaborateurs parlementaires. La fin de la possibilité de reverser au groupe les crédits non-utilisés était « une demande de longue date » souligne Xavier Jamet, président de l’Association des collaborateurs de sénateurs (ACS), qui regroupe les « collabs » de droite et du centre. « On se félicite de cette mesure, car ça sanctuarise la destination de l’enveloppe collaborateurs. La logique est respectée et c’est un gain de transparence. ça peut aussi être un gain de pouvoir d’achat. Les sénateurs pourront embaucher ou augmenter leurs collaborateurs » salue Xavier Jamet. Selon les données que nous avions obtenues, le salaire moyen d’un assistant parlementaire était de 4.073 euros bruts en 2013.
Même satisfecit, du côté de l’AGAP, qui rassemble les collaborateurs parlementaires de gauche. « On est content. C’est une avancée qu’on demandait depuis longtemps. Mais on aurait bien aimé pouvoir dire que le reliquat pouvait être versé sous forme d’une prime de fin d’année. Mais c’est déjà un premier pas » reconnaît Amély Hebel, co-présidente de l’AGAP.
« Une plus grande transparence »
Chez les sénateurs, on salue aussi cette nouvelle transparence. Notamment du côté d’un jeune élu comme le sénateur LR du Territoire de Belfort, Cédric Perrin, élu en 2014. « Une plus grande transparence me semble bien. Je ne savais même pas qu’on pouvait faire ça… donc je ne l’ai pas fait, bien que je n’utilise pas toute mon enveloppe car je recherche un collaborateur actuellement » explique-t-il.
Cédric Perrin ne voudrait cependant pas « qu’on fasse payer à la jeune génération les conséquences de choses qui ont été faites avant », par ses prédécesseurs. « Il y a eu les lois de moralisation, les obligations de présence avec suppression d’indemnité en cas d’absence, etc » rappelle le sénateur du groupe LR, qui « pense qu’aujourd’hui, les choses sont réglées ». La décision du bureau permet, symboliquement, de vraiment tourner la page sur des pratiques du passé. Reste l’enquête en cours de la justice. Il faudra encore attendre pour clore ce dossier.