Inculpé pour crime de guerre, Vadim Chichimarine, un sergent russe de 21 ans, comparaissait à l’audience préliminaire de son procès ce vendredi 13 mai dans un tribunal de la capitale. Le jeune homme est accusé par les autorités ukrainiennes d’avoir tué un civil non-armé de 62 ans, d’une rafale de kalachnikov alors que ce dernier poussait sa bicyclette près de son domicile. La scène s’est déroulée dans un village situé près de Soumy dans le Nord-Est du pays, quelques jours après le début de l’invasion militaire lancée par Moscou. Kiev avait annoncé l’arrestation du militaire début mai. Dans une vidéo publiée par les services de sécurité ukrainiens, Vadim Chichimarine reconnaît les faits : « J’ai reçu l’ordre de tirer, je lui ai tiré dessus une fois. Il est tombé et nous avons continué notre route », a-t-il expliqué. L’homme originaire d’Irkoutsk en Sibérie explique combattre en Ukraine pour « soutenir financièrement sa mère. » L’homme a plaidé coupable au cours de la première journée de son procès. Il risque l’emprisonnement à perpétuité.
La crainte « d’un procès symbole »
Le procès qui s’ouvre ce mercredi 18 mai est une première à bien des égards et a valeur de test pour l’Ukraine. Juger un militaire russe pour crime de guerre, après quelques semaines d’instruction alors que la guerre suit son cours, « c’est du jamais vu dans l’histoire moderne », selon Céline Bardet, juriste et enquêtrice criminelle internationale, qui craint « un possible procès symbole. » Il faut remonter à la guerre de Bosnie pour trouver un précédent. A l’époque, Borislav Herak, un soldat Serbe de Bosnie avait été traduit devant un tribunal en mars 1993, quelques mois après sa capture par les soldats bosniaques. Concernant Vadim Chichimarine, « l’instruction a été menée dans une forme d’opacité par des enquêteurs qui ne sont pas forcément habitués à mener ce genre d’instruction », souligne-t-elle. Beaucoup de questions restent en suspens sur « les éléments de preuve » qui vont être présentés au cours du procès. Tout soupçon d’irrégularité « risquerait d’entacher l’image du système judiciaire ukrainien » et « pourrait menacer l’équité du procès. »
10 700 crimes enregistrés depuis le début de l’invasion, selon le bureau de la procureure générale d’Ukraine
La procureure générale, Iryna Venediktova, a indiqué sur les réseaux sociaux l’importance politique et la forte symbolique de cette affaire : « Par ce premier procès, nous envoyons un signal clair : chaque auteur, chaque personne qui a ordonné ou aidé à commettre des crimes en Ukraine n’échappera pas à sa responsabilité. » Pour Céline Bardet, Volodymyr Zelensky a été extrêmement clair en indiquant que « les Ukrainiens allaient résister à cette agression et traduire en justice les auteurs des crimes de guerre commis sur leur sol. Ils sont dans la lignée de ce qui a été annoncé. »
Après trois mois de guerre, le pays est devenu une « scène de crime » à ciel ouvert selon le Britannique Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale (CPI). Dans le Nord et l’Est, l’armée russe s’est repliée après son offensive ratée sur Kiev et a laissé derrière elle un spectacle de désolation et d’horreur. Ce 18 mai, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) a dressé un nouveau bilan des pertes civiles provoquées par les combats. Au total, 3 750 Ukrainiens dont 250 enfants auraient été tués, auxquels s’ajoutent 4 062 blessés. Les témoignages d’exactions et de crimes commis depuis le début de la guerre affluent aux autorités ukrainiennes. Le 11 mai, Iryna Venediktova la procureure générale faisait état de plus de 10 700 témoignages récoltés sur un site internet mis en place par ses services. 8 000 enquêtes pour crimes auraient été lancées par la procureure depuis le 24 février.
Accusé de corruption avant le conflit, le bureau de la procureure générale a souvent été une instance accusée d’immobilisme sur les affaires sensibles. La mort de Pavel Cheremet, journaliste assassiné dans un attentat à la voiture piégée en 2016 n’a jamais vraiment été élucidée par les enquêteurs. « Historiquement, le système judiciaire ukrainien a été gangrené par la corruption », explique Céline Bardet. Face à l’ampleur des crimes et des données à traiter, Iryna Venediktova et les enquêteurs ukrainiens peuvent toutefois bénéficier d’un large soutien étranger.
Une aide étrangère bienvenue
« L’agence de coopération judiciaire européenne, Eurojust, apporte un soutien aux autorités ukrainiennes », en centralisant les preuves de crimes des enquêtes des différents Etats membres de l’Union sur les atrocités russes, souligne Céline Bardet. En avril 2022, plusieurs experts de l’Institut de Recherches criminelles de la Gendarmerie nationale (IRCGN) s’étaient rendus à Boutcha pour enquêter et apporter leur expertise.
« L’Ukraine peut bénéficier du soutien de la Cour pénale internationale, compétente pour juger les crimes de guerre. La CPI a ouvert en un temps record une enquête en déployant sa plus grande équipe d’enquêteurs jamais déployée », explique la juriste. Le procureur de la CPI, Karim Khan, a annoncé que ces experts étaient présents pour « faire avancer nos enquêtes sur les crimes relevant de la compétence de la Cour et apporter un soutien aux autorités ukrainiennes » pour collecter les preuves et les éléments nécessaires à la constitution des dossiers.
Deux autres procès attendus
Deux autres dossiers seraient prêts à être instruits par la justice, selon le quotidien Britannique The Guardian. Plusieurs militaires russes souvent de simples soldats, sont également accusés de crimes de guerre et devraient comparaître devant les tribunaux ukrainiens dans les semaines à venir. Deux autres soldats sont accusés de crime de guerre. Ces derniers auraient tiré plusieurs roquettes sur des bâtiments civils dans la région de Kharkiv. Une troisième affaire est également attendue devant le tribunal. Mihaïl Romanov, un militaire russe, est accusé de viol et de meurtre. Le soldat est soupçonné d’être entré par effraction dans une maison et d’avoir assassiné un homme puis violé à plusieurs reprises sa femme. Le procès devrait se dérouler par contumace.