Le ciel est couvert, le fond de l’air un peu frais. Ils sont une quarantaine de communistes, parlementaires et collaborateurs, rassemblés ce jeudi 4 septembre au Tennis Club du Touquet, au cœur de la forêt de pins qui borde la station balnéaire. À quelques mètres de là : l’imposante façade du Westminster hôtel et le Flavio, piano-bar où Serge Gainsbourg a fait ses premières armes. Plusieurs élus reconnaissent, sourire aux lèvres, avoir été surpris d’apprendre que cette petite ville cossue de la côte d’Opale, bastion de droite au charme discret, avait été choisie comme cadre pour la rentrée parlementaire du parti de Maurice Thorez et Georges Marchais.
Depuis 2017, le Touquet-Paris-Plage est surtout connu comme adresse électorale d’Emmanuel Macron. Selon La Voix du Nord, le chef de l’Etat et son épouse viennent d’y acquérir une nouvelle villa, sur le front de mer. « Le Touquet n’appartient pas à Emmanuel Macron ! Je suis chez moi ici, les gens du bassin minier, qui adorent venir sur la côte, y sont chez eux aussi », balaye la sénatrice communiste du Pas-de-Calais Cathy Apourceau-Poly, face aux interrogations des journalistes.
L’élue donne le change en insistant sur le passé ouvrier de sa région : « Ici, des générations entières ont donné beaucoup pour extraire le charbon qui a fait, en son temps, tourner l’économie française. Ici, se sont forgés les grandes traditions de solidarité, de lutte sociale et ouvrière », explique-t-elle.
Une nouvelle crise politique
De fait, les forces de gauche du Pas-de-Calais sont plutôt implantées à une centaine de kilomètres de là, au cœur du bassin minier, désormais grignoté par l’essor du Rassemblement national, « sur fond de désespoir et de délocalisation. » Les communistes comptent encore deux sénateurs dans le département. En revanche, sur douze circonscriptions, dix sont aux mains de députés RN, dont Marine Le Pen. La circonscription du Touquet est l’une des rares à avoir échappé à la vague bleue marine. Mais la chute probable du gouvernement de François Bayrou, le 8 septembre, laisse craindre une crise politique qui servirait à nouveau de tremplin à l’extrême droite.
Chez les parlementaires communistes, « le jour d’après » est au cœur des discussions. Il n’est déjà plus question d’un éventuel maintien du Palois à Matignon, ils ont tourné la page. Les consultations menées dans la semaine ne les ont pas convaincus, ils ne voteront pas la confiance : « François Bayrou a décidé de se suicider politiquement, grand bien lui fasse ! On ne viendra pas à son secours », balaye Stéphane Peu, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale.
Au tour de la gauche ?
Le bloc gouvernemental va-t-il réussir à se maintenir au pouvoir ou va-t-on assister à la formation d’une nouvelle coalition, qui pencherait plus à gauche ? « Il n’y aura plus de gouvernement, mais il y aura un Parlement. Nous invitons le président de la République à respecter le vote des Français et à se tourner vers la plus grande force de coalition à l’Assemblée », martèle Cécile Cukierman, cheffe de file des sénateurs communistes.
« Il n’y a pas qu’une politique possible face à la dette, avec une seule réponse à apporter », explique Stéphane Peu. « Mais on sait à quel point le président de la République, en dépit de ce que lui dit le peuple, ne veut pas d’une remise en cause de sa politique économique ». « Les Français ont envie de justice sociale, ils veulent rompre avec une politique qui propose des privilèges aux plus riches et des sacrifices aux plus modestes », explique le sénateur Ian Brossat, également candidat à la marie de Paris.
L’art délicat du compromis
Les alliés socialistes, qui refusent le en même temps macroniste alors que certaines personnalités du bloc central, comme Gérald Darmanin, veulent leur tendre la main, appellent à la formation d’un gouvernement de gauche, où les majorités seraient trouvées « projet par projet ». « La question est avant tout celle du contenu politique. On sait que dans l’Assemblée actuelle, il y a des compromis à faire », abonde Stéphane Peu. Avant de lancer un avertissement au PS : « Si c’est pour créer une stabilité politique à tout prix en renonçant à tous nos principes – et on a vu dans l’histoire que les socialistes pouvaient faire ce genre de chose -, alors nous n’en seront pas ! »
La fragmentation politique appelle une pratique du compromis, à laquelle rechigne encore la plupart des forces politiques. Dans la matinée, le sujet revient de manière récurrente à l’occasion d’une table ronde animée par le constitutionnaliste Dominique Rousseau sur l’affaiblissement du parlementarisme. « Au Parlement, on devrait porter cette culture du compromis. En 2024, je n’ai jamais considéré que la gauche avait gagné. Personne n’a gagné, mais personne n’a perdu non plus », ose le député de l’Allier Yannick Monnet.
« Je n’ose imaginer une situation où, le lendemain du 8 septembre, le président appelle un Premier ministre plus ou moins de gauche, et qui viendrait négocier avec le groupe communiste. Celui qui accepterait d’en être serait vu comme un traitre », admet Cécile Cukierman. « Il y a un paradoxe. En bas les gens nous disent : il y en a ras-le bol, il faut arriver à dépasser vos clivages. D’ailleurs, Emmanuel Macron a gagné sur ça en 2017, sur cette capacité à sortir de la bagarre gauche-droite … Mais chassez le naturel, il revient au galop. »
L’ombre d’une nouvelle dissolution
D’aucuns estiment que le chef de l’Etat n’aura d’autre choix que de déclencher une seconde dissolution pour sortir de l’ornière, même si Emmanuel Macron s’en défend pour l’heure. « Il va cramer un Premier ministre pour le budget. Et puis en janvier, il convoquera de nouvelles élections », souffle un élu francilien. Une sénatrice abonde : « Pour Matignon, il ne manquera pas de candidats. »
Le sujet divise : « Dissoudre, ce n’est pas résoudre la crise politique. La dissolution ne s’attaque pas aux raisons du non-fonctionnement de nos institutions », estime Cécile Cukierman, la patronne des communistes du Sénat. Mais Stéphane Peu, son homologue de l’Assemblée nationale, se veut plus pragmatique : « Présidentielle anticipée, référendum ou dissolution ? Je ne vois pas, au vu de la situation actuelle, comment nous allons aller arriver jusqu’en 2027 sans redonner la parole au peuple. Mais pour le moment, je n’en fais pas un mot d’ordre ».