Crise politique, calendrier législatif : les sénateurs décrivent « une ambiance de fin de règne »
Alors que la suite du quinquennat semble suspendue à la décision du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites, les sénateurs ne voient pas venir de pistes de sortie de crise de la part du gouvernement et notent un inquiétant allègement du calendrier parlementaire d’ici la fin du mois de juin.

Crise politique, calendrier législatif : les sénateurs décrivent « une ambiance de fin de règne »

Alors que la suite du quinquennat semble suspendue à la décision du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites, les sénateurs ne voient pas venir de pistes de sortie de crise de la part du gouvernement et notent un inquiétant allègement du calendrier parlementaire d’ici la fin du mois de juin.
Simon Barbarit

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A une semaine de la décision du Conseil constitutionnel sur les différents recours déposés pour faire invalider la réforme des retraites, le calendrier parlementaire s’inscrit toujours en pointillé. Les consultations menées par la Première ministre avec les partis d’opposition cette semaine n’ont fait émerger aucun « cap » dans la poursuite des réformes. Et pour couronner le tout, les présidents des deux groupes socialistes du Parlement, Boris Vallaud et Patrick Kanner viennent d‘adresser un courrier à Élisabeth Borne, l’informant qu’ils ne participeraient « à aucune consultation » destinée à envisager la suite des travaux parlementaires tant que le gouvernement n’aura pas renoncé à son projet « de faire travailler les Françaises et les Français deux ans de plus ».

« On a l’impression d’être en fin de quinquennat. La Première ministre ne maîtrise plus son sujet. Elle n’a plus de boussole pour la suite, alors comme son temps est précieux et le nôtre aussi. Autant arrêter une concertation qui ne mène à rien », explique à publicsenat.fr le président du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner.

« Cette réforme est maudite »

Il n’a pas échappé au sénateur du Nord une forme de différence d’approche entre les deux têtes de l’exécutif. Dans des propos distillés à plusieurs médias, dont le quotidien Le Monde, Élisabeth Borne a plaidé pour « ne pas brusquer les choses ». « Il faut laisser reposer. Le pays a besoin d’apaisement », a-t-elle estimé après sa rencontre de mercredi avec l’intersyndicale, qui a tourné court. La cheffe du gouvernement a également réaffirmé la nécessité de trouver « un cap ». La réaction en provenance de Chine ou le chef de l’Etat est en déplacement ne s’est pas fait attendre. « Le Président de la République coordonne avec la Première ministre. Le cap a été donné par le Président de la République lors de son interview au 13 heures sur France 2 et TF1. Il a demandé à la Première ministre de recevoir les syndicats et de travailler sur une feuille de route pour les mois à venir », a rappelé fermement l’entourage.

« Cette réforme est maudite. C’est un mauvais choix politique assumé par la Première ministre. Et au moment où elle indique vouloir faire une petite pause, le Président la rattrape au vol. L’avenir d’Élisabeth Borne à la tête du gouvernement me paraît assez compromis », note Patrick Kanner.

Interrogée ce vendredi sur ces dissensions, la Première ministre a assuré que « les choses étaient très claires ». « Le président de la République fixe le cap (et) je travaille à un programme de gouvernement et un agenda législatif. On partage exactement les mêmes objectifs : apaiser le pays et apporter des réponses concrètes et rapides aux Français », a-t-elle tempéré.

Un agenda parlementaire « vitrifié »

Mais de réponses, les sénateurs ne voient toujours rien venir. « En Conférence des présidents mercredi, nous avons abordé l’agenda jusqu’à la fin de la session parlementaire, fin juin et cet agenda est vitrifié. Le texte immigration a été retiré, le texte justice aussi. Il nous reste la loi de programmation militaire et un projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat. Ça va nous occuper 2 ou trois jours. Le reste du temps, on va faire de l’occupationnel. C’est d’autant plus aberrant que le ministre des Relations avec le Parlement nous a demandé de siéger jusqu’à fin juillet en session extraordinaire. Ce à quoi Gérard Larcher a répondu qu’on n’irait pas au-delà du 14 juillet. Il y a quand même des limites à se moquer de nous », s’agace le vice-président du Sénat, Roger Karoutchi (LR).

En effet, fin juillet, une partie des élus candidats à leur succession va être accaparée par la campagne électorale des élections sénatoriales. Les sénateurs ont également rejeté l’hypothèse d’une session extraordinaire au mois de septembre, mois des élections sénatoriales.

Lire notre article. Les élections sénatoriales se tiendront le dimanche 24 septembre 2023

« A partir du moment où le dialogue est bloqué avec les partenaires sociaux, ça devient compliqué, pour nous parlementaires de gauche de répondre présents aux consultations de la Première ministre. Elle doit apporter des d’éléments de sortie de crise à nous proposer. Un retrait de la réforme ? Une suspension ? Un référendum ? Ce qui serait le préalable à toute discussion », demande également le président du groupe écologiste du Sénat, Guillaume Gontard qui note lui aussi « une incapacité du gouvernement à gouverner ». « Tous les textes gouvernementaux d’envergure ont été évacués. Et même la loi de programmation militaire qui prévoit 100 milliards supplémentaires par rapport à la loi de programmation précédente, ça sera politiquement compliqué à défendre dans le contexte social actuel ».

Il n’est pas non plus question, pour le moment, d’une éventuelle loi sur l’emploi, dans l’agenda parlementaire. Et ce même si Olivier Dussopt a indiqué vouloir présenter un texte dans les prochaines semaines pour une adoption d’ici cet été. « Gérard Larcher a quand même expliqué au ministre Franck Riester en Conférence des présidents qu’un texte sur le travail, ça nécessite plusieurs semaines, voire plusieurs mois de négociations avec les syndicats, alors adopter un texte d’ici l’été… », soupir, Roger Karoutchi.

Majorité texte par texte : « Ça ne marchera pas »

Quant à la volonté du chef de l’Etat d’aller chercher une majorité « texte par texte », elle ne fait pas beaucoup d’émules, y compris à la tête du gouvernement. « Avant d’aller chercher des alliés pour voter les textes, c’est important que l’on dise où l’on veut aller », a fait savoir Élisabeth Borne selon le quotidien Le Monde.

Guillaume Gontard abonde. « Evidemment, ça ne marchera pas. Il faut une ligne politique issue d’un travail de co-construction. Le gouvernement ne va pas pouvoir s’allier avec la droite et l’extrême droite pour faire passer un texte immigration et quelques semaines plus tard avec les écolos pour faire adopter un texte sur le plan eau. On est arrivé au bout du bout de la Vème République. Le gouvernement ne peut pas s’en sortir sans un débat sur nos institutions. Ce n’est que la première année de son deuxième mandat et on a l’impression qu’on est déjà en fin de règne ».

Interrogé à la sortie de sa rencontre avec Elisabeth Borne mercredi, Bruno Retailleau, le président du groupe LR du Sénat a posé ses conditions. « C’est du donnant-donnant. On ne peut pas se lancer sur du texte par texte s’il n’y a pas de propositions de loi choisies et votées par le Sénat, qui sont ensuite inscrites à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale », a-t-il prévenu.

« Je ne comprends vraiment pas ce qu’ils font »

La suite du quinquennat d’Emmanuel Macron est suspendue au 14 avril, date de la décision du Conseil constitutionnel. « Mais si le Conseil ne censure que ce qu’il considère être des cavaliers sociaux, comme l’index sénior, le CDI senior, le dispositif carrières longues… Bref, ce que la droite du Sénat a inséré pour adoucir le projet de loi, il ne restera plus que la forme la plus brutale de la réforme. Je ne suis pas sûr que ça va aider à apaiser », relève Roger Karoutchi qui ne croit pas non plus à la possibilité pour le gouvernement de trouver une majorité texte par texte à l’avenir. « Un accord global ne peut se décider qu’en début de quinquennat. Un remaniement ? ça ne servirait rien sauf s’il y avait une dissolution dans la foulée et à ce moment-là il faudrait un gouvernement de combat pour gagner les législatives. Ajoutez à cela la Première ministre qui promet qu’elle n’utilisera plus de 49.3 alors qu’elle n’a plus de majorité. Très franchement, j’ai un peu de bouteille. Je pourrais vous dire, c’est très intelligent ce qu’ils font et je désapprouve. Mais je ne comprends vraiment pas ce qu’ils font ».

 

 

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