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Crise politique : la gauche veut son Premier ministre, mais se prépare à la dissolution

Alors que l’idée d’une présidentielle anticipée infuse au sein du bloc central, les formations politiques de gauche, le PS en tête, demandent une énième fois la nomination d’un Premier ministre issu de leur rang sans trop y croire.
Simon Barbarit

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Ils l’avaient demandé avant la nomination de Michel Barnier, avant celle de François Bayrou, et avant celle de Sébastien Lecornu. C’est presque devenu un marronnier pour les forces politiques de gauche qui pressent une énième fois, en un an, le président de la République à nommer un Premier ministre de gauche. La démission surprise de Sébastien Lecornu quelques heures après la nomination de son gouvernement constitue une occasion supplémentaire.

Réunis en visio ce mardi, le Parti Socialiste, Les Écologistes, les communistes, La Gauche républicaine et socialiste (GRS), « l’Après », « Génération Ecologie », « Debout » et des représentants de la société civile n’ont pu que condamner « l’acharnement présidentiel à refuser le changement de cap politique demandé ». « La démission de Sébastien Lecornu est le stade ultime de cette obstination. Cela doit cesser », peut-on lire dans le communiqué issu de la réunion de deux heures du « club de Bagneux ». La ville où en juillet dernier, les représentants de la gauche unitaire, hors LFI, appelaient à construire une plateforme commune pour faire émerger une candidature unique à gauche en 2027. A noter que Place Publique, de Raphaël Glucksmann n’y a pas participé.

« Nous sommes totalement détachés de LFI »

« La raison est simple. C’est parce que cette réunion ne nous concernait pas. Elle portait notamment sur les rapports avec LFI. Or, pour nous c’est très clair. Il n’y a pas d’accord avec LFI, ni direct, ni indirect », explique le sénateur Bernard Jomier, membre de Place Publique.

Pour justifier l’arrivée d’un des leurs à Matignon, le patron du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner estime « que la gauche est légitime pour diriger ce pays ». « Ce qui a changé (par rapport à 2024), c’est que nous sommes totalement détachés de LFI. Nous devrons chercher des majorités texte par texte, pour faire bouger le pays dans le sens que nous souhaitons : justice fiscale, justice sociale, justice écologiste », a-t-il résumé.

« Si le bloc autour du président de la République décide de ne pas nous censurer et de laisser la main au Parlement, ça fonctionnera », approuve le président du groupe écologiste du Sénat, Guillaume Gontard. « Il faudrait aussi que la France Insoumise censure. Mais un Premier ministre de gauche aura un programme. Sur le triptyque, pouvoir d’achat, retraites, justice fiscale, s’il y a des avancées pour les Français, la France Insoumise devra assumer la censure », souligne la sénatrice socialiste, Laurence Rossignol.

Cette demande de voir un Premier ministre de gauche arriver enfin à Matignon après trois échecs en un an, serait presque raisonnable comparée au pavé dans la mare jeté ce matin par Edouard Philippe. L’ancien Premier ministre a souhaité couper le dernier fil qui le reliait à Emmanuel Macron en lui demandant d’organiser une présidentielle anticipée » après le vote du budget.

« Nous ne souhaitons pas la démission » du Président

« Le président de la République est fautif mais il a été élu par défaut en 2017 et 2022. Donc il est légitime au regard de la Constitution […] Nous ne souhaitons pas sa démission. Mais si elle devait advenir, nous devons avoir le temps de préparer cette élection. Ce n’est pas en 35 jours qu’on arrivera à convaincre les Français », estime le patron du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner.

Une présidentielle anticipée est néanmoins « impossible juridiquement » comme le rappelle la constitutionnaliste Anne Charlène Bezzina. « Soit il démissionne, et la procédure se déclenche immédiatement (scrutin organisé dans un délai de 35 jours maximum) ; soit il reste, et il n’y a pas de campagne. Mais on ne peut pas être dans une sorte de fausse pré-campagne » a-t-elle exposé sur publicsenat.fr.

Une autre option consisterait à voir adopter la motion de destitution du Président dont la recevabilité doit être examinée mercredi par le Bureau de l’Assemblée. Mais la procédure, complexe, semble vouée à l’échec à ce stade.

Reste donc une troisième hypothèse, celle à laquelle se préparent Les Insoumis, une dissolution. La France Insoumise s’est également fendue d’un communiqué après une rencontre organisée ce matin avec les Ecologistes, « Générations », « l’Après » et un représentant du groupe communiste de l’Assemblée. Les députés mélenchonistes tendent la main à leurs partenaires de gauche en indiquant vouloir des candidatures porteuses du programme NFP dans toutes les circonscriptions.

Sans la vouloir, Patrick Kanner reconnaît que son parti ne pourra pas « refuser l’obstacle » de la dissolution qui pourrait apparaître prochainement « inéluctable ». « Nous nous y préparons avec des candidats dans l’ensemble du pays ».

« Eviter la dissolution avec un Président aussi cynique semble illusoire »

« On passe notre temps à faire des réunions pour essayer d’être constructifs et le Président fait, lui, toujours la même chose. Il nomme un Premier ministre de droite », se désole le sénateur PS, Rémi Féraud. « Eviter la dissolution avec un Président aussi cynique semble illusoire. En cas de législatives anticipées, les Français verront que les socialistes auront tout fait pour essayer de trouver une solution honnête pour le pays », veut-il croire. L’élu de Paris assure ne pas croire à « la fatalité » d’une défaite de la gauche qui partirait en ordre dispersé. « On donnera la parole au peuple. Ce qui fait perdre au second tour c’est d’avoir LFI avec soi. Regardez la législative partielle dans le Tarn-et-Garonne, c’est parce que notre candidate (Cathie Bourdoncle 24,3 % au premier tour) n’est pas soutenue par LFI qu’elle pourrait gagner », prend-il comme exemple.

Du côté des communistes, la lassitude se fait aussi sentir. « La dissolution, on l’a déjà vécue. On a vu qu’une élection après 40 jours de campagne ce n’est pas une réponse. Et qu’on ne vienne pas nous parler de compromis quand un Premier ministre rejette les deux principales demandes des Français : l’abrogation de la réforme des retraites et une contribution plus juste des hauts revenus », prévient la patronne du groupe communiste du Sénat, Cécile Cukierman.

Si les socialistes ont accepté une ultime invitation à Matignon avec le Premier ministre démissionnaire, demain à 10 heures, les communistes réservent encore leur réponse. Les priorités fixées par Sébastien Lecornu, « l’adoption d’un budget » et « l’avenir de la Nouvelle-Calédonie », n’ont pas aidé à fluidifier les échanges. « Je ne vois pas en quoi adopter une loi pour reporter les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie (prévue le 2 novembre) serait une urgence », observe la présidente du groupe communiste-Kanaki où siège le sénateur indépendantiste, Robert Wienie Xowie.

« Le sujet de nos institutions est primordial »

Dans cette situation de blocage, Guillaume Gontard esquisse une piste de sortie par le haut pour le chef de l’Etat. « La question de sa démission, c’est ça responsabilité. Mais quoi qu’il en soit, le sujet de nos institutions est primordial. Emmanuel Macron pourrait mettre son poste en balance après avoir proposé de changer nos institutions de mettre en place une assemblée constituante. Nous avons besoin d’un nouveau souffle démocratique et de sortir de ce présidentialisme qui bloque tout. Tout bouge autour de nous, je ne vois pas pourquoi les instituions ne suivraient pas le mouvement ». Message transmis sans trop d’optimisme.

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