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Crise politique : la Ve République est-elle « fatiguée » ?

Alors que la France vit l’une des plus graves crises politiques de la Ve République, la question d’un changement de nos institutions se pose de plus en plus. Une VIe République serait-elle le remède au malaise démocratique que traverse le pays ? Ou au contraire, la Ve République permet-elle d’assurer la stabilité institutionnelle malgré la tempête politique ?
Simon Barbarit

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A l’heure où nous écrivons ces lignes, il ne fait plus beaucoup de doute que le gouvernement de Michel Barnier va tomber par l’adoption d’une motion de censure à l’Assemblée nationale. Pour justifier le choix contesté de la dissolution cet été, Emmanuel Macron avait avancé le risque d’une censure du gouvernement au moment du budget. Ce soir, son pari semble raté. Après avoir pris deux mois pour nommer un Premier ministre, son gouvernement aura duré à peine plus et devient le plus éphémère de la Ve République. Mais surtout, la situation de blocage politique se confirme car aucune majorité ne se dessine pour gouverner dans les mois à venir. « Même ce qui est le plus robuste dans nos institutions, la procédure budgétaire, est en train de craquer », observe Jean-Pierre Camby, professeur associé à université de Versailles Saint-Quentin et auteur de « Le travail parlementaire sous la Ve République », (ed. LGDJ)

« La Ve République traverse une épreuve du feu »

Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, un premier consensus se dégage chez les juristes et historiens. Il réside dans le « présidentialisme » de nos institutions.

Et si pour Jean-Pierre Camby, « la Ve République est fatiguée », c’est moins le texte de la Constitution qui est en cause, que la pratique du pouvoir. « La concentration du pouvoir vers le président de la République est en germe dans le texte de 58 mais, tout par la suite y a contribué. La révision constitutionnelle de 2008 a dépouillé encore un peu plus le gouvernement de ses pouvoirs. Ce qui a abouti à ce qu’on voit depuis quelques années : un Président qui détermine et conduit les politiques publiques dans leur moindre détail , dès lors qu’il n’est pas empêché par une contradiction des majorités ».

« La Ve République traverse une épreuve du feu. Et comme souvent dans ces cas-là, ses défauts apparaissent au grand jour. Son principal problème réside dans le déséquilibre entre : légitimité, responsabilité et pouvoir », explique Marie-Anne Cohendet, professeure de droit constitutionnel à l’Université Paris 1. Elle poursuit. « Dans la Constitution, l’équilibre est respecté. Le président de la République est l’arbitre et le garant du bon fonctionnement de nos institutions ce qui est normal car il est irresponsable. J’entends par là qu’il ne peut être écarté du pouvoir pour des raisons politiques. C’est donc au gouvernement de conduire la politique de la Nation, c’est la raison pour laquelle, lui peut être renversé, car la démocratie et le pouvoir sont liés. Mais dans la pratique, quand un président de la République à la majorité, il empiète sur les pouvoirs du gouvernement, alors même qu’il est irresponsable. C’est ce qui amène de la colère dans l’opinion. Certains appellent à la démission d’Emmanuel Macron alors que juridiquement, cette question est hors-jeu ».

« La VIe République induit la délibération parlementaire et la classe politique actuelle n’en est pas capable »

« La Constitution a précisément été bâtie sur l’idée qu’il fallait donner les moyens à l’exécutif de gérer le pays. C’est son grand mérite », souligne Julien Bonnet, professeur de droit public à l’Université de Montpellier qui rappelle que le régime parlementaire de la IVe République avait été accusé de ne pas avoir su gérer la crise algérienne. La IIIe République avait, elle, été accusée de la débâcle de 1940. « La difficulté que traverse notre régime, c’est que cet impératif, la gestion du pays, a fini par créer un malaise démocratique. Les citoyens croient de moins en moins à la légitimité de la représentation nationale. Et si vous ajoutez à ce problème institutionnel, un contexte idéologique mondial propice aux dérives illibérales, on se retrouve avec une double peine ».

Faut-il alors réformer nos institutions, redonner plus de pouvoir au Parlement, en passant, par exemple, à une VIe République, comme le demandent les élus LFI ? « C’est très français de penser qu’en changeant nos institutions, ça fonctionnerait mieux. C’est un mirage. Les projets de VIe République qui veulent réhabiliter la délibération parlementaire sont portés par des députés La France Insoumise. Les mêmes qui considèrent que les compromis sont des compromissions. On semble aussi oublier l’immense impopularité de la IV République marquée par son instabilité parlementaire. Le général de Gaulle avait coutume de dire que la Constitution de la IVe République était mauvaise, mais que le personnel politique était de qualité. Ce serait plutôt l’inverse aujourd’hui », répond David Bellamy, maître de conférences en histoire contemporaine, spécialiste de l’histoire politique et parlementaire, qui préconise une pleine application de la Constitution de la Ve République. « La VIe République induit la délibération parlementaire et la classe politique actuelle n’en est pas capable »

Changement de calendrier, défiance constructive : les pistes pour réformer nos institutions

Une autre réforme de nos institutions est mise en avant par Jean-Pierre Camby. « Il faut revenir sur ce calendrier qui consiste à voter pour un Président et un mois plus tard, pour les députés. Ça amène l’Elysée à tout contrôler ». Une mesure régulièrement évoquée dans l’actualité consisterait en un retour de la proportionnelle aux législatives. « D’un point de vue conjoncturel, ça figerait les équilibres actuels. La majorité demeurerait introuvable. D’un point de vue structurel, la proportionnelle dénaturerait le lien entre les électeurs et les élus », considère-t-il.

« La composition du Parlement actuel ressemble déjà à un scrutin proportionnel. C’est un mode d’élection plus juste, même s’il porte en lui un potentiel d’instabilité. A l’inverse le scrutin majoritaire donne un effet de loupe sur le gagnant ce qui pourrait à terme profiter au RN », estime, au contraire, Marie-Anne Cohendet. La professeure de droit public esquisse plusieurs pistes pour renforcer l’équilibre des pouvoirs. « Un Premier ministre élu par les parlementaires, comme ça se fait en Allemagne, pourrait régler en partie le problème de légitimité. D’Outre-Rhin, on pourrait aussi s’inspirer ce qu’on appelle la défiance constructive qui consiste pour les députés, à ne pas pouvoir renverser un gouvernement s’ils n’ont pas la capacité d’en élire un autre ».

Une autre réforme mise en avant par Julien Bonnet consisterait à revenir sur l’élection du président de la République au suffrage universel direct institué en 1962. Ce qui conduirait, selon lui, à faciliter un changement de culture politique basée « sur le mythe de l’homme providentiel ». « Nous ne sommes plus dans les années 60. La légitimité politique du personnel politique est défaillante. Un président de la République qui n’est pas responsable, alimente la déception et la colère et conduit à un vote antisystème », conclut-il.

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