L’instabilité politique qui traverse la France depuis plus d’un an commence à peser sur l’économie hexagonale. Hausse des taux d’intérêt, ralentissement de l’investissement… les secousses institutionnelles pourraient se faire sentir sur les finances publiques comme sur l’activité des entreprises. La crise politique actuelle peut-elle pour autant faire basculer l’Hexagone dans la tourmente économique ? Décryptage.
Quand la politique française menace le poids de la dette
Pour Lucile Bembaron, économiste auprès du cabinet de conseil Asterès, la crise politique se reflète avant tout dans les tensions sur le marché obligataire, cet espace où les États empruntent pour financer leur dette. « C’est cette réaction qu’il faut surveiller de près, explique-t-elle. Une baisse du CAC 40 reflète surtout le portefeuille d’investisseurs privés, alors que le marché obligataire dit beaucoup plus de la confiance accordée à la France », souligne-t-elle.
Les taux d’intérêt sont ainsi devenus le thermomètre économique de la situation politique nationale. « En période d’incertitude, les investisseurs exigent ce qu’on appelle une prime de risque : ils veulent être mieux rémunérés pour prêter à un pays dont la trajectoire paraît instable », poursuit Lucile Bembaron. Autrement dit, plus la crise s’enlise, plus la charge de la dette publique augmente.
Depuis la démission de Sébastien Lecornu, lundi, le taux d’emprunt à dix ans de la France s’est à nouveau tendu, repassant au-dessus de 3,5 %, après un pic proche de 3,8 % le jour de son départ de Matignon. Ces niveaux restent stables, mais confirment une tendance haussière engagée depuis plusieurs mois, dans le sillage de la dissolution de juin 2024. « Lorsque le taux obligataire monte, la charge d’intérêts de l’État s’alourdit, rappelle l’économiste. Cela signifie qu’une part croissante des finances publiques doit être consacrée au remboursement de la dette. »
Des répercussions concrètes sur les entreprises et les ménages
À travers ce prisme, la crise politique peut ainsi se diffuser à l’ensemble de l’économie. Les banques françaises, détentrices d’une part importante d’obligations, pourraient en conséquence relever leurs taux de crédit, freinant ainsi l’activité des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages. « La situation pourrait finir par se traduire dans l’économie réelle, avec des taux durablement hauts et des entreprises qui reporteraient des investissements », observe Lucile Bembaron.
Et les premiers signaux sont déjà visibles depuis la dissolution. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l’incertitude politique persistante depuis juin 2024 se chiffrera à 0,5 point de croissance d’ici fin 2025, soit près de 15 milliards d’euros. « Dans un moment d’incertitude, les entreprises gèlent un peu tout à la fois l’investissement et l’emploi et les ménages épargnent davantage », détaille auprès de l’AFP Éric Heyer, économiste à l’OFCE.
La hausse des taux, une alerte pas une crise
Pour autant, Lucile Bembaron appelle à garder la tête froide. La remontée des taux français, amorcée depuis plusieurs mois, ne traduit pas encore une perte de contrôle. « La hausse actuelle n’envoie pas un signal d’alerte majeur, mais elle constitue un avertissement. Les responsables politiques ne doivent pas attendre un choc financier pour reprendre la main », prévient l’économiste. Et insiste, « ce que les investisseurs attendent, c’est un budget voté, une trajectoire lisible. L’essentiel est d’avoir une ligne claire », explique-t-elle. En d’autres termes, rétablir un cap budgétaire crédible permettrait de rassurer les marchés.
La situation reste néanmoins sous contrôle, notamment grâce aux conditions d’emprunt très favorables dont la France a profité ces dernières années. « Ce n’est pas dramatique, ce n’est pas la Grèce, mais cela complique un peu plus l’effort budgétaire à venir », tempère auprès de l’AFP Éric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management.
Du côté politique, le message semble en partie entendu. Le président du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner, appelle à une sortie de crise rapide et concertée. « Il faut faire repartir le pays dans un climat apaisé, redonner confiance aux chefs d’entreprise », plaide le sénateur du Nord. Avant d’ajouter. « J’ai des chefs d’entreprise dans ma famille qui me disent : tant que ce n’est pas stabilisé, on ne réinvestit pas. Cela veut dire qu’il y a des emplois qui vont disparaître et des recettes fiscales qui ne rentreront pas. »