L’intense ballet diplomatique se poursuit dans l’est du continent européen. Emmanuel Macron enchaîne les entrevues, pour aboutir à une désescalade entre la Russie et l’Ukraine, en face de laquelle sont massées des dizaines de milliers de soldats russes. Il s’est entretenu hier pendant près de cinq heures avec son homologue russe Vladimir Poutine, puis ce mardi à Kiev avec le président Volodymyr Zelensky.
Premier dirigeant occidental de premier plan reçu au Kremlin depuis l’aggravation des tensions en décembre, Emmanuel Macron a assuré hier avoir proposé des « garanties concrètes de sécurité » à la Russie et avoir « obtenu » lors de ses échanges avec le président russe « qu’il n’y ait pas de dégradation, ni d’escalade ». Évoquant des « termes de convergence », le président de la République a fait part de la « disponibilité » de Vladimir Poutine à « s’engager dans cette logique et de sa volonté de maintenir la stabilité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine ».
À Kiev ce mardi, l’optimisme d’Emmanuel Macron n’est pas retombé. Il croit « possible de faire avancer les négociations » et se montre convaincu qu’il y a des « solutions concrètes » pour aboutir à une sortie de crise. Contactée à la mi-journée, Carole Grimaud Potter, spécialiste de la géopolitique de la Russie et fondatrice du Center for Russia and Eastern Europe Research, juge l’intervention française de « bon augure ». « Vladimir Poutine a déclaré vouloir trouver des compromis. On est dans une promesse, mais c’est un point positif », explique cette professeur de l’Université de Montpellier et de l’Institut Diplomatique de Paris.
« La situation est trop complexe pour s’attendre à des percées décisives après une seule rencontre », prévenait hier Dmitri Peskov, le porte-parole du président russe. Moscou laisse encore planer le doute sur ses intentions, le Kremlin n’a, par exemple, pas dit un mot de ses projets sur le devenir des troupes russes campées aux frontières de l’Ukraine, elles qui accréditent, selon les Occidentaux, le risque d’une invasion du pays. Le renseignement américain affirme par exemple que la Russie disposerait de 70 % du dispositif nécessaire à une offensive de grande ampleur en Ukraine.
Troupes en Biélorussie : « Il est possible que la Russie s’en sorte avec une pirouette »
Selon l’Elysée, Moscou se serait engagé à ne pas prendre de nouvelles initiatives militaires, et à retirer ses troupes russes en Biélorussie après de nouvelles manœuvres. « Il est possible que la Russie s’en sorte avec une pirouette en disant que personne n’avait affirmé que leurs troupes resteraient. Elle n’a jamais communiqué sur leur stationnement après l’exercice conjoint », observe Carole Grimaud Potter. « Des avancées n’ont pas encore été officialisées. Il faut rester prudent. »
Toujours du côté français, tout en partageant sa fermeté sur la souveraineté des Etats, Emmanuel Macron a montré sa compréhension envers les inquiétudes de la Russie. « Il n’y a pas de sécurité pour les Européens s’il n’y a pas de sécurité pour la Russie », a-t-il concédé. « Ce qu’il a annoncé au Kremlin, vouloir bâtir une solution nouvelle, en tenant compte des demandes de la Russie, se positionne un peu à l’écart de la diplomatie américaine », analyse Carole Grimaud Potter. « Ce qu’Emmanuel Macron a mis en avant, c’est simplement la vision russe selon laquelle l’Ukraine n’est que la pointe de l’iceberg. Le vrai fond du problème, c’est l’Otan. »
La zone d’influence de l’Otan reste l’un des principaux obstacles. Vladimir Poutine exige la fin de la politique d’élargissement de l’Otan et le retrait de ses moyens militaires d’Europe de l’Est. Selon Le Figaro, Emmanuel Macron aurait confié à quelques journalistes, lors du vol vers Moscou, que l’idée d’une « finlandisation » de l’Ukraine était, parmi d’autres sujets, un des dossiers posés sur la table. Une telle doctrine, en référence au statut non aligné de ce pays nordique durant la guerre froide, reviendrait à exclure toute participation de l’Ukraine à l’Otan. Interrogé à ce sujet, lors de la conférence de presse à Kiev aux côtés de son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron a démenti avoir utilisé l’expression de « finlandisation ».
« C’est à Kiev que cela va se jouer »
Une telle option serait probablement difficilement envisageable à Kiev. « Je ne sais pas si cette idée conviendrait à l’Ukraine », doute Carole Grimaud Potter. En Ukraine, Emmanuel Macron a tenu à rendre hommage aux victimes de la révolution Maïdan en 2013-2014 (qui a abouti à la destitution du président pro-russe Viktor Ianoukovytch). Et d’assurer qu’il n’y aurait « pas de retour arrière ». Quant à la situation dans le Donbass, cette région de l’est ukrainien aux mains des séparatistes pro-russes, Emmanuel Macron a assuré à Kiev que l’Ukraine, comme la Russie, s’étaient engagées à respecter les accords de Minsk. Il s’agit du compromis négocié début 2015, sous l’égide de la France et de l’Allemagne. Il prévoit un cessez-le-feu dans la région, mais aussi un processus politique censé mettre fin aux affrontements entre les séparatistes et le pouvoir central à Kiev, avec une plus grande autonomie accordée aux régions.
Moscou fait reposer sur Kiev la responsabilité de l’enlisement de ces accords, quand Kiev accuse son voisin de soutenir les forces armées locales. Le fait que Vladimir Poutine affirme qu’il n’y a « pas d’alternative » aux accords de Minsk est probablement l’un des points négatifs de la médiation actuelle, selon Carole Grimaud Potter. « La Russie souhaite que l’Ukraine devienne une fédération, mais on voit que c’est devenu impossible. »
Volodymyr Zelensky anticipe d’ailleurs un retour des négociations à quatre (Ukraine, Russie, Allemagne, France). « Nous nous attendons à pouvoir tenir très prochainement des négociations des dirigeants du format de Normandie », a déclaré le président ukrainien aux côtés d’Emmanuel Macron. Dans ce type de format, la France devrait être encore à la manœuvre. Carole Grimaud Potter voit la tentative de médiation française se poursuivre. « Il n’y avait que la France qui pouvait se positionner comme le leader en Europe. L’Allemagne s’est effacée, elle est emprisonnée par le gazoduc Nord-Stream dans cette histoire, plus le changement à la tête du pays. Emmanuel Macron a saisi l’occasion pour remplir ce vide […] En tant que candidat, il joue aussi bien sa crédibilité pour un deuxième mandat. »
Reste à savoir si ses efforts vont réussir à faire retomber dans la tension, dans une région où une étincelle pourrait suffire à déstabiliser une situation bien précaire. « Il faut voir la suite, et de là dépendra le bien-fondé de son voyage à Moscou. Quel signe de bonne volonté la Russie va nous adresser ? C’est à Kiev que cela va se jouer. L’accueil par le président Zelensky sera scruté à la loupe par le Kremlin », conclut Carole Grimaud Potter.