Crises géopolitiques, inflation… y a-t-il un risque de récession mondiale ?

Crises géopolitiques, inflation… y a-t-il un risque de récession mondiale ?

L’inflation qui touche actuellement l’Europe n’est pas le seul signal inquiétant pour l’économie mondiale. Une bulle immobilière en Chine et l’incapacité de la Fed à juguler l’inflation américaine vont a minima provoquer un ralentissement de la croissance mondiale à la fin de l’année. Mais la conjonction de ces risques pourrait faire craindre une crise financière et une récession à l’échelle planétaire.
Louis Mollier-Sabet

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L’influence de la guerre en Ukraine sur les économies européennes et les conséquences de l’inflation sont débattues depuis des mois maintenant. Mais le tableau est peut-être plus noir encore, puisque de nombreuses évolutions inquiétantes de l’économie mondiale s’empilent, jusqu’à faire poindre le spectre d’une récession planétaire. Toutes les projections disponibles à ce jour, à la fois du FMI, de l’OCDE ou de cabinets privés, ne tablent pour l’instant pas sur un scénario aussi catastrophique, mais ce qui peut inquiéter, c’est l’accumulation de signaux alarmants dans les principales économies du monde. Pour le moment, les principaux observateurs constatent une tendance globale au ralentissement économique, mais certaines crises géopolitiques et certains mécanismes à l’œuvre dans les politiques monétaires et financières des principales économies mondiales pourraient faire craindre – à terme – une véritable crise systémique.

Des crises géopolitiques qui pourraient provoquer des crises économiques

« On n’en est pas encore à la récession », prévient d’emblée Anne Sophie Alsif, cheffe économiste au cabinet BDO. « En Europe, on est de retour à une situation de stagflation [de croissance faible et d’inflation, ndlr], tandis qu’au niveau mondial, on a un ralentissement de la croissance », explique-t-elle. Le risque c’est la multiplication des crises géopolitiques, qui, au-delà de leurs conséquences humaines et politiques, peuvent constituer ce que l’on appelle des « chocs exogènes » en économie, c’est-à-dire des événements lourds de conséquences, mais qui ne proviennent pas des systèmes économiques eux-mêmes. Typiquement, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a été un choc exogène très fort pour l’économie européenne en raison de la flambée des prix énergétiques et des tensions d’approvisionnement que cela peut faire craindre pour cet hiver. « Mais une crise à Taïwan serait encore plus catastrophique », avertit Anne Sophie Alsif, en faisant référence à la montée des tensions entre la République populaire de Chine et les Etats-Unis à propos de Taïwan cet été. « Ce ne serait même plus une question de dépendance à des matières premières, mais un risque de guerre et de crise mondiale et systémique. »

Et si ces crises sont dangereuses pour l’économie mondiale, c’est notamment parce qu’elles mettent à mal les politiques économiques des Etats. En Europe, par exemple, l’inflation actuelle est une « inflation importée » par la guerre en Ukraine, ce qui pose des problèmes aux politiques monétaires européennes, qui étaient calibrées pour une inflation extrêmement faible, voire aux tendances déflationnistes, explique Anne Sophie Alsif : « Après la crise covid, la masse monétaire mondiale avait quadruplé depuis 2008. Il n’y avait jamais eu autant de liquidités dans l’économie. Cette tendance déflationniste a permis aux Etats d’injecter énormément de liquidités dans l’économie, tout en bénéficiant de taux d’intérêts très bas. Dans ce contexte, c’est normal qu’avec la reprise économique on ait eu de l’inflation, mais elle était encore très faible avant la guerre en Ukraine, en étant contenue en dessous de 2 % en France par exemple. Sans le problème de l’énergie, on serait probablement resté dans cette spirale à tendance déflationniste. » En clair, les Etats européens et la BCE avaient pris l’habitude d’utiliser abondamment le levier monétaire pour injecter de l’argent dans l’économie sans que cela ne crée véritablement de l’inflation. La crise ukrainienne a fait voler cet équilibre (provisoire) en éclat, sans qu’un changement de politique monétaire, en faisant remonter les taux d’intérêt notamment, puisse véritablement changer la donne, le problème provenant de l’explosion des coûts de l’énergie, et non de la sphère monétaire et financière. « Cette situation va donc probablement s’installer », conclut Anne Sophie Alsif, qui ajoute que le problème, c’est que la BCE se retrouve donc démunie face à cette conjoncture économique nouvelle et qu’en cas de crise, les marges de manœuvre seront limitées. Ainsi, une panique sur les marchés créerait « un risque de change et sur les liquidités. »

Des signaux inquiétants en Chine et aux Etats-Unis

Si l’inflation due à l’explosion des prix de l’énergie est cantonnée à l’Europe, d’autres mécanismes peuvent faire craindre des scénarios au moins aussi inquiétants dans les autres grandes zones économiques mondiales. Le sujet commence seulement à émerger dans l’espace public occidental, notamment par manque de données fiables, mais la situation chinoise, moteur de la croissance mondiale depuis 2008, inquiète. En revanche, ce sont des dynamiques complètement différentes, explique la cheffe économiste chez BDO : « Il y a un très fort ralentissement de la croissance depuis le covid, avec une inflation contenue à 2 %. Mais dans une économie pas tout à fait mature comme la leur, il y a une croissance économique nécessaire pour soutenir l’exode rural notamment : en dessous de 5 %, on est sur une croissance faible pour la Chine. » Or le régime a énormément orienté l’investissement vers l’immobilier, pour soutenir l’installation des travailleurs dans les villes, ce qui pose certains problèmes avec le ralentissement économique : « Le problème c’est que les stimuli budgétaires, dans une économie qui a encore certaines caractéristiques des pays en voie de développement comme la Chine – notamment dans certaines provinces peu développées – créent un afflux de liquidité et donc des bulles sur les matières premières et l’immobilier. » Anne-Sophie Alsif compare ainsi cette situation à l’Espagne du début de la propagation de la crise économique à l’Europe en 2010, justement par l’éclatement d’une bulle immobilière : « Sauf que la Chine, ce n’est pas l’Espagne, c’est un risque systémique et mondial. Un problème financier en Chine menacerait la stabilité monétaire internationale et pourrait créer une crise de liquidités et enfin une récession. »

D’autant plus que la Chine est le principal créancier des Etats-Unis, où la situation monétaire et financière ne semble pas moins précaire. Les Etats-Unis n’ont pas non plus été touchés par la crise énergétique due à la situation ukrainienne, mais font tout de même actuellement face à une inflation galopante. « Ils ont beaucoup injecté de liquidités dans des plans de relance colossaux, ce qui a créé des stimuli budgétaires disproportionnés. Ensuite, l’économie s’emballe et rentre dans une spirale inflationniste classique avec augmentation des salaires, à la différence de ce qu’il se passe en Europe », détaille la cheffe économiste chez BDO. Ce qui est moins « classique », c’est la déconnexion entre les politiques budgétaires menées par l’Etat fédéral et les politiques monétaires de la banque centrale américaine, la Fed : « La Fed a mis un coup de frein à ses politiques monétaires plus fort qu’en Europe, mais en même temps, le Parlement a voté un plan de relance à 400 milliards. C’est un peu inédit. Normalement dans le « policy mix », soit on fait des politiques expansionnistes, à la fois au niveau budgétaire [en dépensant de l’argent dans des plans de relance] et au niveau monétaire [en baissant les taux d’intérêt], soit on fait l’inverse. » La conséquence, c’est que la politique monétaire de la Fed qui devrait réduire l’inflation a peu d’effets, ce qui ouvre la porte à un scénario catastrophe, d’après Anne Sophie Alsif : « Les marchés pourraient se dire que cette inflation persistante créée de l’incertitude si la Fed n’apparaît plus en mesure de la contrôler, et le risque de récession apparaît à ce moment-là. Si les politiques monétaires de la Fed apparaissent comme inefficace, c’est dramatique, parce que depuis 2008, la Fed est derrière l’économie américaine. Si elle n’a plus cette prise sur les marchés, elle perd sa crédibilité et son indépendance. On n’en est pas encore là, mais ça serait catastrophique. » Si une crise – comme l’éclatement d’une bulle immobilière en Chine, à tout hasard – venait à mettre à mal l’économie américaine, la Fed pourrait ainsi manquer d’emprise sur les marchés américains pour répondre, d’où un risque de crise financière, puis de récession, mondiale.

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