La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».
Critiques des LR contre le Conseil constitutionnel : « On attaque le juge bille en tête, mais l’objectif est très politicien », selon Benjamin Morel
Par François Vignal
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Haro sur le Conseil constitutionnel. Après la décision des Sages de la rue Montpensier, qui ont censuré 40 % du projet de loi immigration, essentiellement les mesures ajoutées par la majorité sénatoriale de droite et du centre, les LR ont trouvé l’explication : c’est la faute du Conseil constitutionnel.
Depuis jeudi soir, ils multiplient les attaques contre l’institution, dont le rôle est de dire le droit. Le Conseil, présidé par Laurent Fabius, a surtout censuré des mesures non pas sur le fond, mais en tant que « cavalier législatif », c’est-à-dire n’ayant pas de lien direct avec le texte. Une lecture contestée par le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau, qui y voit une remise en cause de la réforme constitutionnelle de 2008 (lire notre article sur le sujet).
« En censurant la loi votée par le Parlement, le Conseil Constitutionnel vient de censurer la voix des Français », a écrit d’abord sur X jeudi Bruno Retailleau. Au micro de Public Sénat, il y a vu « un déni du pouvoir du Parlement », dénonçant le « refus du Conseil constitutionnel d’appliquer la Constitution ». Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, pointe aussi dans un communiqué une « remise en cause du droit d’amendement légitime du Parlement ».
Surenchère
Plusieurs responsables LR, qui appellent à réviser la Constitution, vont très loin dans la surenchère. Le président des Républicains, Eric Ciotti, a dénoncé sur RMC vendredi « un hold-up démocratique » du Conseil constitutionnel, qui « prive le peuple français de sa souveraineté ». Laurent Wauquiez, président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui vise une candidature pour 2027, est encore plus véhément. Il dénonce carrément « un coup d’Etat de droit ». L’ancien ministre veut donner « le dernier mot » au Parlement, même après une censure du Conseil constitutionnel.
François-Xavier Bellamy, tête de liste LR aux européennes, lui emboîte le pas. « C’est un coup d’Etat institutionnel, qui viole la lettre et l’esprit de notre Constitution », a dénoncé sur la matinale de Public Sénat ce proche de Bruno Retailleau. « On a le Conseil constitutionnel qui vient de supprimer virtuellement le droit d’amendement », ajoute la tête de liste LR aux européennes.
« Quand on veut gouverner, on ne peut pas raconter n’importe quoi », se démarque Xavier Bertrand
Rare voix différente chez les leaders LR, celle de Xavier Bertrand. Il s’oppose totalement aux propos de Laurent Wauquiez. « J’ai un profond désaccord avec Laurent Wauquiez sur la conception de la République, sur la conception de l’Etat de droit et sur le respect de nos institutions », tance le président de la région Hauts-de-France sur France Info, vendredi matin.
Au point de lui faire la leçon : « Dans les temps difficiles que l’on vit, très perturbés, il faut aussi garder son calme. Quand on est dans l’opposition, quand on veut gouverner, on ne peut pas raconter n’importe quoi. On ne peut pas s’en prendre aux institutions comme on le fait aujourd’hui. Quand les responsables politiques chauffent tout le monde à blanc, vous risquez d’avoir une fin de mandat qui pourrait un jour ressembler à celle de Trump, aux États-Unis », met en garde Xavier Bertrand.
Plus mesuré aussi, le président LR de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, qui demande comme Gérard Larcher un nouveau texte sur l’immigration. « S’ils ne le font pas, nous le ferons », affirme dans Parlement hebdo, sur Public Sénat/LCP-AN, le sénateur du Rhône. « Une politique migratoire, c’est un cap, et on ne l’a pas totalement à travers le texte qui va s’appliquer », ajoute François-Noël Buffet.
Lors de la présidentielle 2022, Eric Zemmour visait le « gouvernement des juges »
Il est vrai que les déclarations qui émanent des LR depuis moins de 24 heures ont de quoi surprendre. C’est jusqu’ici davantage l’extrême droite qui nous a habitués à ce type d’attaque. Sans prendre au « gouvernement des juges », c’était l’un des arguments de campagne d’Eric Zemmour, pendant la présidentielle 2022.
Côté RN, on ne sera pas surpris d’entendre son président, Jordan Bardella, dénoncer la décision. « Par un coup de force des juges, avec le soutien du président de la République lui-même, le Conseil constitutionnel censure les mesures de fermeté les plus approuvées par les Français », a lancé la tête de liste RN aux européennes. Marine Le Pen s’est en revanche montrée plus mesurée, au point de paraître moins jusqu’au-boutiste que les LR… « Cette très large censure, de fond et de forme, souligne que seule une réforme de la Constitution permettra de répondre aux enjeux migratoires qui touchent de plein fouet notre pays », assure Marine Le Pen dans un communiqué. Si elle est élue, elle assure vouloir présenter une « réforme constitutionnelle » qui sera « soumise au vote du peuple souverain dans les premiers mois de son arrivée au pouvoir ».
« C’est tout le bloc de constitutionnalité et de conventionnalité qui est contesté par la droite », alerte la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie
A gauche, les prises de position de la droite laissent pantois. Sur X, la sénatrice PS, Laurence Rossignol, rappelle que les LR n’ont pas toujours réagi de la sorte, face aux censures des cavaliers législatifs. « En janvier 2017, sur saisine de la droite, le Conseil constitutionnel avait censuré une quarantaine d’articles de la loi égalité citoyenneté car introduits par amendements. Même punition qu’aujourd’hui. Et les LR étaient très contents ! » rappelle l’ancienne ministre de François Hollande.
« Ils jouent avec le feu, ça m’inquiète beaucoup », réagit pour sa part la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie, qui était l’une des oratrices socialistes sur le texte immigration. « La Constitution, c’est la loi qui s’impose aux lois. Il ne faut pas s’amuser à remettre en cause les institutions, après qu’on a vécu un échec. C’est inquiétant, car je ne sais pas très bien quel est leur but », ajoute la sénatrice de Paris.
« C’est tout le bloc de constitutionnalité et de conventionnalité qui est contesté par la droite. La force de notre démocratie, c’est d’avoir un corpus de normes, identifiées, hiérarchisés. C’est très malsain », alerte encore Marie-Pierre de la Gontrie. Mettant moins les formes, elle ajoute : « Dans une période assez instable, je trouve que c’est totalement déconnant. Est-ce simplement pour faire parler d’eux ? Je pense que certains en sont convaincus ».
« Tout ça ne sent pas bon »
Alors que certains voient des parallèles avec les « démocraties illibérales » et le premier ministre hongrois, Viktor Orban, Marie-Pierre de la Gontrie ne veut pas aller jusque-là. Mais la socialiste reconnaît que « là où on peut dire qu’il y a trumpisation peut-être, c’est avec l’idée qu’au fond, tout cela n’a plus d’importance, tout se vaut. C’est inquiétant ».
Elle vise aussi la majorité présidentielle au passage : « On a un gouvernement et une droite qui filent un très mauvais coton. On a un ministre de l’Intérieur qui dit que « la politique, ce n’est pas être juriste avant les juristes ». Tout ça ne sent pas bon », conclut Marie-Pierre de la Gontrie.
« Il n’y a pas d’un côté le juge, qui est parole d’évangile, et de l’autre le juge qui est le méchant universel »
Avec son regard de juriste justement, Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à Paris 2 Panthéon-Assas, tient à souligner que « les interprétations des cours sont contestables, peuvent être interrogées. Qu’on veuille desserrer cet étau, on peut l’entendre. C’est un débat légitime », estime le professeur de droit. « Le problème, c’est de considérer que le juge est un peu la tête à claque universelle. En la matière, le problème n’est pas le Conseil constitutionnel, c’est le cadrage initial du texte et la stratégie des uns et des autres », estime Benjamin Morel, qui ajoute qu’« il n’y a pas d’un côté le juge, qui est parole d’évangile, et de l’autre le juge qui est le méchant universel, celui qui empêche tout. En réalité, c’est plus subtil que ça. Le juge peut parfois prendre des décisions qui interrogent et de l’autre, le législateur a tendance à viser le juge pour se défausser de ses propres errances ».
Reste qu’« au-delà des aspects techniques, qui sont légitimes, il y a une posture politique. Elle est quand même extrêmement radicale. Il s’agit d’exister politiquement pour dire au gouvernement, regardez, vous ne voulez pas changer la Constitution pour agir en matière d’immigration », analyse le professeur de droit, qui résume : « Là, on attaque le juge un peu bille en tête, mais l’objectif est très politicien ».
« Paradoxe » avec un « fétichisme constitutionnel de la part des politiques »
Benjamin Morel note un « paradoxe », car on observe « une frénésie de la constitutionnalisation, une forme de fétichisme constitutionnel de la part des politiques. Ça ne coûte pas cher et ça fait du bien. Et ensuite, on se réveille avec des décisions des juges et on se demande comment on peut avoir ce type de décision ». Explications : « Vous mettez des droits et libertés fondamentales dans la Constitution. Ces droits et libertés sont relativement flous en réalité. Leur conciliation laisse une grande marge de manœuvre au juge. Et vous multipliez les recours. On demande au juge de se prononcer sur des choses floues. Donc il prend des décisions contestables parfois », avec « un juge à qui on renvoie la balle. Mais le jour où la décision ne va pas dans le sens des politiques, ils se plaignent, alors que le juge a fait ce qu’on lui a demandé ».
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