Quelle analyse faites-vous des chiffres de la croissance, donnés par Bruno Le Maire ce vendredi 28 janvier ?
Il ne faut pas bouder une forme de satisfaction. C’est à mettre au crédit du gouvernement, mais également à celui du Sénat, qui a joué son rôle pendant la crise. Ceci dit, il ne faut pas rendre la mariée plus belle qu’elle n’est. 7 % de croissance, c’est mieux que les prévisions qui étaient faites en octobre 2021 (6,8 %, ndlr), mais ce n’est pas non plus complètement éloigné. Globalement, on est quand même dans une forme de rattrapage. Il ne faut pas oublier, qu’en 2020, la France a connu sa plus forte récession depuis 1927.
La croissance a été dopée par le « quoi qu’il en coûte » et une très forte dépense publique. Est-ce que vous diriez que, dans une certaine mesure, la reprise économique est artificielle ?
En tout cas, je m’inscris en faux par rapport au discours du gouvernement selon lequel on serait revenus à une situation identique, voire meilleure qu’avant la crise. Il y a plusieurs chiffres qui sont très inquiétants. Notre dette publique est à 113 points du PIB, c’est gigantesque. Et le déficit du commerce extérieur est à plus de 75 milliards d’euros, ce qui traduit une dérive de la désindustrialisation et un manque clair de compétitivité. Plus de la moitié de ces 75 milliards s’explique par le déficit énergétique, qui a été largement aggravé par Emmanuel Macron et ses zigzags sur le nucléaire.
Lorsqu’on sera sorti de la crise sanitaire et que la dépense publique reviendra à un niveau normal, la compétition internationale va reprendre et notre manque de compétitivité se fera ressentir de façon criante.
Il y a également la question de l’inflation…
C’est une situation sur laquelle on a alerté dès octobre 2021. Il faut voir comment vont évoluer les salaires et l’impact qu’aura cette inflation sur le pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres. Pour un grand nombre de Français, mais aussi pour les collectivités territoriales, la flambée des prix de l’énergie est une véritable problématique.
La reprise économique profite dans une large mesure aux plus riches et impacte négativement les inégalités. Cela ne fait que mettre du vinaigre sur des plaies. Il faut faire en sorte que la croissance intègre. Je ne veux pas revivre des épisodes de violences comme en 2018.
Il faut quand même reconnaître que notre croissance est la plus forte parmi les pays de l’Union européenne. Cela signifie peut-être que la politique du gouvernement durant la crise a été plus efficace que celles de nos voisins ?
C’est vrai sur cette année, mais pas sur trois ans. Les chiffres on peut leur faire dire tout et son contraire. Si on considère des indicateurs comme la dette ou la balance commerciale, un pays comme l’Allemagne est dans une bien meilleure situation que la nôtre.
Ces résultats économiques vont être mis en avant par la majorité pendant la campagne présidentielle. On voit déjà apparaître un certain nombre d’éléments de langage, notamment Bruno Le Maire qui insiste sur la perspective du plein-emploi. A vous entendre, c’est presque insincère ?
Pour moi, c’est une duperie, pour ne pas dire une fumisterie. On est dans une période dans laquelle on a besoin de sincérité. C’est l’esprit du projet que nous portons avec Valérie Pécresse. Il va falloir passer un pacte économique, social et environnemental avec les Français, pour que tout le monde participe à la reconstruction de notre économie, proportionnellement à ses capacités contributives. En politique, il faut pouvoir regarder les gens en face.
Au vu de la situation actuelle, je ne vois pas comment on pourrait atteindre rapidement le plein-emploi. Il y a, en outre, des problématiques plus structurelles. La société mute très vite, ce qui crée des trappes à pauvreté pour les personnes qui ne sont pas ou trop faiblement formées aux métiers de demain. Il faut adapter les compétences aux besoins d’innovation et aux enjeux de la numérisation et de la robotisation.
Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance, et Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics, seront auditionnés sur les résultats de l’exercice budgétaire de 2021 et sur les premiers éléments de l’exécution 2022, ce mardi 4 février 2022, à partir de 16h30. Des auditions à suivre sur Public Sénat.