En déplacement au Salon de l’élevage à Cournon d’Auvergne (Puy-de-Dôme), Michel Barnier a annoncé une aide de 75 millions d’euros pour les éleveurs de brebis victimes de la fièvre catarrhale ovine et des prêts garantis par l’Etat pour les exploitations en difficulté. Des mesures bienvenues pour les agriculteurs qui ne calment pas pour autant leur colère.
Culture des tomates en hiver : pourquoi les sénateurs de gauche voient rouge
Par Public Sénat
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Un projet de loi de finances, ce sont des amendements votés. Ce sont aussi (beaucoup) d’amendements rejetés. Ce qui n’empêche pas de lancer le débat. C’est le cas avec les tomates produites sous serre, pendant l’hiver. Pas vraiment la saison, mais les consommateurs sont nombreux à vouloir en acheter toute l’année.
L’exécutif, qui fait de l’écologie une priorité de l’acte 2 du quinquennat, est pourtant prêt à encourager cette pratique, à condition qu’il s’agisse de tomates bien françaises. Le budget 2020 prévoit de déplafonner le remboursement partiel de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) pour les exploitants agricoles. Concrètement, cette disposition, introduite à l’Assemblée, bénéficiera prioritairement au chauffage des serres maraîchères. « Il s’agirait ainsi d’aider financièrement la production sous serre visant à produire des légumes de contre-saison, en particulier des tomates, à l’aide de chauffage au gaz naturel. Pour un hectare de serre chauffée, le remboursement passerait donc de 6.666 euros par an à environ 25.000 euros par an. Ce chauffage dégage des gaz à effet de serre et va à l’encontre de tout ce qu’on devrait faire pour être plus vertueux » a dénoncé lundi soir la sénatrice PS du Lot, Angèle Préville. Regardez :
Comme le groupe communiste et une partie des sénateurs RDSE, dont l’écologiste Joël Labbé, elle a défendu la suppression de la mesure adoptée par les députés, qui « contrevient à l’objectif d’une fiscalité écologique ». Et d’ajouter :
« Introduire une nouvelle niche fiscale en faveur d’un mode de production émetteur de gaz à effet de serre paraît ainsi paradoxal »
Avec cette mesure, le gouvernement, souvent accusé d’un double discours sur l’écologie, dévoile son vrai visage, selon Joël Labbé : « On se rend compte qu’il apparaît impossible au gouvernement de trouver des financements pour la transition agroécologique véritable. Que ce soit pour des projets alimentaires territoriaux ou le financement des aides à la conversion au bio. Mais quand il s’agit de produits industriels, le manque de financement n’est alors plus un problème » (voir la première vidéo).
« Les grands groupes seront ultra favorisés »
Plutôt que « des cadeaux fiscaux » pour « soutenir la production de contre-saison », le sénateur écologiste du Morbihan défend l’accompagnement « vers des modes de production vertueux » et la limitation de la « concurrence déloyale dont souffrent les agriculteurs, notamment en renforçant le contrôle des importations des produits ne respectant pas les normes en vigueur dans l’Union européenne ». Une forme de protectionnisme écologique aux frontières de l’Europe en somme.
« En plus, ça va favoriser les grands groupes, car on fait passer de 6.600 à 25.000 euros par hectare. Ceux qui ont beaucoup d’hectares seront ultra-favorisés » complète le sénateur PCF Fabien Gay. « Il n’y a pas d’étude d’impact qui prouve que les 6.600 euros ne seraient pas suffisants (…) et qu’il faut créer une niche fiscale en passant à 25.000 euros qui va profiter aux plus gros » ajoute le sénateur PS de la Guadeloupe, Victorin Lurel.
« Relocaliser sur le territoire national des productions que nous avons l’habitude d’importer »
Des multiples prises de paroles qui n’ont pas convaincu la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, Agnès Pannier-Runacher. « Ça va surtout faciliter l’importation de marchandises élevées sous serre à l’extérieur de la France et ça ne va pas résoudre un problème d’environnement quelconque. On achètera des tomates élevées en dehors de la France. C’est un choix, ce n’est pas le nôtre » soutient la secrétaire d’Etat, qui pointe aussi un « risque juridique ». Regardez la secrétaire d’Etat :
« Il faut regarder la concurrence des pays de l’Europe du sud, notamment d’Espagne » ajoute le rapporteur LR du budget, Albéric de Montgolfier, qui évoque aussi « un problème de compatibilité avec le droit européen ». S’il s’est opposé aux amendements, le sénateur d’Eure-et-Loir reconnaît « qu’on peut s’interroger sur le mode de production à contre saison, notamment avec les serres ».
Le sénateur LR Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, est monté au créneau pour défendre la mesure votée par les députés. « C’est une occasion de relocaliser sur le territoire national des productions que nous avons l’habitude d’importer, ce qui entraînera des emplois localement en France. Et quand on parle d’émissions de gaz à effet de serre, c’est sûrement beaucoup moins important que le transport aérien qui fait la navette avec les pays du Maghreb » fait valoir le sénateur LR de la Manche. Il sort un autre argument : « On parle de diminuer, à juste titre – mais il faut savoir comment – la quantité de phytosanitaires pour cultiver les produits. Ces cultures sous serre sont l’occasion, par atmosphère contrôlée, d’utiliser beaucoup moins de phytosanitaires » soutient Jean Bizet, qui a pourtant plusieurs fois été pointé du doigt pour sa défense du glyphosate.
« Quelle transition écologique voulons-nous ? »
Joël Labbé n’en démord pas et y voit un manque de « cohérence » du gouvernement. « On ne peut pas dire qu’on va défendre nos petites exploitations » et voter cette mesure, selon le sénateur écolo. Cet ancien d’EELV ajoute :
« Par des signes comme celui-là, on brouille les pistes et on laisse continuer la dérive au plus bas prix dans la grande distribution qui broie nos agriculteurs »
« On parle beaucoup d’agri bashing » souligne Joël Labbé. Mais à ses yeux, c’est ce type de mesure qui l’entretient justement. « Quelle transition écologique voulons-nous ? Y a-t-il un sens à tout cela ? » demande encore Angèle Préville, qui compte sur le changement de pratique des consommateurs : « Des études sont sorties récemment sur ces cultures hors sol. Elles produisent des légumes, des tomates qui ont moins de minéraux, moins de nutriments. Quand elles seront connues, elles inciteront les consommateurs à ne plus consommer ces légumes ». Ce sera la revanche des endives.