En classe de 5ème Arzthur a connu l’enfer. Il a été harcelé par un autre élève. « ça a commencé par la défense d’un de mes copains », explique le garçon de 14 ans.
Puis il y a eu les premières insultes : « Connard », « fils de pute ». Très vite elles se sont transformées en menaces, puis en coups. « Des coups de pied dans les jambes, dans les côtes ». Son harceleur l’attirait dans un coin de la cour à l’abri des regards des autres élèves et enseignants pour le tabasser. Et ça, un jour sur deux. « Je me sentais mal, j’avais très mal au début, après c’est comme un bleu, ça part assez vite, mais et ça fait quand même très mal ». (Voir la vidéo ci-dessus)
La douleur d’Arzthur ne s’arrête pas aux portes de son collège. Un soir en rentrant chez lui, il découvre que son harceleur a créé un groupe sur le réseau social Snapchat, pour se moquer de lui. Là aussi, il l’insulte et le menace de mort. Arzthur cache ce qui lui arrive à sa maman, mais il sombre. « Je n’étais plus comme avant, mes notes baissaient, j’avais moins de copains, je cherchais à m’isoler ». Il a même pensé à la mort, mais en parler reste douloureux.
« Je n’ai pas dormi pendant des nuits, pour m’assurer qu’il ne fasse pas une bêtise »
Un jour, tout a basculé. Un de ses copains a parlé. Il a appelé la maman d’Arzthur pour lui dire ce que vivait son fils. Mildred a tout de suite réagi, « Arzthur m’a dit ‘je me fais frapper quasiment tous les jours, je me fais insulter, je me fais intimider’, j’ai dit à mon fils, oui en effet, on est dans le harcèlement ». Avec Arzthur, elle a constitué un dossier, des photos de ses bleus, des captures d’écran de son portable, elle a déposé une plainte à la police contre l’élève harceleur et demandé un rendez-vous à l’école. « Les faits ont été minimisés, on m’a dit qu’il ne se passait absolument rien à l’école, qu’il n’y avait pas de trace, que ça se passait sur internet, je suis sortie de mes gonds et je leur ai dit que c’était un tout, et ce tout passe par l’école, internet je vais m’en occuper, mais l’école je ne peux pas. » Mildred remue ciel et terre, Arzthur change de classe lors de son entrée en 4ème, le harcèlement cesse, mais pour la maman c’est encore éprouvant. « Quand votre fils menace de se suicider, de prendre un couteau et de se trancher la gorge, je peux vous garantir qu’en tant que maman, ça vous glace le sang et je n’ai pas dormi pendant des jours pour m’assurer que mon enfant n’allait pas faire une bêtise ».
20 suicides en 2021
Heureusement Arzthur n’est pas passé à l’acte, mais d’autres oui. En France en 2021, une vingtaine d’adolescents se sont donné la mort. Et les victimes de harcèlement scolaire seraient entre 800 000 et 1 million. Des chiffres vertigineux qui pointent l’inefficacité des politiques de lutte contre ce phénomène. Un constat partagé par la sénatrice socialiste Sabine Van Heghe, qui a pris la tête d’un groupe de travail au Sénat sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. « On ne peut pas dire que rien n’a été fait par les différents gouvernements, mais il y a des trous dans la raquette, et vingt suicides en 2021, c’est une raison suffisante pour que le Sénat se penche sur la question ».
4 parents sur 5 ne savent pas ce que fait leur enfant sur le net
L’objectif de la mission d’information présidée par la sénatrice du Pas-de-Calais, est donc de donner des outils pour lutter contre le harcèlement, mais surtout le cyberharcèlement. Car c’est devenu en quelques années un fléau. Nos enfants à qui l’on offre des portables en moyenne dès l’âge de 10 ans, sont devenus de gros consommateurs des réseaux sociaux. D’après une étude de l’association e-enfance, 65 % des 8-18 ans y seraient inscrits. Et les parents sont souvent dépassés par les contenus, 4 sur 5 ne savent pas ce que font leurs enfants sur le net. Les enfants livrés à eux-mêmes, évoluent dans un espace où tout peut arriver : moquerie, insultes, menaces et pire le chantage sexuel. Sabine Van Heghe reconnaît que « s’il existe des applications de contrôle parental, il faut encore les connaître. Pour elle, « les réseaux se nourrissent de tout ça, donc ils n’ont aucun intérêt à contrôler ».
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« L’audition des cadres dirigeants de Snapchat n’a rien apporté »
Auditionnés au Sénat, les représentants des réseaux sociaux ont minimisé le harcèlement en ligne. « Le harcèlement si vous le voyez, c’est très simple, vous appuyez sur n’importe quelle image, il y a un petit drapeau qui permet le signalement », a expliqué Jean Gonié le représentant de Snapchat devant les sénateurs. « On est intraitable avec le cyberharcèlement », a ajouté Sarah Bouchahoua, une autre cadre de l’application. Même discours de Magali Tuffier, directrice des politiques publiques d’Instagram : « C’est interdit, nous ne tolérons pas ces comportements ». Des réponses loin des attentes de la rapporteure de la mission d’information au Sénat, Colette Mélot, « l’audition n’a rien apporté, nous n’avons reçu aucune réponse convaincante et adaptée à la réalité en ce qui concerne le cyberharcèlement ».
« Une volonté de s’y coller »
Si les réseaux sociaux se dédouanent, il y a en revanche une vraie prise de conscience politique. Parallèlement aux travaux des sénateurs, les députés ont proposé une loi contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. Une fenêtre législative dont a profité la sénatrice Sabine Van Heghe, pour mettre les réseaux sociaux face à leur responsabilité.
« Nous voulions contraindre les réseaux sociaux à mettre des messages informatifs de prévention contre le cyberharcèlement ». Mais, en séance, sa proposition est rejetée. « Les plateformes ne sont pas chez nous », lui a répondu la sénatrice LR, Jacqueline Eustache-Brinio « la prise en compte réelle des contraintes au niveau de l’Europe il n’y a que ça comme solution ».
Le Parlement européen a effectivement adopté une loi, le Digital Service Act, pour contraindre les plateformes à plus de modération des contenus. Mais son entrée en vigueur en France ne se fera pas avant janvier 2023. Trop tard pour Sabine Van Heghe. Elle déplore la frilosité des représentants politiques à contraindre les plateformes, « je ne vois pas en quoi ça dérange, on pouvait le mettre dans la loi et on montrerait une volonté de s’y coller ».
En attendant Arzthur, lui est sorti d’affaire. Même si le mal est fait « j’essaye d’oublier, après ça reste dedans, mais là ça va, je suis détendu ». Et il conseille à ceux qui sont harcelés d’en parler « sinon ça peut être dangereux ».
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« Cyberharcèlement : nouveau fléau scolaire », un reportage de Cécile Sixou à voir dimanche 27 mars à 10h00, le 1er avril à 16h30 et en replay sur publicsenat.fr