« Dans 20 ans, on saura les répercussions exactes sur cette génération du Covid », affirme la pédiatre Catherine Gueguen

« Dans 20 ans, on saura les répercussions exactes sur cette génération du Covid », affirme la pédiatre Catherine Gueguen

Alors que le protocole sanitaire est renforcé dans les lycées, la pédiatre Catherine Gueguen, spécialisée dans les neurosciences affectives, insiste sur la nécessité que les enfants et les adolescents puissent continuer à fréquenter leur établissement scolaire. Pour l'auteure de nombreux ouvrages sur l'éducation, les parents et les enseignants doivent « rassurer » les plus jeunes. Elle était l’invitée de l’émission « Allons plus loin » le 9 novembre.
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Par Rebecca Fitoussi

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Publié le

Avec le renforcement du protocole sanitaire dans les lycées, des classes vont être dédoublées, des élèves vont apprendre à distance un jour sur deux ou une semaine sur deux... Certains adolescents ne se verront plus physiquement pendant plusieurs semaines. Connaît-on l'impact de ce genre de mesures sur eux, sur leur façon d'apprendre et d'appréhender le monde ?

Pour moi, ce sont des décisions très compliquées... Les mesures sont faites pour que le virus se diffuse moins, mais pour les adolescents, ce n'est pas une bonne chose, notamment pour ceux qui n'ont pas d'ordinateur, et il en existe encore beaucoup, ou ceux qui vivent à la campagne, où souvent le réseau passe mal. En ce qui les concerne, ils n'auront plus de réel contact avec leurs amis et leur apprentissage va être beaucoup moins performant. Je trouve que ce n'est pas une bonne mesure. Nous, les pédiatres en France, on souhaite absolument faire tout notre possible pour que les enfants et les adolescents restent en classe. Ils en ont absolument besoin. C'est aussi bien pour leur sociabilité que pour les apprentissages.

 

Que pensez-vous du port du masque obligatoire dès 6 ans ?

Quand j'ai appris qu'il y aurait le masque dès l'âge de 6 ans, j'ai été très inquiète, même en colère. Mais là aussi, je préfère mille fois que les enfants portent le masque, même si ça les gêne plutôt que la fermeture des écoles. J'ai très peur que les syndicats des enseignants commencent à réclamer la fermeture des collèges, ou le « un jour sur deux » pour les collèges, et j'ai peur que ça touche aussi les jeunes enfants.

Le masque est un pis-aller, et il faut toujours expliquer aux enfants que le risque est minime. Le risque de transmission des enfants à l'adulte est bien moindre que celui des adultes entre eux. Les dernières études, que vous pouvez trouver sur le site de l'Afpa (l'association française de pédiatrie ambulatoire), montrent que les enfants transmettent beaucoup moins le Covid-19.

 

Au printemps dernier, on a d'abord dit que les enfants étaient des « super-contaminateurs », puis les médecins se sont ravisés, et depuis 24 heures, beaucoup de médecins reviennent encore là-dessus en disant notamment que les 12-18 ans, par exemple, seraient autant contagieux que les adultes...

Les dernières études scientifiques internationales disent que les enfants transmettent moins que les adultes, et que, plus ils sont jeunes, moins ils transmettent. Les adolescents transmettent plus que les enfants, mais pas autant que les adultes. Mais il y a des nuances parce que les adolescents ont beaucoup de contacts entre eux, et que, souvent, ils enlèvent leur masque. Pour eux, c'est difficile. Ils sont un peu en révolte. Respecter les gestes barrières, être un jour sur deux à la maison, alors qu'ils savent que pour eux, ce virus est rarement dangereux... C'est compliqué. Ils le font par altruisme.

 

Ce virus est en train de tester la solidarité des jeunes générations vis-à-vis des générations plus anciennes. Ce n'est pas anodin pour une génération.

Ce n'est pas du tout anodin, et il faut les rassurer et leur dire que ce qu'ils font est extrêmement positif et altruiste. C'est pour protéger les personnes vulnérables de notre société.

 

Ce n'est pas simple d'expliquer aux enfants qu'ils peuvent mettre en danger leurs grands-parents.

Ils sont tout à fait capables de le comprendre. Par contre, ce qui m'inquiète c'est que plus le cerveau est jeune, plus il est sensible au stress. Jérôme Fourquet, de l'Ifop, a fait une étude sur l'état psychologique en France qui montre que les adultes ont extrêmement peur en ce moment. Ils sont extrêmement anxieux. Donc, des adultes anxieux ne peuvent pas rassurer les enfants. Et le stress chez l'enfant est extrêmement nocif pour le cerveau. 

 

Quel est l'impact de l'angoisse des parents sur les enfants, concrètement ?

Je peux vous assurer que quand j'ai sorti ces études-là, j'ai eu moi-même un stress. C'est Bruce McEwen qui est un grand spécialiste mondial du stress, qui montre que quand le stress est répété au quotidien, il abîme des parties essentielles du cerveau. Il attaque la substance grise, la substance blanche, les connexions entre les neurones, les structures cérébrales elles-mêmes. Ça peut abîmer des protéines cérébrales, donc ça peut être extrêmement nocif. 

Quand il y a des atteintes comme ça de ces structures cérébrales, que se passe-t-il ? Beaucoup de troubles du comportement qui ont des répercussions à l'âge adulte. Ce matin, j'ai vu un article du JAMA, cette revue américaine pédiatrique, dans lequel l'éditorialiste disait que dans quinze ou vingt ans, on saura les répercussions exactes de toute cette génération qui aura pu être traumatisée par le Covid. Les cabinets de pédopsychiatrie, ou ceux des psychologues pour enfants, sont pleins d'enfants qui ont des troubles, qui sont anxieux, dépressifs, agressifs, ou qui ont des troubles de l'attention... Il y a énormément de troubles causés par le stress. Pourquoi ? Parce que c'est le cortisol qui abîme le cerveau de l'enfant ou de l'adolescent. 

 

Quels sont les signes qui doivent alerter des parents ?

Des troubles de la concentration, un enfant qui se met plus en colère, de l'anxiété... Des enfants qui se mettent à avoir peur de tout ou peur de sortir... Moi, j'ai vu des adolescents qui ne voulaient plus sortir de chez eux. L'adolescent qui perd son énergie, qui perd son envie de vivre, qui reste aussi enfermé chez lui et qui ne veut plus voir les autres. Et puis, des comportements agressifs aussi. De l'agressivité qui peut être contre soi ou contre les autres.

À l’heure actuelle, les consultations de pédopsychiatrie sont pleines d'enfants qui ont des troubles anxieux, dépressifs ou agressifs.

 

Quels conseils donner aux parents?

Il faut rappeler d'abord que ce ne sont pas tous les enfants qui sont touchés. Ce sont les enfants qui vivent dans des conditions précaires, avec des parents au chômage, ou en grande précarité, dans des appartements très étroits ; des enfants qui ont été atteints parce que dans leurs familles, il y a eu justement des grands-parents ou des parents décédés du Covid. Ensuite, il y a tous les enfants qui sont en permanence sur les écrans. D'ailleurs, au lycée, préconiser le distanciel un jour sur deux va aussi favoriser l'addiction aux écrans... Et puis tous les enfants qui, avant le Covid, avaient déjà des troubles du comportement ou des handicaps. Ce ne sont pas tous les enfants qui vont être impactés par tout ce qui se passe à l'heure actuelle, mais plutôt une population qui était déjà fragile. Ce qu'il faudrait, c'est que ces enfants-là soient rassurés, sécurisés.

Il faut se réjouir d'être en 2020 parce qu'on a des recherches scientifiques extraordinaires qui nous disent ce qu'il faut pour que les enfants se développent bien. On le sait maintenant, même si on ne sait pas tout, bien entendu ! Ce qu'il faut, c'est leur donner justement de la sécurité affective, de l'empathie. Ça ne veut pas du tout dire être laxiste, mais ça veut dire comprendre ce qu'ils vivent, comprendre leurs émotions, leurs pensées, et les écouter.

 

Un autre effet de la crise du Covid, c'est la fermeture des lieux de distraction. Quels en sont les effets ?

Oui, il y a des conséquences aussi sur le manque d'activité physique. 

Les jeunes ont absolument besoin d'espace pour bouger et faire les sports qu'ils aiment. Donc, pour eux, ça peut être très impactant et augmenter les troubles de l'attention. On peut voir des enfants beaucoup plus agités que d'habitude.

Moi, je serais favorable à ce que, lors de la classe, ils puissent bouger, ou que dans les cours de récréation, ils puissent encore courir, jouer et se dépenser, ou qu'ils puissent danser. Je suis pour tout ça !

 

En ce moment, les écrans permettent les rencontres, avec les grands-parents notamment. Quel est l'impact de ces rencontres sur le développement du cerveau des enfants ?

Les écrans ont aussi beaucoup d'avantages. Il y a des choses très positives, mais le grand risque, ce sont les addictions qui peuvent survenir chez les plus jeunes. On sait que les vraies addictions, c'est une catastrophe pour le cerveau car c'est extraordinairement complexe. 

Je pense qu'il faudrait que les enseignants et les parents sachent comment faire vis-à-vis des addictions aux écrans et sachent accompagner les enfants pour les aider à trouver d'autres choses intéressantes en dehors des écrans. D'abord parce que nous avons absolument besoin du contact réel avec les personnes. Le risque des écrans, c'est l'isolement. On sait aussi qu'un enfant qui est tout le temps dans le virtuel, ça a des effets vraiment délétères sur le cerveau comme le montrent par exemple les travaux du spécialiste français Michel Desmurget.

Il y a un an, je suis allée au Canada, et j'ai rencontré une chercheuse spécialiste de ces questions qui me disait qu'elle avait beaucoup de mal à financer ses recherches, parce qu'évidemment, vous imaginez bien que des lobbies empêchent le financement. Cette femme montre des choses dramatiques. On peut voir exactement ce que font les écrans sur telle et telle partie du cerveau. C'est uniquement sur des enfants qui sont toute la journée sur leurs écrans, bien entendu.

 

Est-ce que cette crise dure suffisamment longtemps pour laisser des séquelles sur le cerveau des enfants?

Il y aura une génération certainement marquée dans ses souvenirs. Par contre, notre cerveau est malléable, donc il est résilient, si l'environnement est sécurisant, empathique. Il y aura une minorité d'enfants et d'adultes qui seront impactés de façon très négative, c'est sûr. Mais j'espère que la majorité des enfants en France, qui vont bien, ne seront pas impactés parce que, justement, le cerveau est résilient.

 

Un autre évènement très fort a frappé l'univers scolaire, c'est l'assassinat de Samuel Paty, un professeur décapité en pleine rue à cause de ce qu'il a dit à ses élèves en cours. Comment les enfants peuvent intégrer cela, l'hommage qui lui a été rendu, et la minute de silence ?

Ce n'est pas simple. Ça augmente le stress de nos enfants. Là, par exemple, j'ai vu un enfant de 6 ans et demi qui a dit à sa maman : « Mais ce n'est pas possible que ça se passe en France, c'est impossible ». Et puis, j'ai vu aussi des enfants en école maternelle qui ont fait la minute de silence. Pour moi, ça peut-être trop tôt une minute de silence en maternelle. Si c'est vraiment accompagné par une vraie réflexion, je pense que nos enfants peuvent résilier mais il y a beaucoup de choses à faire et à mettre en place. 

Nos enseignants doivent être formés pour développer leurs compétences sociales et émotionnelles parce qu'en développant ces compétences, les enseignants se sentiront bien, ils se sentiront plus compétents et ils n'auront pratiquement plus de burn-out. C'est un enjeu parce que le métier d'enseignant est un métier extrêmement difficile.

 

Selon vous, il faut que ce soit institutionnalisé ?

Absolument ! A l'heure actuelle, ça se fait dans beaucoup de pays développés dans le monde. Il faut s'ouvrir à ce que font les autres pays. Des études montrent bien que quand les enseignants sont formés, alors les enfants développent leurs compétences émotionnelles et sociales. Les enfants ont un meilleur rapport avec eux-mêmes, et développent des relations plus satisfaisantes avec leurs camarades. On se demande tout le temps comment faire pour qu'il n'y ait plus de harcèlement en France, car il y en a encore beaucoup... Voilà une solution. Ensuite, leurs résultats scolaires s'améliorent de façon considérable, même si ces enfants viennent de quartiers défavorisés. 

Je suis confiante et optimiste. Nous savons ce qu'il faudrait faire. C'est une révolution éducative. C'est ça que nous apportent les recherches en neurosciences affectives et sociales. C’est-à-dire qu'on sait que c'est concret, c’est-à-dire qu’on sait que si on fait ça, ça développe leur empathie pour eux-mêmes et pour les autres.

Une chercheuse hollandaise a étudié des enfants de 191 familles, de l'âge de six semaines à 8 ans, qui reçoivent de l'empathie. À 8 ans, toute la substance grise du cerveau se développe, aussi bien le cerveau intellectuel que le cerveau social et affectif. Développer les compétences émotionnelles et sociales chez les adultes, chez les enseignants, pour qu'ils les développent chez les enfants : c'est une piste pour que notre société aille mieux.

 

Former les enseignants, c'est possible, mais comment former les parents ?

Être parent, c'est la chose la plus extraordinaire qui puisse arriver à quelqu'un. Ça peut être du grand bonheur, mais c'est aussi très complexe et très difficile.

  En tant que pédiatre, au XXème siècle, j'avais tout le temps, des questions de parents à propos d’un enfant qui ne veut pas manger, ou un enfant qui ne veut pas faire ses devoirs ou aller se coucher. Je ne savais pas quoi répondre dans le sens où je leur disais ce que je pensais mais nous n'avions aucune étude scientifique. Nous avons la chance extraordinaire au XXIème siècle d'avoir des études scientifiques qui nous disent ce qu'il faudrait faire idéalement. Encore une fois, on ne sait pas tout, loin de là, mais on sait idéalement ce qu'il faudrait faire.

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