Lyon  : Manifestation contre la reforme des retraites Lyon

De la réforme des retraites à la loi immigration en passant par les émeutes, retour sur une année électrique

Quels ont été les faits politiques marquants de l’année 2023 ? Quels sont les enseignements à tirer pour l’année prochaine ? Public Sénat se penche sur les évènements qui ont secoué la société française et les débuts du quinquennat d’Emmanuel Macron
Steve Jourdin

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La réforme des retraites pour (mal) commencer

Il l’avait promis, il l’a faite. Mais de quelle façon. La réforme des retraites restera comme emblématique du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Depuis trente ans, peu de mouvements sociaux avaient mobilisé plus d’un million de personnes dans la rue. Présenté fin janvier en Conseil des ministres, le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif (PLFSSR), qui contient la réforme des retraites et prévoit de repousser l’âge de départ de 62 à 64 ans, met tout de suite le feu aux poudres. Son examen et ses échos dans la rue vont rythmer l’agenda politique dans les mois qui suivent et enflammer les plateaux tv. « L’opinion y est restée très majoritairement hostile pendant toute la durée du mouvement de contestation. Le fond de la réforme a été autant contesté que sa méthode », souligne Mathieu Souquière, consultant et expert associé à la Fondation Jean-Jaurès. La méthode ? Des partenaires sociaux ignorés, un Parlement largement négligé.

« La réforme des retraites montre que les oppositions parviennent à se coaliser pour faire entendre une voix de contestation sociale. Pendant la discussion parlementaire, on va assister à tous les artifices du parlementarisme rationnalisé : vote bloqué, 49.3, règlement du Sénat. On va redécouvrir le droit parlementaire à l’aune de ce qu’il permet au gouvernement de faire dans ces moment-là », note Anne Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public à l’université de Rouen. De fait, le 16 mars, constatant l’impossibilité d’obtenir une majorité dans l’hémicycle, Elisabeth Borne enclenche le onzième article 49.3 du quinquennat, pour faire adopter définitivement la réforme.

« Ce qui a été considéré comme un passage en force, et par certains comme un viol démocratique, a aggravé la situation. Cela a accrédité l’idée selon laquelle non seulement le pouvoir veut passer en force, mais qu’en plus il est sourd et isolé », relève Mathieu Souquière. Finalement, le 25 avril, malgré une mobilisation sociale d’une durée record, la très impopulaire réforme est promulguée. Une réforme qui laissera des traces, poursuit le politologue : « Il y a une rupture très nette avec cette réforme. Elle aura été vue comme une régression sociale et une régression démocratique ».

Au fil de la discussion parlementaire, plusieurs points vont être amendés. Le nouveau système des retraites entre en vigueur le 1er septembre. L’âge légal de départ est relevé de 62 à 64 ans, les régimes spéciaux sont supprimés, la durée de cotisation passe à 43 ans dès 2027 (au lieu de 2035), les petites pensions sont revalorisées pour les carrières complètes. Pourtant, il faudra probablement remettre l’ouvrage sur le métier. Malgré la réforme, les régimes de pension devraient rester dans le rouge en 2030, selon un rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites.

 

L’étincelle estivale :  la mort de Nahel et les émeutes

Autre temps politique très fort de l’année 2023 : l’affaire du jeune Nahel. Le 27 juin, dans le quartier de la préfecture de Nanterre (Hauts-de-Seine), Nahel M., 17 ans, est abattu à bout portant par un policier motocycliste à l’occasion d’un refus d’obtempérer. La scène est filmée et diffusée par une passante. La mort du jeune homme marque le début d’une semaine de violences urbaines inédites en France. « C’est une crise politique, car la jeunesse va rapidement quitter ses revendications de départ », note Anne Charlène Bezzina. Le phénomène s’emballe et on assiste à un soulèvement. On observe que les pouvoirs publics sont incapables de gérer une crise du ras-le-bol ».

Selon la professeure en droit public, cela a pour conséquence de remettre en cause la légitimité des élus. « Cette crise invite à poser la question des quartiers et de la manière dont la politique peut gérer les problèmes de sécurité à l’intérieur des villes. Or, le gouvernement va y répondre par un tout-sécuritaire, beaucoup d’arrestations et de gardes à vue. On a eu le sentiment que c’était un acte II de la réforme des retraites ». Fin octobre, le gouvernement présente une batterie de mesures sécuritaires pour répondre à la crise.

Parmi les choix retenus, un fonds de 100 millions d’euros pour la reconstruction des villes sinistrées, une augmentation des amendes pour non-respect du couvre-feu et le renforcement des pouvoirs des polices municipales. Mais pour Mathieu Souquière, la crise est loin d’être terminée. « En quelques années on a connu trois colères très intenses : les Gilets jaunes, les syndicats pendant la réforme des retraites et les banlieues à l’occasion de l’affaire Nahel. Ces trois colères traduisent une intensification du jeu social ». Un phénomène qui ne profite pas nécessairement à ceux qu’on imagine.

 

Ci-git la Nupes

A l’occasion des élections législatives de juin 2022, une alliance inédite voit le jour à gauche. « Le peuple de gauche est fondamentalement unitaire. Il considère qu’il n’y a pas de gauches irréconciliables dans ce pays selon Mathieu Souquière. Il y a des différences, mais les militants considèrent que ce qui les unit dépasse ce qui les oppose ». Le Parti socialiste, EELV, le Parti communiste et la France insoumise signent un accord afin d’obtenir un maximum de sièges à l’Assemblée nationale. Ils baptisent leur mouvement « NUPES », pour Nouvelle union populaire, écologique et sociale. Malgré les critiques, le rassemblement parvient à faire entrer 151 députés (sur 577) au Palais bourbon, ce qui empêche Emmanuel Macron de disposer d’une majorité absolue. « Lors des votes de la session extraordinaire à l’été, on a déjà senti que les groupes politiques avaient conservé leurs identités » remarque Anne Charlène Bezzina, qui n’est qu’à moitié surprise. Les coalitions électorales n’ont, sous la Ve République, aucune prétention idéologique. « Ces coalitions servent à se faire élire, mais en termes de survie parlementaire, ce n’est pas très long ! ».

Et en effet, l’alliance fait long feu. « Depuis le départ ce qui marque une vraie différence entre les composantes de la Nupes, c’est la posture d’opposition à adopter face au gouvernement. Même chez les sympathisants de la France insoumise il y a une demande d’opposition constructive : 50 % d’entre eux ne se reconnaissent pas dans l’opposition frontale adoptée par les parlementaires à l’Assemblée nationale », selon Mathieu Souquière. Un style très offensif qui s’est notamment illustré lors de la réforme des retraites, puis à diverses occasions tout au long de l’année.

Mais il faut attendre l’hiver pour assister à l’explosion finale. Sur fond de désaccords sur les sujets internationaux, et notamment la guerre entre Israël et le Hamas (LFI refusant de qualifier les islamistes de groupe « terroriste »), les écologistes et les socialistes décident de ne plus participer aux réunions de l’intergroupe. Début décembre, Jean-Luc Mélenchon choisit d’appuyer sur le bouton rouge et acte la fin de la Nupes. Existe-t-il un problème Mélenchon à gauche ? La question s’invite avec force dans les discussions des militants.

Pour Anne-Charlène Bezzina, « Jean-Luc Mélenchon est un facteur déclenchant. On parle de quelqu’un qui n’a pas de mandat et qui continue à être le chef idéologique de toute cette coalition. Quand c’est lui qui parle, on a l’impression que c’est l’alliance toute entière qui s’exprime. Il a eu le sentiment que sa personnalité pouvait coaliser autour de lui, alors que c’est elle qui clive ! ». Mais les problèmes ne datent pas du 7 octobre et de l’attaque du Hamas contre Israël. « Il y a eu une première cassure au moment de l’affaire Adrien Quatennens, où les mots utilisés par Jean-Luc Mélenchon ont froissé une partie de son campe », rappelle Mathieu Souquière. L’actualité géopolitique récente a remis dix balles dans la machine ! ». Si selon la Fondation Jean-Jaurès le vote utile a fonctionné à plein pour lui en 2022, pas certain que cela se reproduise en 2027. Mais Jean-Luc Mélenchon sera-t-il à nouveau candidat ? Dans son entourage, peu sont ceux qui en doutent.

 

Immigration : le Sénat fait la loi

On connaît la musique : chambre de stabilité politique, le Sénat ne vit pas au même rythme que sa cousine de l’Assemblée. Les élections du 24 septembre n’auguraient pas de bouleversement dans les rapports de force sénatoriaux. « Les résultats ne sont pas inattendus analyse Anne-Charlène Bezzina. On se rend compte que le groupe LR a eu des mauvais résultats à la présidentielle et aux législatives, mais il conserve une identité très forte dans les territoires. » Le scrutin de fin septembre confirme le phénomène. Si le groupe LR perd quelques sénateurs, il parvient à en faire élire 133, à la tête desquels Bruno Retailleau est réélu. La majorité sénatoriale reste à droite : l’Union centriste (56 membres) et les Républicains gardent la main. Une stabilité qui tranche avec l’Assemblée où le parti présidentiel ne dispose que d’une majorité relative.

La grande affaire de l’hiver ? Le texte immigration, annoncé début 2022 et sans cesse repoussé. Mais l’attentat de Arras et l’assassinat de Dominique Bernard par un islamiste le 13 octobre accélère les choses. La présidente de l’Assemblée nationale promet une adoption du projet de loi avant Noël. Mais une fois n’est pas coutume, c’est au Sénat qu’il est examiné en première lecture. « C’est l’une des premières fois sous la Ve république que le Sénat est porteur en première lecture d’un texte majeur du programme présidentiel. A ce moment-là, c’est dans la logique des choses que de passer par le Sénat, car il y a le groupe LR qui a fait du thème de l’immigration l’un de ses dossiers phares », insiste Anne-Charlène Bezzina. Le 14 novembre, le projet de loi est adopté à la Chambre haute par 210 voix contre 115.

Le texte transmis aux députés porte la marque du Sénat et est profondément durci par rapport à la version initiale. Composé de 90 articles, il prévoit des quotas sur l’immigration économique, la limitation du regroupement familial, la suppression de l’aide médicale d’Etat (AME) ou encore le rétablissement du délit de séjour irrégulier. Coup de théâtre : à l’Assemblée nationale le projet de loi est rejeté avant même d’être examiné. Surprise : une large majorité de députés LR ont voté pour la motion de rejet. Les Républicains, combien de divisions ? « L’immigration est une question qui clive, y compris chez ceux qui devraient être d’accord. Il y a eu une opposition entre les sénateurs LR et les députés LR, mais aussi des divisions au sein des troupes de la majorité présidentielle », observe Mathieu Souquière.

Le psychodrame se poursuit en commission mixte paritaire, où le patron du groupe LR Bruno Retailleau siège lui-même pour négocier un accord avec la majorité présidentielle. Après plus de 24 heures de discussions houleuses, un compromis est trouvé, puis voté dans la foulée dans les deux chambres. Il prévoit un durcissement du regroupement familial, le rétablissement du délit de séjour irrégulier, la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables de meurtres contre des personnes détentrices de l’autorité publique ou encore la limitation du droit du sol. Un texte très décrié par la gauche, qui y voit la patte de l’extrême droite. Reste à savoir quelles traces cet épisode va laisser en macronie.

L’année 2023 est en tout cas à marquer d’une pierre blanche. « Constitutionnellement, il s’agit de l’année la plus intéressante de la Ve République. Il y a déjà eu des majorités relatives au Parlement. Mais on n’a jamais connu autant de fracturations. Fracturation à l’Assemblée nationale, fracturation au Sénat où le groupe LR n’a pas la même sensibilité que les députés LR. Cette année le gouvernement a dû utiliser tous les outils institutionnels du parlementarisme rationalisé pour parvenir à une discussion raisonnable », juge Anne-Charlène Bezzina. La majorité présidentielle va-t-elle vraiment pouvoir continuer à travailler ainsi ? Une dissolution est-elle inévitable ? Bonne année (politique) 2024 à tous.

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