Débat à 11 : « On avait le sentiment d’être dans un jeu télévisé »
La directrice du laboratoire Communication et Politique Isabelle Veyrat-Masson revient sur le premier débat de premier tour qui a réuni la totalité des candidats à la présidentielle.

Débat à 11 : « On avait le sentiment d’être dans un jeu télévisé »

La directrice du laboratoire Communication et Politique Isabelle Veyrat-Masson revient sur le premier débat de premier tour qui a réuni la totalité des candidats à la présidentielle.
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Directrice de recherche au CNRS, spécialiste de communication et de politique, l’historienne et sociologue Isabelle Veyrat-Masson analyse avec déception ce premier exercice inédit auquel se sont livrés la totalité des candidats à l’élection présidentielle.

Ce débat à onze candidats a-t-il rempli son objectif ?

« J’ai trouvé que c’était assez pénible à regarder. Pour savoir qui étaient les candidats, c’était réussi. En 17 minutes, on voyait qui ils étaient, on voyait leur manière de parler. Même leur tenue physique disait beaucoup de choses sur eux. Si ce débat devait être l’occasion d’un échange d’arguments, là, c’est complètement raté. Si c’était une émission de téléréalité, c’est réussi. Il y avait un mélange de rigolade, d’attaques ad hominem. On avait le sentiment d’être dans une émission de télévision, dans un jeu, j’ai trouvé cela assez dégradant. »

Chaque candidat disposait de 17 minutes au total, que peut-on mettre en avant dans ce laps de temps ?

« Il y a un côté performance, on n’a pas le temps de parler de son programme. D’ailleurs, on voyait les deux journalistes qui essayaient de régler ce problème en faisant à chaque fois la synthèse des programmes pour éviter qu’ils les répètent. Sur le contenu, cela donnait une impression de sautillement, on ne savait pas qui était pour quoi, il était impossible de repérer dans les programmes.

Les candidats sérieux ont pu exposer rapidement leurs idées. Chacun devait faire passer un marqueur, plutôt qu’autre chose. Mais comme cela passait très vite, cela donnait une impression de confusion absolument insupportable. On ne peut pas tenir des propos de fond. En revanche, chacun y va de sa capacité à couper la parole, à montrer son indignation ou sa vulgarité. On était dans un jeu de rôle. »

Les indécis peuvent-ils se décider après ce débat ?

« Les Français, qui n’ont déjà pas beaucoup d’estime pour le jeu politique, ne pouvaient que ressortir gênés, un peu vexés de voir ce cirque politico-médiatique devant eux. Je crois que ce débat n’a rien apporté du tout, ce n’est pas un moyen de se décider. Chacun est resté campé sur des positions, les indécis ne peuvent sortir de là qu’encore plus indécis et sceptiques. Cela ne peut que détourner les gens de la vie politique. J’ai eu ce sentiment de fin de repas de famille, quand l’oncle dit quelques bêtises et chacun plonge son nez dans l’assiette. D’ailleurs, l’audience n’a pas été forte. Il y avait eu dix millions de personnes pour le débat à cinq candidats, là il y en a eu six. »

Est-ce que ce rendez-vous peut modifier les équilibres entre candidats ?

« Je crois que ça n’a aucun impact sur les rapports de force. J’espère que cela aura un impact sur notre histoire constitutionnelle et faire en sorte qu’il n’y ait pas autant de candidats aux prochaines élections présidentielles. »

Avez-vous observé des changements de stratégie de la part de certains candidats ?

« Chacun est resté fidèle à lui-même. J’ai trouvé que Marine Le Pen était plus agressive. Son ton était plus fort, comme si elle voulait gommer la normalisation qu’elle a entreprise depuis cinq ans, pour se rapprocher de ses électeurs de base. Il y a un effet premier tour, elle doit sentir que les gens sont tentés par François Fillon ou Emmanuel Macron. Elle s’est inscrite dans une espèce d’agressivité, comme si elle était aux abois.

Je n’ai pas trouvé Benoît Hamon très différent du premier débat. Il est un peu perdu, entre d’un côté le côté révolutionnaire de Jean-Luc Mélenchon, et de l’autre, le côté pragmatique d’Emmanuel Macron. Et il ne peut pas aller sur le terrain des candidats très à droite. Il a un problème de positionnement, qui s’est bien vu.

François Fillon est exactement comme la dernière fois,  imperturbable, fidèle à lui-même, continuant à jouer sur le registre des fausses accusations et de l’erreur judiciaire. »

Quels sont les moments que l’on retiendra de ce débat ?

« Comme tout le monde, ce sera celui où Philippe Poutou a insulté tout le monde. Je retiens aussi le dégagement de François Fillon sur le « président exemplaire ». Ce qui est quand même insensé, c’est qu’il ait choisi ce thème pour faire une anaphore. Il n’a cessé lui-même de dire qu’il n’avait fait que des erreurs. C’est un déni de réalité.

Benoît Hamon a fait une assez belle conclusion, très littéraire, très écrite. »

Ce type de débat va-t-il s’installer dans les habitudes des présidentielles ?

« Oui je le crois, le fait d’avoir des débats avant le premier tour va devenir une habitude. J’espère qu’il n’y aura plus 11 candidats. Et concernant le débat du 20 avril, je ne sais pas s’il aura lieu. Franchement, cela leur fait plus de tort qu’autre chose.

À cinq candidats, le débat avait un sens. Il était de bonne tenue : pourquoi s’en passer ? La télévision a prouvé une nouvelle fois le rôle qu’elle a dans l’agora démocratique. »

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