Décentralisation : « Le gouvernement est encore au milieu du gué » pour Françoise Gatel

Décentralisation : « Le gouvernement est encore au milieu du gué » pour Françoise Gatel

Le Président de la République a dessiné hier le « modèle de la décentralisation de demain » à l’occasion d’un discours sur le programme « Action cœur de ville », se félicitant d’une réussite « sans nouvelle loi ou modification constitutionnelle ». Une approche qui peut surprendre alors que la loi de décentralisation « 3DS » doit encore être examinée à l’Assemblée nationale après avoir été amendée par le Sénat cet été.
Louis Mollier-Sabet

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Un programme « beaucoup plus utile que des milliers d’heures de débats parlementaires » : c’est ainsi qu’Emmanuel Macron a vanté les mérites du dispositif « Action cœur de ville » mis en place par le gouvernement et l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) depuis mars 2018. Deux mois après l’examen au Sénat du projet de loi de décentralisation dit « 3DS », la formulation aurait de quoi faire grincer des dents dans la chambre des représentants des élus locaux.

Françoise Gatel, la présidente de la délégation aux collectivités territoriales, préfère le prendre avec le sourire : « Nous n’avons pas discuté des milliers d’heures, nous avons passé quelques heures à discuter de problèmes concrets. » Elle reconnaît même une certaine pertinence aux propos du Président de la République : « Là où il a raison c’est qu’il faut arrêter les grands mots et laisser faire l’échelon le mieux placé. Nous sommes pragmatiques, je ne veux pas m’opposer au Président de la République. » Bref, pas de signe d’un retour aux accrocs de début de mandat entre Emmanuel Macron et les élus locaux : « Ça ne va pas créer de la tension, je ne le crois pas. »

« On ne va pas faire des heures sur le sexe des anges »

Sur le fond, la sénatrice centriste d’Ille-et-Vilaine reconnaît même la pertinence de dispositifs sur le modèle d’Action cœur de ville : « L’efficacité de l’action publique passe par le dynamisme des petites villes et des territoires avec un Etat facilitateur. L’ANCT et Action cœur de ville, c’est un bon exemple de ce point de vue, je suis bien d’accord avec le Président de la République. Là où je le rejoins, c’est qu’on ne va pas faire des heures sur le sexe des anges. »

Dans la majorité présidentielle, Didier Rambaud, sénateur RDPI, y voit même une preuve que « contrairement à l’image de Président hors-sol qu’on a voulu lui donner », Emmanuel Macron a peut-être été « le Président de la République le plus proche des territoires ». Le sénateur de l’Isère justifie l’approche de l’exécutif sur le dossier de la décentralisation et de l’aménagement du territoire : « Emmanuel Macron n’a pas voulu créer un nouveau big bang territorial, au-delà des mesures d’accompagnement il fallait aussi stabiliser par rapport au quinquennat précédent. »

Et la loi « 4D » devenue « 3DS » examinée par le Sénat cet été, toujours en attente d’un examen à l’Assemblée nationale dans un calendrier législatif pour le moins serré à l’approche de la présidentielle, que devient-elle ? « La loi 4D ou 3DS n’était qu’une étape, un exercice de dépoussiérage qui n’a pas bouleversé le quotidien d’un maire ou d’un élu local. On sera donc obligés de remettre ces sujets-là sur le tapis au début du prochain quinquennat » concède Didier Rambaud.

« Les appels à projet posent plusieurs questions »

Sur ce point, l’élu de la majorité présidentielle rejoint la majorité sénatoriale : la méthode « partenariale » vantée par le Président de la République est intéressante, mais elle ne peut se substituer à au moins quelques heures de discussion parlementaires. D’abord, l’appel à projet tel qu’il est mené dans « Action cœur de ville » ne peut être l’alpha et l’omega de l’aménagement du territoire, comme l’explique Françoise Gatel : « C’est un exemple qui a marché mais les appels à projet posent plusieurs questions. Toutes les communes ne sont pas retenues, c’est plus aisé pour les communes moyennes ou les grandes villes. Il faut que la coopération et le partenariat deviennent culturels, on ne va pas faire d’appel à projet pendant une crise sanitaire. »

De même, si l’action de l’ANCT semble appréciée des élus locaux, une telle agence ne peut suffire seule à piloter tout l’aménagement du territoire en France : « Il faut veiller à ce que les agences de l’Etat ne soient pas trop autonomes. Le Sénat est très attentif avec l’ANCT, on mène une sorte de ‘filature exigeante’. On les reçoit à la délégation régulièrement pour qu’il nous fasse un point de leur action et on leur demande un bilan annuel et cela se passe très bien » détaille la présidente de la délégation des collectivités territoriales. Même son de cloche chez Didier Rambaud, pour qui ce genre de programme est « une boîte à outils avec quelques moyens financiers » mais qui ne peut suffire. « Il y aura sûrement besoin à nouveau de dépoussiérer », confie le sénateur RDPI de l’Isère.

« La loi 4D ou 3DS est d’une timidité excessive »

Ensuite, pour Françoise Gatel, le gouvernement « est encore au milieu du gué » en termes de décentralisation et pourrait avancer beaucoup plus vite en reprenant des propositions du Sénat sur le sujet. « La loi 4D est d’une timidité excessive, le Sénat a posé des questions et fait des propositions. Si le Président de la République en acceptait 4 ou 5, il en serait bien heureux j’en suis sûre » plaide la sénatrice centriste. La présidente de la délégation aux collectivités territoriales poursuit : « Il manque quand même un couplet ou une partie à la dissertation du Président. On n’a pas passé des milliers d’heures, mais quelques heures pour régler des choses concrètes. »

Sur l’Aide sociale à l’enfance (ASE) par exemple, il reste des questions importantes, mais simples à régler d’après la sénatrice. L’ASE est en effet une compétence des départements, pourtant le directeur des foyers d’enfant n’est pas sous la responsabilité hiérarchique du président de département, même si c’est bien le conseil départemental qui le paye. « C’est le préfet qui fait l’évaluation » précise Françoise Gatel, qui en appelle à la logique la plus élémentaire pour régler ce genre de questions. « Nos conclusions sont dans la loi 4D, cela peut être réglé avant Noël », conclut-elle.

« La différenciation ce n’est ni la jungle des élus locaux, ni l’autonomie, ni le fédéralisme »

Ce qui ne sera pas réglé avant Noël, c’est une éventuelle réforme constitutionnelle qui consacrerait le principe de différenciation, c’est-à-dire l’adaptation des lois nationales au contexte local, comme l’a notamment proposé Xavier Bertrand.


« Cela fait partie des 50 propositions du Sénat » rappelle Françoise Gatel qui n’y voit pas une rupture d’égalité : « Cela consiste simplement à adapter les moyens pour que chacun ait les mêmes droits selon l’endroit où il vit. » La sénatrice a conscience que « c’est un sujet sensible en France » et tient à rappeler : « Encore une fois, ce n’est pas du moins-disant. Il doit y avoir un cadre de protection fixé par la loi pour que les élus ne puissent pas faire tout n’importe comment. La différenciation ce n’est pas n’importe quoi, ce n’est ni la jungle des élus locaux, ni l’autonomie, ni le fédéralisme. »

Quoi qu’il en soit, le sujet est mis sur la table par Xavier Bertrand. De quoi devenir un enjeu de la présidentielle ? La présidente de la délégation aux collectivités territoriales le sait bien, « c’est un sujet qui ne passionne pas les foules. » Son collègue de la majorité présidentielle, Didier Rambaud fait plus ou moins le même diagnostic : « Les populations sont plus attachées à un besoin de service que de savoir quelle chapelle s’en occupe. » Pourtant, « c’est un débat qui doit aussi associer les citoyens, sinon on retrouve des formes de corporatisme qui pourraient réapparaître » prévient le sénateur de l’Isère. Aux candidats de mobiliser sur le sujet : « J’espère que tous les candidats à la présidentielle auront ce souci », s’enquiert Françoise Gatel.

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