Le moment de vérité approche pour le projet de loi 3DS, vaste éventail de mesures relatives à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration ou encore à la simplification de l’action publique. Sénateurs et députés ont rendez-vous ce jeudi 27 janvier pour tenter de se mettre d’accord sur une version commune sur ce texte attendu par les élus locaux.
En sa qualité de chambre représentant les collectivités territoriales, le Sénat avait été la première chambre saisie sur ce texte, dont le dépôt au Parlement a longtemps été incertain. Sur plusieurs points, le texte adopté par l’Assemblée nationale le 4 janvier se distingue de celui voté par les sénateurs six mois auparavant. En raison de la fin des travaux parlementaires fin février, un échec de la commission mixte paritaire (CMP) aurait pour conséquence un retour de la navette parlementaire sur un texte relativement long, ce qui mettrait en danger son adoption.
Sur le papier, la tâche s’annonçait ardue. Comment aboutir à un compromis acceptable des deux côtés ? « Il y a une distance plus que sanitaire entre le point de vue de l’Assemblée et le point de vue du Sénat », a constaté le 13 janvier Françoise Gatel (Union centriste), lors d’une audition de David Lisnard, le président de l’Association des Maires de France. « A l’Assemblée, ils ont supprimé 48 articles de fond, ajouté 107 articles qu’on n’avait jamais vus. On se disait que ça allait être très compliqué », rappelle ce mardi la sénatrice, l’une des trois voix du trio de rapporteurs côté Sénat.
Après deux semaines de tractations entre les rapporteurs des deux assemblées et le gouvernement, les choses ont visiblement progressé. « On a des sujets sur lesquels cela a bien avancé. Il est clair que les points de vue se sont rapprochés », nous explique Françoise Gatel. Pour autant, la sénatrice d’Ille-et-Vilaine confie qu’il « reste encore des points déterminants ».
Le logement social, l’un des points durs de la négociation
L’un des enjeux de la CMP repose sur le chapitre logement social du projet de loi, lequel prolonge et actualise la loi SRU. Des modifications importantes du Sénat ont été retirées. C’est par exemple le cas de la suppression des sanctions financières automatiques en cas de carence répétée d’une commune. La rapporteure Dominique Estrosi Sassone a évoqué le 13 janvier une « opposition de principe au quantum des sanctions financières planchers » et annonce que les sénateurs seront « très fermes là-dessus ». Autre rétablissement à l’Assemblée nationale : l’avis préalable obligatoire de la commission nationale SRU lorsqu’un contrat de mixité sociale, conclu entre une commune et l’Etat, permet de déroger aux objectifs de la loi. « On sera extrêmement fermes. Ce serait porter atteinte à cette relation de confiance entre le maire et le préfet qu’on souhaite renforcer », s’est inquiétée la sénatrice des Alpes-Maritimes. Pour elle, il est capital que le préfet ne puisse pas être « désavoué » au niveau national.
Un compromis sur ce chapitre important du projet de loi semble être à portée de main, à en croire Françoise Gatel. « On va apporter aux maires des solutions plus opérantes, plus efficaces », espère-t-elle. Malgré quelques concessions, la rapporteure évoque des progrès par rapport à la situation actuelle, comme la possibilité de mutualiser les objectifs de la loi SRU au sein d’une intercommunalité. La négociation s’annonce cependant difficile sur la question des sanctions administratives en cas de manquements.
Une solution possible sur le dossier des éoliennes
Un amendement sénatorial emblématique est passé à la trappe lors de l’examen à l’Assemblée nationale. Le Sénat avait introduit un droit de veto aux conseils municipaux sur les projets d’implantation d’éoliennes dans leur commune. Françoise Gatel assure qu’une « sortie » sur ce sujet est possible. Comme sur d’autres sujets, il pourrait être possible de fixer des règles en matière d’éoliennes au moment des révisions des plans locaux d’urbanisme.
La gouvernance des agences régionales de santé fait également partie des différences, et dans un contexte de crise sanitaire, il ne s’agit pas d’un détail. Les sénateurs s’étaient employés à renforcer le poids des élus locaux dans les conseils d’administration, en équilibrant le nombre de voix des différents représentants. Les députés ont rétabli la disposition selon laquelle des membres du conseil d’administration sont dotés de « plusieurs voix ». Les sénateurs devraient arracher une meilleure représentation des élus locaux, mais n’obtiendront vraisemblablement pas leur plus grosse demande : une coprésidence des ARS par le préfet de région et le président du conseil régional.
En matière de décentralisation, les sénateurs pourraient rester sur leur faim. Les médecins et les infirmières scolaires ne passeront pas sous l’autorité des départements, et resteront sous la tutelle de l’Etat. Seul un rapport sera remis par le gouvernement pour étudier le coût du transfert et les modalités envisagées.
Sur les mesures de déconcentration, « mieux vaut des petits pas que de l’immobilisme »
Quant aux mesures de déconcentration, le Sénat pourrait obtenir gain de cause sur le renforcement du rôle du préfet dans divers pans de l’action publique et sur le développement d’un « Etat de proximité ». Un exemple notable : pour le versement de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), vaste enveloppe qui épaule les projets importants des communes, le préfet de département devrait voir son rôle renforcé, alors qu’il s’agit actuellement d’une question tranchée au niveau régional. Globalement, la déconcentration promise par le projet de loi demeure loin des ambitions souhaitées par les sénateurs. « Il y a des ouvertures, des petits pas. Maintenant, mieux vaut des petits pas que de l’immobilisme », reconnaît la rapporteure Françoise Gatel.
Les responsabilités confiées aux intercommunalités constituaient aussi l’une des divergences marquées entre deux textes. Les sénateurs bataillent pour plus de souplesse entre la répartition des pouvoirs entre communes et leurs groupements. Ils défendent un transfert « à la carte » de compétences aux intercommunalités. La logique est pour le Sénat, de pouvoir gérer certaines actions à l’échelon le plus pertinent. Une position que partage l’AMF, qui préfère que les compétences soient « choisies » et non « subies ».
A l’Assemblée nationale, un amendement venu du gouvernement s’est attaqué aux problèmes de gouvernance de la métropole Aix-Marseille-Provence, qui chapeaute 92 communes. Emmanuel Macron avait déploré ces dysfonctionnements lors de sa visite dans la cité phocéenne. L’idée est de « restituer aux communes des compétences de proximité qui pourront être plus efficacement mises en œuvre à leur niveau ». C’est notamment le cas de la voirie. Un nid-de-poule n’est pas vraiment un dossier à gérer au niveau d’une métropole.
Françoise Gatel soutien ce principe, mais refuse qu’il soit mis en œuvre uniquement à Aix-Marseille-Provence. « Il faut arrêter le droit d’exemption, sinon on va faire une loi pour chaque communauté urbaine. » La sénatrice estime que l’article sera réécrit en commission mixte paritaire, et permettra aux territoires de s’accorder. En revanche, la discussion s’annonce compliquée sur l’éternel problème de la compétence « eau et assainissement », compétence obligatoire des communautés urbaines et des métropoles. « C’est un point très dur », confie Françoise Gatel.
À la veille de la commission mixte paritaire, les déclarations sont prudentes mais les deux assemblées, qui étaient parties de loin, se sont en tout cas rapprochées d’une possible convergence. En juillet, les sénateurs promettaient de « redonner du souffle » au projet de loi, avec le souci de « l’efficacité de l’action publique ». Plus que quelques heures avant de savoir si leur objectif est satisfait.