Le ton grave, le débit lent. Edouard Philippe énumère les chiffres, les courbes, et autres graphiques, tel un universitaire. Cette posture de conférencier adoptée par le Premier ministre, volontairement professorale, en dit long sur la volonté affichée de l’exécutif de mettre en scène la « transparence » et la « clarté » de l’action gouvernementale au coeur de la crise. « Je trouve qu’il y a beaucoup de sincérité, de simplicité et beaucoup de pédagogie» salue le chef de file des sénateurs LREM, François Patriat. « Le premier ministre s’exprime alors qu’il est face à des impatiences. Il y a beaucoup d’humilité. »
Du côté de l’opposition, ce choix de communication a plutôt brouillé le message. « C’était long et il n’y avait pas beaucoup de nouveauté » lâche, dans un soupir, le sénateur LR de Seine-Saint-Denis, Philippe Dallier. Même constat pour le patron du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner : « Ce soir nous n’avons pas appris de nouvelles choses et il reste beaucoup d’interrogations. »
Après 34 jours de confinement, le Premier ministre était très attendu sur les modalités pour déconfiner le pays, après la date butoir du 11 mai. Cette échéance est, depuis la dernière intervention du chef de l’Etat, l’horizon auquel se raccrochent des millions de Français.
« Déconfinement progressif »
« Ce n’est pas le moment de présenter le plan complet » de déconfinement, a rappelé Edouard Philippe, au bout de deux heures de conférence de presse. Si le Premier ministre renvoie les principales annonces au plan détaillé du haut-fonctionnaire Jean Castex, présenté fin avril, il ne s’est pas interdit d’avancer des « hypothèses ».
Premièrement, on en sait plus sur la stratégie choisie par le gouvernement pour procéder à cette phase aussi délicate que inédite. Le déconfinement sera « quelque chose de très progressif et différencié » sur le territoire a affirmé Edouard Philippe, promettant de s’appuyer sur les partenaires de l’Etat, à commencer par le « couple préfet/maire.»
Pour Edouard Philippe, ce déconfinement progressif ne se fera qu’à la condition de maintenir l’ensemble des gestes barrière actuellement en vigueur, et ce, dans la durée.
Ainsi, les Français devront avoir « à l'idée » que « leur vie à partir du 11 mai ce ne sera pas exactement la vie d'avant le confinement ». « Pas tout de suite et probablement pas avant longtemps », a-t-il ajouté, relevant que la population devra « apprendre progressivement à organiser la vie collective avec ce virus ». Le sénateur LREM de Côte-D’Or, François Patriat retient une information en particulier : « Apparemment la population n’est pas immunisée ! Cela nous incite à poursuivre le confinement et à être très prudent sur le déconfinement. » explique-t-il, quelques minutes après la fin de la conférence de presse. La crise sanitaire est loin d’être terminée malgré une lente amélioration des chiffres.
Les écoles rouvertes par « territoire »
Ces précautions rappelées, Edouard Philippe s’est toutefois aventuré à dévoiler certaines modalités de ce déconfinement « différencié », à commencer par la réouverture des écoles, « une question sensible » qui « interroge les citoyens » selon lui.
Le gouvernement réfléchit ainsi à une réouverture des écoles « par territoire », en commençant par les zones les moins touchées par le Covid-19, ou bien «par moitié de classe » en vue du début de déconfinement prévu le 11 mai. Une volonté précipitée par l’exacerbation des inégalités sociales et par peur d’amplifier le décrochage scolaire. « Sur le principe, c’est positif de vouloir donner plus à ceux qui ont moins. Le problème c’est le ‘comment’ », tacle le socialiste Patrick Kanner.
« Nous devons commencer à rouvrir les écoles », a estimé Edouard Philippe, notamment parce que « 5 à 10% » des élèves sont actuellement « privés de tout contact avec l'école » malgré l'enseignement à distance. « C'est dangereux pour la cohésion de la Nation, aujourd'hui et demain.» Maires et syndicats d’enseignants seront associés à la démarche. « Comment allons-nous pouvoir organiser cela sur le terrain ? Il va falloir donner des détails pour rassurer les maires, les enseignants et les parents d’élèves » tance Philippe Dallier. « Moi je suis élu de Seine-Saint-Denis, le nombre de gamin qui a décroché est important. Maintenant on va voir, il nous faut des détails. »
« Obligation probable » du port du masque dans les transports publics
Autre piste d’envergure exposée par le gouvernement : rendre possiblement obligatoire le port du masque dans les transports en commun à partir du 11 mai. « Il est probable, s'agissant des transports publics, qu'il soit obligatoire pour les usagers de porter un masque grand public » a affirmé Edouard Philippe.
« Dès lors que nous allons procéder progressivement à des déconfinements, nos concitoyens vont se retrouver dans des configurations où la densité va être évidemment beaucoup plus grande, il faut donc que nous étudions les gestes barrières et la distanciation qui est susceptible d'être mise en œuvre », s’est-il justifié pour défendre l’idée de la généralisation des masques.
Les maires, ou encore la grande distribution, pourraient être des relais pour les distribuer mais ces modalités précises restent à définir. Un sujet essentiel selon François Patriat. «Les maires attendent de pouvoir répondre à une question précise : si le port du masque est fortement recommandé, qui commande les masques, qui les paye et qui les distribue ? Aussi, le sénateur LREM proche de l’exécutif exhorte le gouvernement à «mettre fin à la façon désordonnée dont se passent les commandes de masques. »
Les masques sont un sujet hautement explosif sur lequel le gouvernement a été plusieurs fois étrillé depuis le début de la crise. Le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, a tenu à rassurer les Français en indiquant prévoir une production « d’environ 17 millions de masques par semaine », notamment grâce à la mobilisation de l’industrie textile française. Ces masques, baptisés « grands publics », répondent à des normes et permettent de « filtrer les gouttelettes qui contiennent le virus » assure Olivier Véran. L’objectif, selon le ministre des Solidarités et de la Santé, est de pouvoir « équiper les Français qui le souhaiteront. »
Cafés, bars, restaurants toujours à l’arrêt
Du côté des cafés, bars ou encore restaurants, la perspective de rouvrir à partir du 11 mai n’est toujours pas à l’ordre du jour. Un « crève-coeur et une angoisse considérable » pour les professionnels du secteur a concédé le Premier ministre. « Après la crise sanitaire, le choc social va être terrible » abonde Patrick Kanner qui prévient toutefois : « On met l’économie sous perfusion mais à un moment donné, il faudra rembourser. Je crains des faillites par milliers, des licenciements et de nombreux ‘morts économiques’.»
A 90% à l’arrêt, les secteurs de l’hébergement et de la restauration font partie des plus durement touchés par la crise. Considérés à risque, les lieux de sociabilité « ne permettent pas de limiter dans un premier temps la circulation du virus » a rappelé Edouard Philippe. En revanche, le Premier ministre s’est montré plus ouvert sur la perspective d’une réouverture d’autres types de commerces seulement s’ils font « respecter les gestes barrières » et les règles de « distanciation sociale ». S’il reste évasif sur les commerces éligibles, le chef du gouvernement insiste sur la nécessité de créer des files d’attente pour respecter la distance minimale d’un mètre ou « la mise à disposition de gel hydro-alcoolique à l’entrée » des magasins ou aux caisses.
Télétravail maintenu « dans la mesure du possible »
Pratique à laquelle doivent s’adonner malgré eux 70% des Français, le télétravail doit être maintenu après le 11 mai si la profession s’y prête. Edouard Philippe a rappelé cette nécessité de poursuivre le télétravail « dans toute la mesure possible» et déclaré que, dans les activités où ce n’est pas possible, les gestes barrière et la distanciation sociale devront être respectées. « Quand le n'est pas possible, et il y a beaucoup d'activité où il n'est pas du tout possible de faire du télétravail, il va falloir que les règles d'organisation de l'entreprise respectent ces mesures de gestes barrière et de distanciation sociale », a-t-il ajouté.
Urgence à saisir le Parlement
Enfin, le Premier ministre a évoqué un nouveau débat parlementaire consacré au déconfinement. Il est programmé début mai à l’Assemblée nationale et au Sénat. Une occasion attendue avec impatience par Philippe Dallier : « La date du 11 mai va approcher très vite, il est urgent que le parlement soit saisi du dispositif. »