Décryptage : « Élisabeth Borne a semblé prendre du plaisir à un exercice pour lequel elle n’avait pas le droit à l’erreur »

Décryptage : « Élisabeth Borne a semblé prendre du plaisir à un exercice pour lequel elle n’avait pas le droit à l’erreur »

Spécialiste de communication politique, Ariane Ahmadi revient auprès de Public Sénat sur la prestation d’Élisabeth Borne devant l’Assemblée nationale. La Première ministre, qui a prononcé mercredi 6 juillet son discours de politique générale, était attendue au tournant : elle s’est montrée ferme et détendue, malgré le raffut des oppositions.
Romain David

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Bâtir des compromis. Tel est le mot d’ordre martelé mercredi par la Première ministre Élisabeth Borne, dans sa déclaration de politique générale devant une Assemblée nationale où le camp présidentiel, privé de majorité absolue, dépend désormais du bon vouloir des oppositions. Pendant 1h30, elle a insisté sur la nécessité de répondre aux défis économiques et climatiques des années à venir, toujours d’une voix ferme, sans se laisser désarçonner par les remarques et les sifflets de ses adversaires. La cheffe du gouvernement, qui assurait il y a deux semaines ne pas « avoir peur » des débats houleux dans un hémicycle fracturé en trois grands blocs, s’est montrée particulièrement à l’aise dans l’exercice. Pour Ariane Ahmadi, experte en communication politique, Élisabeth Borne a su se placer au-dessus de la mêlée parlementaire et imposer son autorité sans renier sa nature.

Diriez-vous qu’Elisabeth Borne a réussi son discours de politique générale ? Quelle image a-t-elle donnée d’elle au cours de ces 1h30 de prise de parole ?

« Le discours de politique générale est un exercice ritualisé. Les médias scrutent votre capacité à répondre à certaines attentes mais aussi à performer, c’est-à-dire à vous positionner, à vous démarquer par rapport à la dimension historique du moment. Je trouve qu’Élisabeth Borne a su rester elle-même, tout en améliorant certains de ses défauts sans nous vendre quelque chose qu’elle n’était pas. Elle n’a pas cherché à mimer qui que ce soit, à calquer son autorité sur un modèle. Elle a été crédible et rigoureuse, elle a déroulé un discours de la méthode qui pose un cadre à sa gouvernance. On peut dire qu’elle s’est montrée efficace. De cette manière, elle a marqué son autorité, sans avoir besoin d’imposer sa puissance ou de pousser la voix. Le message est clair : « Je me suffis comme je suis. Ma rigueur : voilà mon autorité’. Ce n’était peut-être pas le discours politique de l’année, mais l’exercice est plutôt réussi.

Au fond, Élisabeth Borne n’a pas cherché à nier son côté technocratique, qu’on lui a beaucoup reproché ces dernières semaines dans un contexte de reparlementarisation de la vie politique, mais a voulu démontrer qu’il s’agissait d’une force.

Elle a dit : 'j’ai passé ma vie à servir.' Le fonctionnaire doit s’effacer derrière l’appareil d’Etat. Élisabeth Borne a pris de la hauteur par rapport au personnel politique et à l’arène parlementaire en se mettant au service de l’Etat. Elle n’est pas là pour voler la vedette, occuper le devant de la scène. En mettant en avant la nécessité d’une culture de compromis, elle prône aussi une forme de neutralité.

Sur la forme, vous a-t-elle paru bonne oratrice ?

Pousser la voix, a fortiori dans un espace aussi grand, est un exercice périlleux. Le risque, c’est que la voix déraille et parte dans les aigus. Élisabeth Borne a su jouer de sa voix grave avec une projection constante, maintenant son ton durant plus d’une heure, quitte à risquer la monotonie. L’exercice n’est pas simple, et l’on peut dire que la parole était au service de cette droiture républicaine qu’elle a voulu mettre en avant dans son discours. Mais surtout, c’est son langage corporel qui m’a surprise. Tout montrait qu’elle était prête pour ce moment. Lorsqu’elle se fait chahuter, elle regarde l’opposition droit dans les yeux. Il y a même ce moment complètement inattendu où elle pose les mains sur les hanches pour affronter les remarques venues des rangs de la gauche. Elle a fait montre de sa combativité en embrassant la globalité de l’hémicycle.

Et puis il y a eu de nombreux sourires, même lorsqu’elle est chahutée par les députés. N’est-ce pas surprenant, dans un moment aussi solennel, de la part de quelqu’un qui semble cultiver une image de gravité ?

Le sourire, qu’il soit feint ou sincère, est une manière d’afficher sa décontraction. Dans ce discours, la détente est venue du fait qu’elle a semblé s’amuser, prendre du plaisir à un exercice périlleux et pour lequel elle n’avait pas le droit à l’erreur. De la même manière, son arrivée à l’Assemblée nationale, à pied depuis l’hôtel de Matignon, entourée d’hommes, avec sa cigarette électronique à la main, était très bien mise en scène. C’est une façon de paraître plus proche des gens, sans non plus trahir son ADN et cette image de sérieux.

On l’a entendue apostropher à plusieurs reprises les présidents des groupes parlementaires, de la majorité mais aussi de l’opposition. Après l’échec des consultations qu’elle a menées la semaine dernière, est-ce une manière de renvoyer les élus à leur responsabilité ?

C’était très malin de sa part. Elle les met tous au même niveau en les intégrant de force dans le compromis qu’elle veut mettre en place. Par extension, cela anticipe aussi d’une stratégie de clivage qui pourrait être celle de l’exécutif dans les mois à venir. En évoquant ce que les uns et les autres ont pu lui dire lors des consultations - sans qu’ils puissent l’interrompre pour la contredire ou nier -, elle met à l’épreuve l’unité et la solidité des différents groupes d’opposition face à elle.

À rebours, y a-t-il un moment où la Première ministre vous a semblé moins convaincante, plus en difficulté ?

Sur l’écologie et l’égalité des chances, on l’a senti piégée par le bilan du quinquennat précédent, dont elle faisait partie. Même si ses déclarations semblent aller dans le bon sens, sur ces thématiques-là, quelle que soit la qualité du discours, il y avait comme une sorte de décalage. Sans doute a-t-elle aussi cherché à se rapprocher du centre gauche, alors que l’on reproche à Emmanuel Macron d’avoir basculé à droite. Finalement, les thématiques sécuritaires et régaliennes sont arrivées très tard dans son discours. »

>> Lire notre article : Handicap : Élisabeth Borne annonce la déconjugalisation de l’AAH

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