Déficit commercial record : un rapport sénatorial dénonce « un choix politique de la désindustrialisation »

Déficit commercial record : un rapport sénatorial dénonce « un choix politique de la désindustrialisation »

Un rapport de la délégation sénatoriale aux entreprises alerte sur un déficit « historique » du commerce extérieur en 2022, creusé par l’explosion des prix de l’énergie, mais qui témoigne aussi pour les sénateurs de problèmes structurels de l’économie française. Un problème de compétitivité qui ne se résume pas au coût du travail, mais qui touche aussi à un déficit dans les stratégies industrielles de l’Etat et des grands groupes.
Louis Mollier-Sabet

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« On peut dire que c’est la faute des prix de l’énergie, mais dans ce cas, on ne réglera jamais le problème. » Vincent Segouin, sénateur LR de l’Orne, prévient : si le déficit de la balance commerciale devrait être « historique » en 2022 à cause de la crise énergétique, les difficultés conjoncturelles actuelles ne doivent pas faire oublier un problème structurel de l’économie française depuis plusieurs décennies. C’est ce qu’un rapport de la délégation sénatoriale aux entreprises, publié ce jeudi et rédigé par Florence Blatrix Contat, sénatrice socialiste de l’Ain, Jean Hingray, sénateur centriste des Vosges, et Vincent Segouin, tente de mettre en évidence.

 

« La dégradation n’est pas soudaine, elle s’est simplement aggravée avec les récentes crises sanitaire et énergétique »

 

La sénatrice socialiste explique ainsi que le déficit du commerce extérieur va certes atteindre un « record » en 2022 – entre 150 et 200 milliards, contre 85 milliards en 2021 – mais celui-ci « ne cesse aussi de s’accroître depuis 2002. » Les sénateurs insistent donc bien : si la guerre en Ukraine et l’explosion des prix de l’énergie expliquent le niveau historique qu’atteindra le déficit commercial en 2022, le déficit de la balance commerciale pose des problèmes structurels à l’économie française, qu’il s’agit de régler. « La dégradation n’est pas soudaine. Elle résulte d’un long processus induit par le choix politique de la désindustrialisation de la France depuis 40 ans, et s’est simplement aggravée avec les récentes crises sanitaire et énergétique », résume ainsi le rapport.

Les sénateurs identifient une véritable « politique de désindustrialisation », selon les mots de Vincent Segouin, alors que Florence Blatrix Contat y voit des « stratégies industrielles pas à la hauteur. » Les services (36,2 milliards) et l’agroalimentaire (8 milliards) restent en effet encore des secteurs exportateurs, et donc excédentaires dans la balance commerciale, alors que malgré des bonnes performances à l’exportation de l’aéronautique (19,7 milliards) et de la chimie (15,2 milliards), l’industrie creuse le déficit de la balance commerciale. L’énergie arrive évidemment en tête des secteurs déficitaires, avec 43,1 milliards, devant les biens d’équipement (39,6 milliards) et l’automobile (18 milliards).

« Renault a cherché à faire la voiture la moins chère dans le pays du luxe »

Vincent Segouin prend d’ailleurs l’exemple de l’automobile pour illustrer les « erreurs stratégiques » de l’Etat, comme des grands groupes industriels français. « On a suivi la politique des Anglais qui se disaient qu’ils pourraient produire moins cher à l’extérieur en gardant l’ingénierie chez eux pour abonder leur marché intérieur, plutôt que de conquérir des marchés à l’extérieur. L’erreur, c’est que Renault, par exemple, a cherché à faire la voiture la moins chère dans le pays du luxe et est allé se battre contre des pays émergents sans protection sociale. Est-ce que c’était la bonne stratégie ? »

Le rapport sénatorial insiste donc bien sur une imbrication des problèmes de compétitivité-coût et de compétitivité hors-coût, c’est-à-dire d’une faiblesse de la compétitivité des entreprises françaises, non pas seulement à cause d’un éventuel coût du travail trop fort, mais aussi de lacunes dans la politique industrielle de l’Etat et les stratégies des grands groupes industriels français. La majorité sénatoriale est évidemment favorable aux baisses d’impôts et de cotisations sociales sur les entreprises, mais la délégation sénatoriale aux entreprises attire l’attention sur les stratégies à mettre en place pour résoudre la question au-delà de la question du prix.

« 80 % des appels d’offres en Allemagne vont à des entreprises allemandes, contre 18 % en France »

Les Etats-Unis l’ont bien montré avec leur Inflation Reduction Act (IRA), un plan d’investissement protectionniste sur le « made in USA » de 420 milliards de dollars, dont 369 ciblés sur des investissements écologiques. « Ce plan va attirer des entreprises étrangères et met en danger la réimplantation d’usine de batteries en Europe », explique notamment Florence Blatrix Contat.

Du côté Français, Vincent Segouin identifie un manque de « patriotisme économique », même au sein du tissu industriel français, entre les grands groupes et les PME – ETI (entreprises de tailles intermédiaires). « On a un problème d’état d’esprit », ajoute Jean Hingray, qui rappelle une proposition du rapport qui est de « chasser en meute », une culture qui fait déficit aux grands groupes français et qui consiste à « conquérir des marchés étrangers en entraînant des ETI ou des PME de même nationalité. » Vincent Segouin l’affirme, la solution « passera par les PME et les ETI de nos territoires », que les grands groupes allemands ou italiens arrivent, eux, à tirer vers le haut.

De même, le rapport identifie un déficit de « patriotisme économique » semblable au sein des administrations publiques, au niveau de la commande d’Etat. « 80 % des appels d’offres en Allemagne vont à des entreprises allemandes, contre 18 % en France, alors que nous avons la même la loi », déplore Vincent Segouin. « Enfin l’administration française n’accompagne pas les entreprises, elle est au contraire punitive contrairement à ses homologues allemands et italiens », détaille le rapport.

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