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Déjeuners, « bluff » et promesses : les dessous de la semaine des « négos » au Sénat pour attirer les sénateurs dans les groupes politiques

Fraîchement réélus dimanche dernier pour une moitié d’entre eux, certains sénateurs font l’objet de toutes les attentions. Si on connaît déjà les grands équilibres politiques du Sénat, les négociations vont bon train pour aller chercher le sénateur qui fera la différence dans la répartition des postes clefs, à la proportionnelle. Ils ont jusqu’à mardi pour choisir leur groupe politique. Entre convictions et chants des sirènes.
François Vignal

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Le mercato est ouvert. Après les sénatoriales, le poids définitif de chaque groupe reste incertain. Et pour cause. Les sénateurs ont jusqu’à mardi 3 octobre, 16 heures, pour se déclarer auprès d’un groupe. C’est pourquoi il était difficile de classer certains « divers » le soir du scrutin. Si l’essentiel des troupes sait où il habite, certains profitent du renouvellement pour changer de crémerie. Et d’autres sont prêts à se laisser tenter. Chacun y va plus ou moins de sa « danse du ventre » pour convaincre tel ou tel sénateur ou sénatrice de venir renforcer son groupe.

Un petit jeu qui n’est pas que symbolique. C’est un enjeu pour le rapport de force, au sein de la majorité sénatoriale, entre le groupe LR et le groupe Union centriste. Surtout, le nombre de sénateurs définit la répartition des postes clefs de l’institution, les trois questeurs, huit vice-présidents et quatorze secrétaires, qui forment le bureau.

« On emmène les sénateurs dans des boutiques, ici ou là, pour leur prédire un avenir radieux », sourit Hervé Marseille

Dimanche soir, le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille, décrivait ces discussions avec un certain humour, dont il sait faire preuve. « Il y a deux élections en fait. Il y a l’élection des sénateurs, qui est une chose. Puis le chemin qui les mène au Sénat. Et sur le chemin qui les mène au Sénat, il y a toutes sortes de tentations… On les emmène dans des boutiques, ici ou là, pour leur prédire un avenir radieux, en fonction des choix qu’ils vont faire. (…) Il y a des promotions », souriait sur le plateau de Public Sénat Hervé Marseille. Regardez :

Lui-même annonçait alors « une soixantaine » de sénateurs pour son groupe, contre 57. Mais aujourd’hui, une incertitude demeure sur le nombre exact. On sait cependant qu’Edouard Courtial quitte le groupe LR, ainsi que le parti, pour le groupe centriste, comme nous l’avons révélé. Tout comme Laure Darcos, qui passe des LR au groupe Les Indépendants, de Claude Malhuret, où on trouve les sénateurs Horizons. Mais la sénatrice de l’Essonne garde sa carte aux LR.

Pour espérer conquérir quelques sénateurs de plus, chacun y va de sa méthode. Et rien de tel qu’un bon repas, pour mieux se comprendre. « J’ai mangé avec lui hier midi, c’est bon, il vient chez nous », nous assure par exemple un président de groupe au sujet d’un sénateur tangent. Dans tel groupe, c’est un ancien ministre qui s’installe à table avec un petit nouveau. « Au Sénat, on fait beaucoup de choses à table. Les choses y sont toujours plus simples », confirme un sénateur. Pourquoi ? « Parce qu’on est Français. Et qu’il y a une forme de convivialité, qui fait que l’échange est plus simple. Il ne faut pas s’imaginer qu’on les gave de homard ou de grands crus. Mais à table, on se dit les choses plus facilement. Et dans une journée pleine à craquer, le repas, c’est souvent le seul moment où on peut trouver du temps », confie ce membre de la Haute assemblée.

« Les ultramarins sont dragués de partout. C’est au plus offrant »

Le téléphone est bien sûr l’outil de base dans cette semaine de tractations. Et dans ce speed dating politique, certains se retrouvent un peu plus choyés. Ce sont les sénateurs des départements et territoires d’Outre-Mer. « Les ultramarins sont dragués de partout. C’est au plus offrant », raconte de l’intérieur un collaborateur qui voit ça de près. Dans leur besace, les groupes peuvent proposer « des délégations, des missions. Il y a aussi les groupes d’amitiés. Et on peut vendre de l’immatériel, comme la proximité avec tel ministre », confie le même. Rien de tel pour espérer débloquer un dossier local qui n’avance pas depuis des années. Des enjeux locaux parfois essentiels. Le sénateur qui arrive à faire avancer les choses saura en tirer tous les bénéfices auprès de ses grands électeurs. Certains préfèrent encore en rigoler :

 Il y a des négos, c’est le poker… Tout ça, c’est le bonheur! 

Un observateur des tractations.

Des sénateurs font aussi monter les enchères. « Chez les nouveaux arrivants, certains veulent tous les postes, la place dans les commissions prestigieuses », s’étonne un président de groupe, qui croise quelques « opportunistes ».

José Bové appelé à la rescousse

D’autres ont l’embarras du choix entre les groupes qui leur ouvrent grand leurs portes. « Pour certains, c’est de la drague lourde », regrette un sénateur. « Deux présidents de groupe sont venus taper chez moi pour avoir des sénateurs », s’agace un autre chapeau à plume. En réalité, « chacun joue la carte qu’il a dans la manche ». Les écologistes ont ainsi appelé José Bové à la rescousse. « Il a été averti qu’on avait besoin de lui, car il a de bonnes relations avec les indépendantistes », glisse-t-on. Il s’agit ici de convaincre Robert Xowie, sénateur Indépendantiste Kanak, élu en Nouvelle Calédonie. Le groupe écologiste, qui accueille déjà en son sein l’indépendantiste corse Paul Toussaint Parigi, espère le voir atterrir de son côté. Mais comme le groupe communiste (CRCE) ou le groupe RDSE. Aux dernières nouvelles, ça se jouerait « entre les écolos et les cocos », avec peut-être un avantage aux communistes. A suivre.

Lire aussi » Infographie. Les nouveaux équilibres politiques au Sénat

Des coups de « bluff » sont aussi possibles. Un sénateur raconte que Paul Toussaint Parigi quitterait le groupe écologiste pour le groupe… Union centriste, chez qui il pourrait mieux se sentir. Mais du côté du groupe présidé par l’écologiste Guillaume Gontard, on dément.

Une vice-présidence pourrait se jouer entre les groupes écologistes et communistes

Si quelques sénateurs font l’objet de cette bataille feutrée, c’est qu’une vice-présidence se joue. Les huit vice-présidences sont réparties à la proportionnelle des groupes, au plus fort reste. « C’est la proportionnelle intégrale, la plus juste. Tout se fait à la proportionnelle au Sénat, ce qui lui confère un fonctionnement beaucoup plus démocratique que l’Assemblée », commente un sénateur. Il faut calculer un quotient, qui permet de répartir une première série de postes, puis pour ceux qui restent, ils sont répartis selon le plus fort reste. C’est le groupe ayant le reste le plus important qui l’emporte sur celui qui est derrière.

Derrière ces calculs, un de ces postes à responsabilité pourra peut-être se jouer à un siège près. « Il y a 4/5 groupes qui ont 3 ou 4 sénateurs de différence. Ce sont Les Indépendants, les écologistes, les communistes et le RDSE. Et aussi le RDPI », constate un sénateur de gauche. Une vice-présidence pourrait ainsi se jouer entre les groupes écologistes et communistes, mais aussi celui des Indépendants, qui auraient chacun 17 sénateurs… On comprend mieux l’importance de faire venir le sénateur de Nouvelle Calédonie. Et que se passe-t-il en cas d’égalité ? Le règlement ne prévoit pas le cas. « Mais au Sénat, il y a tout ce qui est écrit, et après, il y a tout le reste : les usages. Et personne ne les remettra en cause », glisse un élu. Il faut alors un accord entre les groupes. La pratique veut que le poste soit réparti entre les deux groupes, chacun faisant un an et demi. C’est déjà arrivé, entre Patricia Schillinger (LREM) et Mireille Jouve (RDSE), pour un poste de secrétaire du Sénat.

Autre enjeu, tout aussi important lui aussi : les places en commission mixte paritaire. Celles des titulaires – les macronistes du RDPI, avec 21 ou 22 sénateurs, pensent pouvoir garder leur place – comme celles des suppléants.

« Naïvement, je crois encore aux convictions »

Durant cette semaine un peu spéciale, « il y a de l’évaporation », dit plus pudiquement un sénateur de poids. Il tempère cependant l’idée d’une surenchère. « Il ne faut pas non plus imaginer que ce ne sont que des rapports d’intérêts. Ce n’est pas que ça. Il y a aussi des gens qui ont des sensibilités, qui appartiennent à des partis. D’autres veulent avoir des perspectives d’action dans les domaines qu’ils connaissent. Mais les changements restent dans un mouchoir ».

« Naïvement, je crois encore aux convictions », dit un autre président de groupe, qui glisse que « les macronistes feraient monter les enchères au plus au niveau de l’Etat ». De son côté, François Patriat, qui a été réélu à la tête du groupe RDPI (Renaissance), pointe plutôt les autres. « Je ne suis allé solliciter aucun sénateur des autres groupes. C’est une forme d’éthique. D’autres n’ont pas hésité à solliciter les miens », soutient le sénateur de la Côte-d’Or. Et ces échanges discrets ne sont pas terminés. « Jusqu’à mardi, ça va négocier », prédit un sénateur, « et il y aura des coups de fil tout le week-end ».

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