En visite à Mayotte à la fin du mois d’août, Gérald Darmanin envisageait la création « de lieux de rééducation et de redressement », encadrés par des militaires, pour les mineurs délinquants. Le ministre de l’Intérieur prenait également soin de rappeler qu’il s’agissait d’une proposition d’Emmanuel Macron lors de la dernière campagne présidentielle.
Ce n’est pas vraiment la direction que prend le rapport d’une mission de contrôle du Sénat menée par la commission des lois et de la culture et dont la quinzaine de recommandations est plutôt axée vers la prévention.
C’est d’abord un manque d’informations que constatent les quatre rapporteurs de la mission, Céline Boulay-Espéronnier (LR), Bernard Fialaire, Laurence Harribey et Muriel Jourda (LR). « Aucune photographie complète et actuelle de ce phénomène n’est disponible. Il n’existe de statistiques fiabilisées des mineurs mis en cause par les forces de sécurité que depuis 2016, et elles posent toujours plusieurs difficultés. Elles ne couvrent pas toutes les infractions, ni ne distinguent les crimes des délits ; enfin, il n’est pas possible de les cumuler, faute de pouvoir distinguer les infractions principales et secondaires », note les rapporteurs.
Raison pour laquelle la mission plaide pour la mise en place « d’un suivi statistique de la délinquance des mineurs sur l’ensemble de la chaîne pénale fiable ».
Plus de 50 % des mineurs primo condamnés en état de récidive
Car si la proportion des mineurs impliqués dans l’ensemble de la délinquance n’est que de 20 %, ils sont surreprésentés dans certaines affaires : violences sexuelles sur mineurs (46 %), vols violents (40 %), coups et blessures volontaires sur moins de 15 ans (30 %).
La mission rappelle également que le nombre de mineurs impliqués dans des faits de délinquance est stable depuis 2010, entre 190 000 et 200 000. En ce qui concerne le traitement des affaires par la justice, les alternatives aux poursuites sont en nette hausse depuis 20 ans, passant de 34,5 % des affaires poursuivables en 2000, contre 55 % en 2019. Pour autant, plus de 50 % des mineurs primo condamnés sont en état de récidive après leur majorité.
Améliorer le repérage des infractions liées aux réseaux sociaux
Le Sénat demande donc au ministère de la justice de « procéder à des études plus fines de la récidive et de la réitération, prenant également en compte les mineurs ayant fait l’objet de mesures alternatives aux poursuites ou de mesures éducatives, pour avoir une meilleure idée de l’efficacité du suivi judiciaire des mineurs délinquants ».
La mission regrette l’absence de prise en compte des réseaux sociaux par les politiques publiques, pourtant susceptible de favoriser le passage à l’acte, (violence scolaire, infractions à la législation sur les stupéfiants, cyberharcèlement, extorsions) La mission se félicite que Le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) ait pris conscience du problème, « et mène des travaux pour améliorer le repérage des infractions enregistrées ayant un lien avec le numérique ».
Accentuer la prise en charge du décrochage scolaire
Parmi leurs préconisations, les sénateurs insistent sur la lutte contre le décrochage scolaire. 89 000 jeunes sortent de la formation initiale sans diplôme ou détenant au plus le brevet. Peu d’établissements scolaires informent les missions locales lorsqu’un élève décroche. Le repérage d’un décrocheur est d’autant plus délicat qu’un jeune ne venant plus en cours sans faire la démarche formelle de « démission », reste sous statut scolaire. La mission préconise une interopérabilité des systèmes d’information de suivi des jeunes décrocheurs, afin de permettre une prise en charge « au fil de l’eau ».
« Sentiment d’impunité ou de faiblesse de la réponse pénale »
Chaque année, 30 000 mesures éducatives sont décidées en matière pénale par le juge. Elles sont mises en œuvre par la PJJ, (protection judiciaire de la jeunesse). Les rapporteurs ont pu constater la difficulté de mettre en œuvre certaines mesures faute de moyens dédiés et d’éducateurs spécialisés. La collaboration entre la PJJ et l’éducation nationale « fonctionne plus ou moins bien » selon les territoires. Les agents de la PJJ doivent également aider les magistrats dans leur prise de décision. Mais « ils se heurtent au manque de temps et de moyens humains, ce qui peut conduire à une certaine standardisation des solutions, voire à un moindre intérêt pour les mesures les moins visibles », souligne le rapport.
Mais surtout, le manque d’efficacité des mesures éducatives réside, selon le rapport, dans leur délai de mise en œuvre. « Ceci conduit parfois à un sentiment d’impunité ou de faiblesse de la réponse pénale » relève la mission qui demande la mise en place un programme d’évaluation des différentes mesures éducatives dont les centres éducatifs fermés.
Les centres éducatifs fermés sont, depuis leur création en 2002, la réponse la plus sévère à la délinquance des mineurs. Mais les sénateurs notent un succès inégal de leurs missions. Il dépend de la qualité et de la mobilisation de l’équipe en charge. Et si « certains centres permettent […] d’éviter l’incarcération et de permettre la réinsertion, la concentration de moyens nécessaires à leur bon fonctionnement s’avère de plus en plus difficile à réunir et s’effectue au détriment d’autres formes de prise en charge, moins contraignantes et possiblement aussi efficaces », exposent les rapporteurs.
En conséquence, ils demandent à la Chancellerie de mettre en place un programme d’évaluation des différentes mesures éducatives dont les centres éducatifs fermés, mais aussi l’arrêt de la création de nouveaux centres, pour réorienter les budgets alloués vers d’autres formes de prise en charge. Pas vraiment en phase avec l’annonce du ministre de l’intérieur et la promesse d’Emmanuel Macron.