C’est une décision importante. Le Conseil constitutionnel a décidé d’abroger partiellement ce vendredi le délit de solidarité. L’institution, présidée par l’ancien premier ministre socialiste, Laurent Fabius, estime qu'une aide désintéressée au « séjour irrégulier » ne saurait être passible de poursuites, au nom du « principe de fraternité ». Le Conseil censure en conséquence des dispositions du Code de l'entrée et du séjour des étrangers.
Cette décision fait suite à une question prioritaire de constitutionnalité, déposée par Cédric Herrou, cet agriculteur condamné en 2017 à quatre mois de prison avec sursis pour avoir aidé 200 migrants. Il était devenu le symbole de l’aide aux migrants à la frontière franco-italienne.
Pour la première fois, le Conseil constitutionnel consacre le « principe de fraternité », rappelant que « la devise de la République est Liberté, Egalité, Fraternité » et que la loi fondamentale se réfère à cet « idéal commun ». « Il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national », selon le texte de la décision. Pour laisser le temps au gouvernement de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, le Conseil reporte au 1er décembre 2018 la date d'abrogation des dispositions contestées.
Il censure partiellement l'article concerné du Code de l'entrée et du séjour des étrangers, sortant du champ des poursuites toute aide humanitaire au « séjour » comme à la « circulation » des migrants. Mais « l'aide à l'entrée irrégulière » reste sanctionnée.
« C’est la victoire de la solidarité »
Pour les défenseurs des migrants, c’est une grande victoire. « Je suis vraiment très émue, pour mes amis Cédric Herrou, Martine Landry et les autres aidants. C’est la victoire de la solidarité » réagit auprès de publicsenat.fr la sénatrice écologiste, membre du groupe communiste, Esther Benbassa. « Enfin les solidaires ne seront plus des délinquants, c’est exceptionnel, même si l’abrogation est partielle et que l’aide à l’entrée reste encore un délit. Mais c’est formidable pour les exilés et pour ceux qui les aident ».
Elle avait déposé l’automne dernier une proposition de loi visant l’abrogation du délit de solidarité. La sénatrice de Paris s’y était aussi opposée lors de l’examen du texte asile et immigration au Sénat, où la majorité sénatoriale de droite était revenue sur l’allègement du délit de solidarité, voté par les députés.
« Cette décision envoie un message à Emmanuel Macron, Gérard Collomb »
« C’est une gifle contre tous ceux qui veulent tout fermer et mettre au placard notre humanité, alors qu’en plus, il y a moins de migrants aujourd’hui qu’en 2015 », souligne encore Esther Benbassa, qui ajoute que « cette décision envoie un message à Emmanuel Macron, Gérard Collomb, mais aussi à tous ceux qui avant n’ont pas abrogé ce délit, comme Bernard Cazeneuve ».
Cette nouvelle arrive à un moment où la question des migrants est en enjeu crucial au niveau européen, après l’épisode de l’Aquarius. « C’est une décision très forte, digne de la France. Maintenant que les portes se ferment et que les murs se dressent, c’est une fenêtre sur l’humanité. C’est une décision très importante par le signal qu’elle envoie. Face aux camps à l’extérieur des frontières, qui ont un parfum des années 30, et en cette période de vague brune, elle affaiblit un peu le malaise qu’on ressent ». Et de conclure : « Nous sommes dans la devise de la République. La fraternité, on l’oublie souvent. Avec cette abrogation partielle, cela donne au principe de fraternité son vrai sens ».