C’est « un texte très symbolique », qui revêt une importance particulière. Les sénateurs s’apprêtent à examiner demain, jeudi, une proposition de loi (PPL) composée d’un seul article. Il dit : « La Nation française élève, à titre posthume, Alfred Dreyfus au grade de général de brigade ». Il s’agit d’une PPL de l’ancien premier ministre, Gabriel Attal, déjà adoptée à l’unanimité par les députés, le 2 juin dernier.
« Réhabilitation militaire » d’Alfred Dreyfus
Les sénateurs PS et leur président, Patrick Kanner, avaient déposé de leur côté un texte quasi identique. Une PPL transpartisane, signée par plusieurs présidents de groupes : Hervé Marseille (Union centriste), Cécile Cukierman (CRCE-K, soit communiste), Guillaume Gontard (écologiste) et Maryse Carrère (RDSE). Plutôt que défendre ce texte, le groupe PS profite de sa niche parlementaire, ce jeudi, pour reprendre à son compte la PPL Attal. Selon toute vraisemblance, le texte devrait être voté conforme, c’est-à-dire sans modification, synonyme d’adoption définitive par le Parlement. Il a déjà été adopté en commission. « Demain soir, si tout va bien, Alfred Dreyfus sera général », lance ce mercredi Patrick Kanner, lors d’une conférence de presse.
Après avoir été la victime d’un « antisémitisme d’Etat », le colonel Dreyfus a déjà « été réhabilité juridiquement », rappelle le sénateur du Nord. En revanche, « il a le grade de lieutenant militaire, mais sa progression s’est arrêtée là ». Il s’agit maintenant de procéder à « une réhabilitation militaire », selon l’ancien ministre de François Hollande. « L’idée est venue suite à une tribune parue dans Le Figaro, signée Pierre Moscovici, Frédéric Salat-Baroux et Louis Gautier, afin de terminer cette réhabilitation », explique Patrick Kanner, qui ajoute que « sans l’affaire, Alfred Dreyfus aurait obtenu le grade de général deux étoiles ». Il s’agit ainsi de remédier à une injustice de plus.
Parcours législatif quelque peu tortueux
Reste qu’après l’adoption de la PPL du président du groupe Renaissance de l’Assemblée, le parcours législatif du texte a été quelque peu tortueux. Patrick Kanner raconte. « Le texte a été envoyé en navette avec l’intervention personnelle de Gabriel Attal auprès de Gérard Larcher, président de la Haute assemblée, pour que le texte soit inscrit au Sénat », explique le sénateur PS du Nord. Ensuite, il « demande à François Patriat (président du groupe RDPI, soit Renaissance, ndlr) s’il veut inscrire le texte Attal dans la niche RDPI, qui était avant la nôtre. A mon grand étonnement, sa réponse a été négative », relate le socialiste. Il ajoute : « Il avait reçu consigne de ne pas inscrire ce texte Attal dans la niche RDPI ».
Le patron des sénateurs PS demande alors au ministre des Relations avec le Parlement d’alors, le Modem Patrick Mignola. « Il me dit « non, nous ne l’inscrirons pas dans le temps gouvernemental » », continue Patrick Kanner. « J’ai demandé au Président du Sénat » et là encore, la réponse est « non ». Si « Gérard Larcher m’a assuré, à titre personnel, de son soutien », précise le sénateur PS, quelques sénateurs LR souhaiteraient s’abstenir, et pas des moindres, comme le président de la commission des affaires étrangères et des forces armées, « Cédric Perrin », ou encore l’ancien ministre, « Roger Karoutchi », selon Patrick Kanner. Conséquence de ces réponses négatives : « Le groupe PS a décidé de prendre à son compte la PPL Attal dans sa niche ».
La main d’Emmanuel Macron ?
Si l’inscription de ce texte n’a pas été évidente, Patrick Kanner a ses explications et n’en fait pas mystère : « Pour François Patriat et Patrick Mignola, la réponse vient d’Emmanuel Macron », soutient le président de groupe. Lors d’un discours le 12 juillet dernier, en faisant de ce jour une journée de commémoration nationale pour Alfred Dreyfus, le chef de l’Etat « avait dit que cette nomination devait relever du Président, et sous-entendant qu’il ne le souhaitait pas », avance Patrick Kanner, qui « suppose que le Château a pu s’opposer, ou émettre des réserves tellement fortes », qu’il a pu empêcher l’inscription du texte. Ajoutons au passage que les relations entre Emmanuel Macron et son ancien premier ministre, Gabriel Attal, sont particulièrement dégradées.
Dans son discours du 12 juillet, Emmanuel Macron avait souligné que les députés avaient adopté une proposition de loi visant « à accorder à Dreyfus, de manière absolument exceptionnelle, ce qui fut inaccessible de son vivant. In fine, le Parlement, souverain, en décidera, en responsabilité ». Mais il ajoutait : « Tous et toutes doivent aussi conserver présent à l’esprit que la promotion dans les grades militaires procède de circonstances avérées du temps présent, pour les vivants ou pour ceux qui viennent de tomber pour la France de manière exemplaire. Le président de la République, chef des Armées, est le garant de l’application de cette règle dont nul ne peut contester le bien-fondé ».
Patrick Kanner souhaite « que la panthéonisation d’Alfred Dreyfus soit le point d’orgue de la démarche »
Au-delà de ces péripéties politico-militaro-parlementaires, le texte, dont le rapporteur sera le sénateur PS Rachid Temal, a « de très bonnes chances d’être voté conforme ». Mais déjà, Patrick Kanner a la prochaine étape en tête : la panthéonisation d’Albert Dreyfus. « Oui, je vais proposer, avec Boris Vallaud (président du groupe PS de l’Assemblée, ndlr) probablement, que la panthéonisation soit le point d’orgue de la démarche ». Mais là, la décision dépendra du Président. Et de lui seul.