Ces derniers mois, les relations entre l’exécutif et le Sénat ont surtout été vues à l’heure du désaccord, pour ne pas dire du conflit. Que ce soit sur la réforme constitutionnelle ou la commission d’enquête Benalla, plusieurs moments de tensions ont marqué les esprits.
Mais sur le plan législatif, tout ne va pas si mal entre la majorité sénatoriale de droite et du centre et la majorité présidentielle. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis l’élection d’Emmanuel Macron, les deux tiers des textes sont en réalité adoptés avec l’accord du Sénat.
Ces derniers jours, plusieurs commissions mixtes paritaires (CMP) ont abouti à un accord entre les deux assemblées. Une incarnation du Sénat « constructif », tel que Gérard Larcher l’avait défini après sa réélection en 2017. Et ça devrait continuer. Lors du discours de politique générale, la grande majorité des sénateurs LR s’est abstenue.
Un choix certes en partie guidé par des considérations politiques, afin de ne pas diviser le groupe et surtout la majorité sénatoriale formée avec les centristes. Mais aussi une question de fond. Le président du groupe LR, Bruno Retailleau, a justifié sa décision par les réformes à venir des retraites et de l’assurance chômage. La droite les voit d’un bon œil.
Santé, école, biodiversité : succession d’accords en CMP
La CMP sur le projet de loi sur la biodiversité a ainsi fait l’objet lundi 24 juin d’un accord. La création, par les sénateurs, d’un délit d’entrave à la pratique de la chasse, était source de blocage avec les députés. Mais le gouvernement s’est engagé à reprendre une proposition de loi sénatoriale sur le sujet, permettant l’accord. Pour rappel, en cas de différences entre les textes adoptés par l’Assemblée et le Sénat, la procédure parlementaire veut que 7 députés et 7 sénateurs se retrouvent lors d’une CMP pour tenter de trouver un texte commun.
Un compromis a aussi été trouvé le jeudi 20 juin sur le projet de loi santé. La recherche d’un accord n’était pas une gageure. Les différences n’étaient pas fondamentales sur le texte.
Accord également pour la CMP sur le projet de loi sur l’école de Jean-Michel Blanquer. Les sénateurs étaient non seulement d’accord avec l’école obligatoire à 3 ans, votée à l’unanimité, mais ils ont aussi aidé le ministre à se sortir de sujets polémiques avec les professeurs…
Le texte sur la lutte contre la fraude fiscale a fait lui aussi l’objet d’un accord en CMP. D’autres ont cependant connu un échec, comme celui sur la réforme de la justice, sur la restauration de Notre-Dame ou le projet de loi Pacte, en raison notamment du rejet de la privatisation d’Aéroports de Paris par les sénateurs.
Accords lors de la réforme SNCF et sur les ordonnances travail
Au total, depuis le début de la session 2018-2019, qui n’est pas terminée, 32 textes ont été adoptés. On compte 8 CMP conclusives, soit un quart (25%) des textes. Mais encore mieux, près de la moitié (47%) des textes a été adoptée par un vote en termes conformes, c’est-à-dire sans modification, du Sénat ou de l’Assemblée. Un peu plus des deux tiers (72%) des textes ont donc été adoptés avec l’accord du Sénat. Ces bons chiffres sont cependant à relativiser. Certains textes sont mineurs ou ne font pas l’objet de désaccords politiques profonds.
L’adoption conforme la plus spectaculaire date de la fin 2018 avec le projet de loi reprenant les 10 milliards d’euros d’annonces d’Emmanuel Macron face à la crise des gilets jaunes. Le texte devait être voté en urgence et sans modification pour être adopté avant la fin de l’année. Les sénateurs ont joué le jeu.
Qu’en est-il les années passées ? Selon les données officielles, lors de la session 2017-2018, la première après l’élection d’Emmanuel Macron, 44% des textes ont été adoptés après un accord en CMP entre Sénat et Assemblée. Un accord avait été trouvé sur deux textes majeurs : les ordonnances sur la réforme du Code du travail et la réforme ferroviaire. Si on ajoute les 27% des textes adoptés conformes, 71% des lois ont été adoptées avec l’accord de la Haute assemblée, souvent après un enrichissement.
Sous François Hollande, un Sénat déjà « constructif »
Sous le quinquennat de François Hollande, les chiffres sont variables. Seuls 17% des textes ont connu un échec de la CMP, laissant le dernier mot à l’Assemblée, pour la session 2012-2013, et 18% en 2013-2014. Un chiffre qui s’explique aisément : le Sénat était à gauche, avec à sa tête le socialiste Jean-Pierre Bel.
En septembre 2014, la Haute assemblée rebascule à droite. L’année 2014-2015 est alors logiquement plus difficile, avec un tiers (34%) d’échec en CMP, mais encore 66% de textes adoptés en bonne entente entre les deux assemblées. Changement en 2015-2016, l’accord en CMP atteint 45% des textes, même si certains projets de loi étaient là encore secondaires. Reste que le Sénat pouvait déjà, par moments, être « constructif », avant même l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron.