NATO Summit
Emmanuel Macron, President of France, left, speaks with Olaf Scholz, Chancellor of Germany, before NATO leaders pose for an official photo at the NATO summit in Washington, Wednesday, July 10, 2024. (AP Photo/Mark Schiefelbein)/DCMS580/24192687407056//2407110826

« Depuis les élections législatives, l’autorité d’Emmanuel Macron s’est affaiblie en Europe et sur la scène internationale »

Ce vendredi, Emmanuel Macron rencontre Olaf Scholz sur les bords du lac Léman, à Évian-les-Bains. Le chef de l’Etat et le chef du gouvernement allemand participent à la nouvelle édition des rencontres franco-allemandes, un rendez-vous devenu incontournable dans les relations entre les deux pays. Alors que les deux hommes sont affaiblis sur la scène intérieure à la suite de revers électoraux, la professeure d'histoire et de civilisation allemande à Sorbonne Université, Hélène Miard-Delacroix, dresse un état des lieux des relations entre Paris et Berlin.
Steve Jourdin

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Les rencontres franco-allemandes d’Evian, qui réunissent chaque année des chefs d’entreprises et des responsables politiques issus des deux côtés du Rhin, ne sont pas ouvertes à la presse. Aucune prise de parole publique n’est prévue et Emmanuel Macron n’a pas souhaité médiatiser son déplacement. Que se passe-t-il derrière les portes closes ?

Il s’agit d’un évènement important dans les relations entre la France et l’Allemagne, même s’il est beaucoup moins visible que les traditionnelles commémorations partagées. Les rencontres franco-allemandes d’Evian sont nées en 1992. Elles sont devenues avec le temps une vraie institution d’échange d’informations entre milieux d’affaires et responsables politiques. Leur pérennité est le signe de la très grande maturité des réseaux de dialogue entre les deux pays.

Ces rencontres sont fermées à la presse, car les chefs d’entreprise et les responsables politiques souhaitent pouvoir se parler sans langue de bois. Elles s’inspirent du format britannique de Chatham House, où des experts se rencontrent et se fixent pour règle une absolue liberté de parole. Depuis les années 1970, cette confidentialité a pleinement participé au développement de l’Union européenne.

 

En marge de ces rencontres, Emmanuel Macron rencontre Olaf Scholz, deux responsables politiques qui ont subi des revers électoraux ces dernières semaines… Est-ce que cela fragilise la relation franco-allemande ?

Ils sont effectivement en ce moment tous les deux affaiblis, et leurs pays le sont aussi. Depuis les élections européennes et le scrutin législatif, l’autorité d’Emmanuel Macron s’est affaiblie, ce qui risque d’entacher sa capacité d’action en Europe et sur la scène internationale. En miroir, Olaf Scholz dirige un gouvernement de coalition très hétéroclite, qui est actuellement extrêmement mal perçu dans l’opinion.

Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron participe aux rencontres d’Evian. Sa présence et celle d’Olaf Scholz est un signal envoyé aux milieux d’affaires. L’idée est de faire passer le message qu’ils sont bel et bien entendus au plus haut sommet de l’Etat. Le tête-à-tête entre les deux dirigeants est par ailleurs l’occasion de mettre sur la table les grands sujets de préoccupation du moment. La relation franco-allemande se nourrit beaucoup de ces occasions de rencontres bilatérales, qui se déroulent en dehors de tout cadre institutionnel. Cela traduit l’intimité des relations entre les deux pays.

 

Parmi les grands dossiers, il y a notamment l’avenir du soutien militaire à l’Ukraine. Les Allemands, qui sont les premiers contributeurs de l’aide à Kiev en Europe, vont diviser par deux le montant de leur soutien à partir de l’an prochain. Est-ce que Berlin est en train de se désengager progressivement du conflit ?

En Allemagne, la guerre en Ukraine est un sujet beaucoup plus présent dans le débat public qu’ici en France. Cela est tout à fait normal, compte tenu de la proximité géographique des pays. La présence massive de réfugiés ukrainiens, qui sont plus d’un million sur l’ensemble du territoire, rend aussi le conflit beaucoup plus concret dans le quotidien des gens. Tout cela fait que la question de l’aide militaire est au cœur des enjeux politiques.  Et à ce sujet, la population est très divisée, entre ceux qui estiment qu’il faut livrer des armes pour aider l’Ukraine et ceux qui considèrent que par ce biais l’Allemagne devient cobelligérante.

Il y a une vraie crainte de glisser vers une guerre frontale avec la Russie. La participation même à l’aide internationale au sein de l’Otan est mise en question par une partie de la population, qui trouve que l’Allemagne prend trop parti ans le conflit alors qu’il faudrait au contraire chercher à « comprendre les inquiétudes de Vladimir Poutine face à la présence de l’Otan à ses frontières ». Certains Allemands de l’est ne regrettent pas l’époque soviétique, mais ont été tellement marqués par l’amitié soviéto-est-allemande qu’il existe aujourd’hui un relatif aveuglement vis-à-vis de la menace russe.

 

Les élections régionales de dimanche dernier en Thuringe et en Saxe ont donné lieu à une très forte poussée de l’extrême droite (plus de 30 % des suffrages). Comment expliquer la progression de l’AfD, parti anti-migrants, eurosceptique et pro-russe ?

Il y a une forte dimension régionale qu’il ne faut pas évacuer. Ce serait faire trop d’honneur à l’AfD que d’affirmer que ces résultats sont transposables à l’ensemble du pays. Le vote d’extrême-droite existe certes aussi à l’ouest, mais il répond à des logiques différentes. Aujourd’hui, les partis radicaux tentent d’imposer un discours extrêmement polarisé et simpliste. Il oppose un groupe imaginaire homogène d’un point de vue ethnoracial aux « bons citoyens qui se lèvent tôt le matin et sont moins bien traités que les étrangers qui en plus ne respectent pas nos lois ». Tout cela est l’expression d’une insatisfaction. Certains électeurs ont le sentiment d’être abandonnés par les pouvoirs publics et d’être cantonnés dans des régions périphériques moins bien dotées en infrastructures et en ressources médicales. Dans ce contexte, le vote pour l’AfD est un exécutoire.

L’autre formation qui surfe sur les colères est l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW). Sahra Wagenknecht est une personnalité qui estime que la social-démocratie s’est éloignée de sa clientèle ouvrière traditionnelle pour glisser vers des thématiques qui intéressent exclusivement les classes moyennes urbaines et diplômées. Pour elle la gauche a laissé sur le coin de la route les « vrais gens », et il faut les récupérer en misant notamment sur le thème de l’immigration. Mais quand on analyse les résultats de la semaine dernière, on s’aperçoit qu’au lieu de reconquérir l’électorat de l’AfD, elle a en fait siphonné les voix du parti social-démocrate d’Olaf Scholz (SPD) et celles de Die Linke, l’autre parti de gauche radicale. Il est pour le moment difficile d’évaluer ce que l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW) pèse réellement au niveau national, et les élections fédérales de septembre 2025 seront à cet égard intéressantes à observer.

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